Christian Jacob, président du groupe UMP à l’assemblée, vient de réclamer la révocation de la Garde des Sceaux pour avoir omis de dire toute la vérité lors de son passage à la télévision et sur les ondes à propos de la connaissance qu’elle n’aurait pas eue de l’existence des écoutes sur l’ancien président de la République, demande à laquelle fait écho Jean-François Copé, président de l’UMP, en déclarant avec componction (et l’air enfariné) qu’il fallait que le président de la République s’explique sur la question. En fait, ces deux responsables politiques s’emploient à mettre en avant la forme pour faire oublier le fond, à savoir que l’ancien chef de l’État, qu’ils défendent contre vents et marées, au mépris de la vérité, le plus souvent, est soupçonné de graves manquements à sa fonction dans toute une série d’affaires dans laquelle il est directement impliqué, des affaires pour le moins graves, et où il y va du sens même de l’État, pour ne pas dire de l’honneur de la République française (s’agissant notamment de l’affaire Karachi et du financement présumé du colonel Kadhafi pour la campagne de 2007 de Nicolas Sarkozy).
On pourrait parler en effet de la forme, de ce qu’on pourrait percevoir comme une cacophonie de la part du gouvernement avec cette discordance dans les voix, certes, sans doute y a-t-il eu ensemble vocal plus harmonieux, c’est indéniable, pour autant, il ne faudrait quand même pas qu’une question de forme, mineure en soi, occulte une question de fond, majeure, elle, la question de l’indépendance du pouvoir judiciaire, et, de fait, que le gouvernement cesse de s’immiscer dans le fonctionnement de l’appareil de l’État (l’appareil judiciaire, dans le cas présent ) comme le gouvernement précédent n’a cessé de le faire, avec des ministres de l’intérieur qui n’ont eu de cesse de mettre le nez dans des affaires dont ils n’auraient jamais dû se mêler dans un État de droit, bafouant ainsi sans vergogne l’éthique la plus élémentaire. On pourrait regretter en effet que la communication gouvernementale ne soit pas à l’unisson, et que, en cas de vocalises impromptues d’un coryphée auto-déclaré, il n’y ait pas derrière un chœur plus uni pour exécuter des répons plus harmonieux. Néanmoins, il est une chose qu’il ne faut pas perdre de vue, c’est que si l’actuel gouvernement manque en apparence de professionnalisme, c’est tout simplement parce qu’il est constitué de personnes qui ont plus le sens du fonctionnement réel des instances républicaines que celui d’un clan auquel elles appartiendraient et dont elles serviraient les intérêts partisans, contrairement au gouvernement sous Nicolas Sarkozy, où la com’ était à l’image des personnalités politiques qui le composaient, beaucoup plus lustrée, gominée, mieux rodée à l’exercice de l’apparence, aux dépens de la réalité des faits, au mépris de la France réelle. Au temps de l’hyper présidence sous Nicolas Sarkozy, le pouvoir avait quelque chose d’une publicité à la télévision : il mettait d’autant plus en avant les vertus supposées de son action que la réalité de son action et les ses effets étaient tout autres. Nicolas Sarkozy, dont on a souvent parlé du côté « bling bling », confondait l’exercice du pouvoir avec sa publicité personnelle. Il était plus un acteur jouant le rôle du président de la République qu’un réel président de la République française soucieux de l’intérêt supérieur de la nation, soucieux de l’existence réelle de ses compatriotes. Lorsque, en mai 2012, le soir de sa défaite, Nicolas Sarkozy apparut en public dans une salle réservée à cet effet pour proférer sur scène, devant l’assistance des jeunes supporters de l’UMP effondrés par l’échec de son champion, qu’ils constituaient « la France éternelle », on aurait cru la réplique d’un empereur romain dans un péplum italien. Une ligne mémorable écrite par Henri Guaino et prononcée par l’acteur Sarkozy, interprétant avec panache le rôle de l’empereur romain déchu : « vous êtes la France éternelle », avec cette solennité dans la voix, ce port de tête romain, il ne manquait plus que la toge, la couronne de lauriers et la main sur le glaive. Cette formule, « la France éternelle », est d’ailleurs du Maréchal Pétain, quand, lors d’un discours tenu en novembre 1940, le maréchal déclara : « Suivez-moi, gardez confiance en la France éternelle. » On sait à quoi Pétain ravala la France éternelle, à l’infamie vichyste. Il faut croire que le soir de la défaite, la plume de Nicolas Sarkozy manquait passablement d’inspiration pour faire référence à la honte de la République française.
Tout dans la forme, rien dans le fond. « À fond la forme », pour reprendre le slogan de Décathlon. Or, cette obsession de la forme, de la com’, du temps médiatique, est en décalage complet avec le temps judiciaire, beaucoup plus lent, et c’est d’ailleurs ce qui permet au clan Sarkozy de surnager encore, de faire l’illusion, même si les juges Renaud Van Rumbeke et Roger le Loire, sur la piste de Karachi, entre autres dossiers fumants, travaillent d’arrache-pied. Mais en cette époque de frénésie, où l’on veut aller plus vite que son ombre, la justice, elle, semble redoubler de lenteur, tant les affaires sont compliquées, tant l’emboîtement des pièces semble infini, comme des poupées gigognes dont on ne verrait jamais la première, comme si cette dernière se dérobait perpétuellement. La première sera la dernière. Car lorsque les juges mettront enfin avec certitude la main sur la première, et que tout s’emboîtera parfaitement, alors cette première sera la dernière pour le clan Sarkozy. Le rideau pourra tomber, l’illusion n’aura que trop duré. Et de nombreux membres du gang Sarkozy, après s’être faits une place au soleil, seront mis à l’ombre. Mais en attendant ce moment-là, le temps passe. Il passe lentement, car c’est la vérité du temps. Ce n’est pas parce que notre société est ivre de vitesse, et de plus en plus au fil du temps, que la vitesse dit vrai. La vitesse est une stratégie pour se dérober au réel. Parole de Paul Virilio : « On assiste aujourd’hui à l’avènement d’un nouveau régime de temporalité des sociétés dites “avancées ”, où l’accélération est soudain devenue le dénominateur commun de l’ensemble des activités industrielles, économiques ou politiques, au point d’interdire l’emprise du temps, le vieillissement ou la mémoire, au seul profit de l’oubli et du manque. »
Au point d’interdire l’emprise du temps, le vieillissement ou la mémoire, au seul profit de l’oubli et du manque. Voilà la stratégie de la droite : jouer sur l’oubli et le manque. Le reste n’est que pur verbiage, pure com’. Et ce n’est pas un hasard si Jean-François Copé, capitaine contesté de l’UMP naufragée, se voit rattrapé par une histoire de com’ avec cette affaire de Bygmalion, une entreprise de communication dirigée par ses proches accusée par le magazine Le Point de surfacturation pour sa prestation de services lors de meetings électoraux de Sarkozy, champion de la droite adroite. Bygmalion a un nom qui évoque ces big mac spongieux, tellement épais qu’on s’en décroche la mâchoire. Ce n’est pas un hasard, pour cette simple raison que ce que fait Jean-François Copé à la tête de l’UMP, c’est de la com’. Pas de la politique, au sens noble et vrai sens du terme, mais de la com’, purement et simplement.