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Billet de blog 8 janvier 2015

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Le solipsisme français?

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Hormis l’effroi légitime que suscite la tuerie de mercredi matin 7 janvier 2015 perpétrée froidement par deux djihadistes français dans les locaux de la rédaction de Charlie Hebdo, ce qui frappe, c’est la concomitance de cette action de type paramilitaire avec la sortie du dernier roman de Michel Houellebecq, Soumission, aux éditions Flammarion. Un roman déjà décrié (pour ne pas dire étrillé) par Sylvain Bourmeau, cf. http://blogs.mediapart.fr/blog/sylvain-bourmeau/020115/un-suicide-litteraire-francais, qui, par ce titre fait référence à l’ouvrage d’Éric Zemmour, Le suicide français, paru fin 2014 chez Albin Michel, et qui est devenu un succès de librairie si l’on en juge par ses ventes. Du dernier opus de Houellebecq, voilà ce qu’en dit Sylvain Bourmeau, qui, à la fin, fait figurer l’entretien qu’il a eu avec le romancier le 19 décembre 2014 dans les bureaux de son éditeur.

« Car l’abjection politique et la faiblesse littéraire apparaissent, comme souvent, indissolublement liées. Roman sec et triste, approximatif, mal documenté, pas dialogique pour un sou et sans une once de poésie – si l’on l’excepte une farandole d’abominables dégoulinades monothéistes variées –, Soumission sonne faux de bout en bout et n’est certainement pas digne de la bibliographie de celui qu’on peut sans doute encore, même après ce livre, considérer comme l’un des écrivains contemporains d’expression française les plus importants. »

Et encore :

« L’air de ne pas y toucher, Michel Houellebecq – qui n’est aucunement un provocateur, et qu’il convient depuis toujours de lire au premier degré – glisse au passage dans Soumission une remarque sur l’irresponsabilité classique des intellectuels français. Se défiant par coquetterie, et contre toute logique au vu de ses écrits, d’être un intellectuel, il revendique une irresponsabilité totale de l’artiste. Cela ne m’empêchera pas de lui redire, la prochaine fois que je le croiserai, combien son dernier roman est dangereux, participant comme beaucoup de choses, petites et grandes, toujours laides, à rendre, par exemple, la vie en France un peu plus désagréable à tous ceux qui portent un prénom arabe ou qui ont la peau noire. »

Ce qui est grave, pour le lauréat du Goncourt 2010 avec La carte et le territoire, ce n’est non pas que son roman soit mauvais, s’il l’est en réalité, mais qu’il puisse revendiquer une irresponsabilité totale en tant qu’artiste comme le relève Sylvain Gourmeau au prétexte qu’il ne serait pas un intellectuel. Pour commencer, comment un romancier digne de ce nom pourrait-il ne pas être un intellectuel ? Comment un écrivain de la stature de Houellebecq (qu’on apprécie sa prose ou qu’on la voue aux gémonies) pourrait-il « n’être qu’un artiste » ? Cette déclaration, si elle est exacte, emprunte déjà à l’art de la pirouette et de l’esquive. Comme si seuls les intellectuels seraient responsables de leurs actes ou de leur production livresque et que les artistes bénéficieraient d’une forme d’immunité leur permettant de s’exonérer de la responsabilité de leurs actes. Au vu de cette allégation, l’humoriste noir et polémiste Dieudonné n’aurait donc jamais dû être inquiété pour ses propos antisémites dans la mesure où il est « artiste » et, partant, irresponsable. Ainsi donc, un « artiste » pourrait faire tout ce qu’il lui plaît, il pourrait même nuire à autrui et répandre à loisir ses toxines sans que quiconque n’y trouve à redire ?  Curieuse définition de l’artiste. Il paraît à peine croyable que l’auteur des Particules élémentaires ait pu avoir une telle pensée, à moins que depuis son retour en France en 2012 après son exil irlandais puis andalou, Houellebecq ne verse dans une forme de solipsisme qui ne dit pas son nom. Solipsisme : idée selon laquelle il n’y aurait pour le sujet pensant d’autre réalité que lui-même.  Si c’est le cas, il faut craindre que l’auteur de La possibilité d’une île (Fayard, 2005), à force de vivre son insularité d’auteur singulier ou sa singularité d’auteur insulaire (rappelons que Houellebecq est né en 1956 sur l’île de la Réunion) n’ait fini par se couper de la réalité de ses contemporains dont un certain nombre sont ses lecteurs, ce qui serait grave pour un écrivain, dont le métier consiste à rendre par les mots, à sa manière et à travers le prisme de sa sensibilité personnelle la réalité du monde vécue par les gens de son époque.  

L’affreuse coïncidence de la tuerie dans les locaux de Charlie Hebdo et de la parution en librairie du dernier roman de Houellebecq est comme éclairée et mise en exergue par le titre du livre, Soumission, qui fait indéniablement écho au sens du mot musulman, soit « soumis à Dieu » en arabe. Si rien n’est plus difficile, plus audacieux que la liberté, loin de tous ces fous d’Allah qui profèrent à l’envi Allahu akbar « Dieu est le plus grand », tous soumis à leur désir impérieux de soumettre la société humaine à l’idée d’un monde servile, un monde asservi, à l’image du territoire sous la domination de Daech, aux confins de l’Irak et de la Syrie, Michel Houellebecq, lui dont le ton était naguère du côté de la liberté, une liberté vivante et insolente,  verrait-il s’étioler ce qui le distinguait, ce qui faisait la saveur de son sens,  en ces temps troubles menacés par une forme d’obscurantisme aussi effroyable que violent ?

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