La situation dramatique de la Syrie, qui dure depuis le printemps 2011, ne fait que mettre en lumière la nullité de l’Organisation des Nations Unies dont le Conseil de Sécurité, le « machin », pour reprendre la formule du général de Gaulle, se trouve paralysé par la position des Russes et des Chinois, qui soutiennent le régime de Bachar al-Assad, le boucher cynique de la Syrie.
Il y a trois raisons d’intervenir en Syrie, comme l’a rappelé il y a quelques jours au micro de France-Info, Laurent Fabius, le ministre des affaires étrangères :
- Le gazage survenu en Syrie est une violation des conventions internationales de Genève.
- Ne pas agir est une manière de donner un blanc-seing aux tyrans, la sanction est une dissuasion.
- Une intervention militaire mesurée permet de poser les conditions pour un règlement politique.
Esther BenBassa, sénatrice d’Europe Écologie Les Verts, est en faveur de l’intervention d’une coalition pour sanctionner le régime de Bachar al-Assad : elle ne conçoit pas de politique sans éthique, et une intervention « illégale » (c’est-à-dire, qui n’aurait pas reçu l’aval de l’ONU) n’est pas « immorale » selon elle. Cette ONU, qui, tant qu’elle n’a pas été réformée dans son fonctionnement actuel, perd singulièrement de son sens dans la mesure où le Conseil de Sécurité ne joue plus son rôle pris en otage par des intérêts politiques partisans : ainsi la Russie, qui fait échec à toutes les résolutions du Conseil de sécurité pour garder la main sur l’échiquier politique moyen-oriental en jouant son joker Bachar al-Assad, et qui, se faisant, fait prévaloir ses intérêts politiciens mesquins au mépris du sens éthique le plus élémentaire et de sa responsabilité en tant que membre au Conseil de Sécurité, sa responsabilité morale à l’égard du monde. Car c’est bien cela qui est en cause, la moralité des cinq membres du Conseil de sécurité, vainqueurs de la seconde guerre mondiale, qui sont les Etats-Unis d’Amérique, la Grande-Bretagne, la France, la Russie et la Chine. Ce « machin » ne fonctionne plus en l’état. Le Conseil de sécurité normalement devrait être garant de la paix mondiale et d’une certaine éthique politique planétaire. Or que constate-t-on ? Les règles qui gouvernent cette instance onusienne, la plus éminente, sont tout simplement inopérantes. Depuis l’origine, le ver est dans le fruit. La règle du veto, qui permet à un seul membre du Conseil de sécurité, s’il est en désaccord avec les quatre autres, de bloquer toute décision du Conseil, est une aberration en soi : la règle devrait être celle de la majorité, à savoir, si trois membres sur cinq sont d’accord, la majorité devrait l’emporter. Après tout, le modèle de gouvernance qui prévaut sur la planète est la démocratie, le meilleur (faute de mieux, « le pire des régime à l’exception de tous les autres », selon Churchill), et selon ce modèle, la majorité l’emporte, même si elle a tort. Mais voilà, la Chine n’est pas une démocratie, et la Russie, une démocratie de façade. Alors que faire ?
Ne rien faire pour ne pas sortir des clous ? Ou bien agir et braver la légalité onusienne ? Mais la légalité onusienne, on l’a vu, n’a pas grand-chose à voir avec l’éthique, otage qu’elle du jeu d’intérêts mesquins. François Hollande, lui, en appelle à la légitimité, légitimité de l’intervention en Syrie pour crime de guerre et infraction manifeste aux conventions internationales de Genève. Une intervention qui se légitime juridiquement par le droit d’ingérence, le devoir de protection d’une communauté humaine sous la menace d’un tyran. Curieusement, l’Europe, malgré le singulier refroidissement observé il y a quelques jours lors du G20 à Saint-Pétersbourg, s’est enfin décidée à mettre terme à sa passivité pour donner un signal fort en direction de Damas. La chancelière allemande, la plus frileuse de tous les Européens sur le dossier syrien, ou peu s’en faut, a décidé elle aussi de se rallier à cette position commune. Faut-il y voir un signe des temps, le signe d’un changement d’attitude de l’Europe à l’égard de la Syrie ? Faut-il y voir enfin le signe d’une prise de conscience européenne commune ? Le signe que l’Europe est en train faire corps sur la question syrienne ? L’Europe va-t-elle enfin s’engager pour lutter contre barbarie syrienne et faire la preuve de son unité ? La cohérence politique va-t-elle enfin surgir du magma des divergences d’opinions et de points de vue des membres de l’Europe ? Il serait temps. Grand temps même. Car là-bas, au Proche-Orient, « si loin, si proche » (comme dirait le cinéaste allemand Wim Wenders), les civils et les innocents, qui meurent sous les armes chimiques employées par le boucher cynique de la Syrie, ceux-là, n’ont plus le temps. Abandonnés par la communauté internationale, ils restent à la merci de Bachar al-Assad, qui a fait le pari de l’inaction occidentale, parce qu’en Occident (le mot vient du latin, occidens, « tombant », pour le soleil), on est tombés si bas qu’on s’englue dans des questions d’ordre juridique. Pendant ce temps, fort de la protection de son maître russe, le joker de Poutine poursuit inlassablement son œuvre de tueur en série, persuadé qu’il est dans son bon droit et seul maître à bord, comme tous les tyrans de bon aloi, qui pensent que Dieu ou le destin est de leur côté.
Pour rebondir sur la réaction de l’ancien premier ministre François Fillon, qui déclarait hier qu’il ne fallait pas faire l’amalgame avec Munich, déclarons alors que la passivité de l’Europe à l’égard de la Syrie est coupable et qu’elle rappelle bien Munich, toutes proportions gardées, syndrome de toutes les lâchetés passées. Le passé, décidément, ne passe pas, et l’humanité a toutes les peines du monde à retenir les leçons de l’Histoire.