« On n’emporte pas sa patrie à la semelle de ses souliers. »
Danton
Gérard Depardieu est sans nul doute l’un des plus grands acteurs du cinéma français, l’un des plus féconds en tout cas, dont le répertoire, exceptionnel par sa richesse, couvre un champ immense. Il a incarné une multitude de personnages différents, de l’abbé Sous le soleil de Satan (de Pialat, adapté du roman éponyme de Bernanos, Palme d’Or à Cannes en 1987) à Obélix et ses gaudrioles gauloises, en passant par Danton (dans le film du même nom de Wajda, en 1982) ou encore Christophe Colomb (de Ridley Scott, en 1992), sans oublier le mémorable Cyrano de Bergerac (de Rappeneau, en 1990, rôle qui lui valut un César). Il illumina Le dernier métro (de Truffaut, en 1980, son premier César) et La femme d’à côté (du même cinéaste, en 1981), incarna Jean de Florette (de Claude Berri, en 1986), donna de la tenue à Tenue de soirée (de Blier, en 1986) et corps à Rodin, dans Camille Claudel (de Nuytten, en 1988), ou encore à Marin Marais dans Tous les matins du monde (de Corneau, en 1991).
C’est un acteur hors normes, tenaillé par un appétit d’ogre (cf. Itinéraire d’un ogre, de Patrick Rigoulet, aux éditions du Rocher, en 2008) dans la vie, un monstre sacré du cinéma français qui compte à son actif plus de deux cents films (si l’on inclut la vingtaine de films pour la télévision), un stakhanoviste de génie, comme le déclara un jour Jacques Weber.
Que cet homme-là se soit réfugié en Belgique, juste derrière la frontière, dans le village de Néchin, qui accueille nombre d’exilés fiscaux, pour se soustraire à l’impôt, dans une période de vaches maigres où la France n’a plus que la peau sur les os, ou peu s’en faut, a quelque chose de méprisable, quand on sait qu’il est un des acteurs les mieux payés du cinéma français. Il vient d’ailleurs de mettre en vente son hôtel particulier situé en plein cœur de Saint-Germain-des-Prés, à Paris, à Paris, évalué autour de 50 millions d’euros. Cet homme qui a été nourri à la mamelle de la France, qui a bénéficié de son système d’enseignement, de ses infrastructures, de sa culture, de son patrimoine, qui a fait carrière dans le cinéma français, lequel est subventionné en partie par l’État, cet homme qui a prospéré en France, voilà qu’il n’est Français que lorsque cela lui chante et qu’il tourne le dos à son pays natal pour se dérober à l’impôt ! C’est un peu fort de café !
Lui, qui jouit d’une grande popularité en France, devrait au contraire se sentir investi d’une sorte de responsabilité morale vis-à-vis du public français, vis-à-vis des Français tout court, pour cette raison très simple qu’un acteur aussi célèbre, qu’un acteur d’une telle envergure représente en définitive beaucoup plus que les simples personnages auxquels il donne vie à l’écran, parce qu’il finit tout simplement par incarner quelque chose de la France, quelque chose de son âme.
Comment un acteur aussi formidable ne mesure-t-il pas à quel point cette fuite en Belgique est, non pas « assez minable », comme l’a déclaré le premier ministre, mais absolument minable ? Comment un homme pareil peut-il à ce point ne pas être à la hauteur et se comporter comme un misérable Thénardier ? Laurent Joffrin, dans son duel radiophonique avec SylviePierre-Brossolette, sur France-Info, Jeudi matin 3 décembre 2012, a rappelé opportunément ce mot de Danton (que Depardieu incarna dans le film de Wajda) : « On n’emporte pas sa patrie à la semelle de ses souliers ».
Après la fuite de Johnny Hallyday à Gstaat, en Suisse, en raison d’une fiscalité plus rock’n’roll sans doute, c’est au tour de Gérard Depardieu de faire le mur pour passer en Belgique et s’établir dans un ville-niche pour planqués fiscaux. Il est vrai que l’acteur s’était illustré il y a peu, en 2012, en prenant publiquement la défense deNicolas Sarkozy, lors du fameux meeting de Villepinte, dont il disait ne pas comprendre pourquoi on lui voulait tant de mal. Gageons que l’acteur sera plus inspiré dans le film d’Abel Ferrara où il jouera le rôle de Dominique Strauss-Kahn, un homme que Depardieu déclare trouver « arrogant ». Toujours le même syndrome de la paille qu’on voit dans l’œil de son prochain quand on ne voit pas la poutre dans le sien…
Pierre CAUMONT