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Billet de blog 11 février 2015

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Docteur Strauss versus Mr. Kahn

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Le procès de l’affaire Carlton de Lille qui se tient actuellement a au moins le mérite de mettre en lumière la face sombre de l’ancien patron du FMI, « l’homme qui aimait les femmes », un homme à la double personnalité (à l’instar du docteur Jekyll, Mr. Hyde à ses heures sombres) que tant de ses anciens amis politiques socialistes se sont employés à ignorer (malgré la multiplication d’indices au fur et à mesure des années), éblouis qu’ils étaient par le personnage doué d’un « charisme magnétique », pour reprendre la formule du couturier Karl Lagerfeld, qui déclara avoir été fasciné par le couple que formaient naguère Anne Sinclair et Dominique[1] Strauss-Kahn. Mais il n’y a pas plus aveugle que celui (ou que celle) qui refuse de voir, à l’instar de l’ex-épouse du prévenu, persuadée à l’époque du scandale du Sofitel à Manhattan (la tentative de viol le 14 mai 2011 sur la personne de Nafissatou Diallo, alors femme de chambre du Sofitel de New York, où séjournait DSK) que son époux était victime d’une cabale, d’un coup monté politique.    

Le témoignage de la partie civile Mounia, non pas une prostituée professionnelle comme l’autre partie civile présente au procès,  Jade, mais une femme qui se prostituait pour l’occasion, par besoin d’argent, bat passablement en brèche la défense de DSK, qui persiste à déclarer à qui veut l’entendre qu’il croyait que ses partenaires lors de ses « parties fines » étaient des adeptes du libertinage. Ce que dit Mounia  montre en effet que DSK se complaisait à prendre de force ses partenaires sexuelles en leur imposant des actes sexuels (comme la sodomie par exemple) sans leur demander leur avis. À la décharge de DSK, Mounia précise qu’il ne s’agissait pas de violence mais d’un rapport de force. Une version des faits qui détonne passablement avec celle d’une amie de DSK, qui parle de « relations sexuelles libres et amicales ». Alors DSK a beau jeu de déclarer pour sa défense qu’il a toujours fui les rapports sexuels tarifés, qu’il estime « glauques », même s’il ne méprise pas les prostituées, parlant de ces « soirées libertines » comme de moments récréatifs, festifs et conviviaux, des moments de partage dans la bonne humeur (qu’il qualifie de  « petites soupapes de récréation ») pour rompre avec sa vie trépidante de patron du FMI. Comment cet homme, actuellement à la tête d’une société de conseil auprès de gouvernements et de banques centrales, peut-il faire croire n’avoir pas ressenti de la part de la femme qu’il sodomisait qu’il la forçait, comment cet homme puissant (ou qui pense l’être) peut-il faire croire qu’il n’avait pas perçu que sa partenaire pleurait, à plus forte raison parce qu’elle lui avait manifesté verbalement que cela lui faisait très mal, pour reprendre ses mots à la barre ?

DSK trouverait sans nul doute une place de choix dans la littérature du type de la romance érotique de E.L. James, Cinquante nuances de gray, une histoire publiée en 2012 et portée à l’écran en 2015 par Sam Taylor-Woord (au départ une fanfiction basée sur l’univers de Twilight), où il est question de soumission, de domination et de sadomasochisme. Les rapports de domination et de soumission est un thème apparemment en vogue, si l’on en juge par le succès planétaire de cette bluette sulfureuse (40 millions d’exemplaires vendus aux Etats-Unis et eu Royaume-Uni) qui, en France, fait le bonheur des éditions Jean-Claude Lattès, à tel point que la marque cinquante nuances a même été déposée.  Oui, on peut s’étonner  que DSK n’ait pas songé à être à la tête d’une société de conseil en BDSM, mais il est vrai que c’est sans doute moins prestigieux et lucratif que du conseil pour des gouvernements et des banques centrales. Le pouvoir que confère un pareil poste place celui qui le possède au sommet de la chaîne alimentaire, si l’on peut dire. Et ce dont jouit résolument DSK, c’est de faire partie des dominants pour assouvir ses appétits de superprédateur.

La langue française parle bien de la nature humaine en tirant le substantif pouvoir (le pouvoir) du verbe pouvoir. Pouvoir, normalement, c’est avoir la capacité de faire quelque chose, c’est avoir la potentialité de faire levier sur la réalité en vue d’un résultat. Pouvoir est placé sous le signe de l’action. Or le pouvoir désigne plus un état, le résultat de cette action même (le résultat d’avoir pu), que l’action même de pouvoir avec l’effet que cette action a sur la réalité. Les gens qui ont le goût du pouvoir, bien souvent, cherchent plus à jouir de l’état du pouvoir que d’entreprendre une action pour transformer réalité (en vue de l’améliorer). La sexualité, dans sa fréquence basse (dans sa pratique basse), permet à l’individu (souvent mâle, d’ailleurs) de jouir d’avoir prise sur l’autre, de posséder, comme on dit, c’est-à-dire, de jouir de l’idée de la possession de l’autre quand bien même celle-ci est illusoire, car on ne possède pas l’autre, même si l’autre cède son corps le temps du corps à corps érotique. Mais dans le cas de Mouina, son âme appelait à l’aide, un appel que le puissant DSK ignora avec un mépris souverain, n’en déplaisent ses dénégations. Le sentiment de la puissance est du côté de la possession, c’est d’ailleurs ce que promeut le système dans lequel on vit. Le sens de la beauté du monde, sa réception et l’émotion qu’on en retire, sont du côté de l’abandon, de la restitution, non pas de la possession. Mais dans le sentiment de puissance, quelque chose se retourne en réalité contre ceux qui l’éprouvent,  car les possesseurs deviennent possédés. Ceux qui ne tiennent pas à retenir, eux, restent libres. Les dominants sont toujours dominés par leur pulsion de domination, ce qui est le cas de Dominique Strauss-Kahn, prisonnier de sa puissance illusoire. Mais si la puissance est illusoire, la brutalité, elle, ne l’est pas, illusoire.   


[1] Dominique vient du latin dominicus, littéralement, « qui est relatif au seigneur ». Ce vocable dérive de dominus, « maître ».

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