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Billet de blog 16 octobre 2013

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Karachi, hachis pakistanais et gâchis de démocratie

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Mardi soir 15 octobre, Arte diffusait un documentaire édifiant, L’argent, le sang et la démocratie, réalisé parJean-Christophe Klotz et Fabrice Arfi, journaliste chez Mediapart, un documentaire consacré à l’affaire Karachi, une affaire d’État.

Quand on en ressort, même si on avait déjà connaissance des éléments de l’affaire, on se sent sale en tant que citoyen français, un peu comme si on avait pris un bain dans les égouts de Paris. Car il y a voir et savoir, et ce documentaire, intelligemment mené, plus que de simplement nous détailler le menu de l’affaire Karachi, que l’on connaît si l’on est (bien) informés, ce film nous fait toucher du regard l’infamie du monde politique français, la couleur de l’hypocrisie sous les altières dorures de la République, la corruption à fleur des parquets du pouvoir, la défaillance des plus hautes instances de la République censées contrôler l’exécutif, pour ne pas dire leur déficience structurelle en parlant du Conseil Constitutionnel, coupable de connivence avec le pouvoir en ne faisant pas invalider l’élection présidentielle de 1995 pour non-conformité avec la loi des comptes de campagne de Jacques Chirac et d’Édouard Balladur.

Oui, le documentaire nous donne à voir l’existence souterraine des effluents méphitiques du pouvoir dont la réalité s’impose à soi, un peu comme si elle vous giflait en pleine figure, quand le savoir permet souvent de faire écran entre soi et la réalité, en mettant à distance respectueuse de soi la chose dont on a connaissance : c’est tout la différence entre voir et savoir.

Comment, après avoir trempé son regard dans ce concentré de corruption à tous les étages de la République française, comment, quand on revoit la gesticulation deNicolasSarkozy, agité de tics comme Guignol dans son théâtre, comment, quand on l’entend parler de « fable » s’agissant du scénario de rétrocommissions pour Karachi et de « respecter la mémoire des victimes », comment ne pas être saisi par un haut-le-cœur, comment ne pas céder au mal de mer qui remonte aux lèvres quand on sait que onze employés de la Direction des chantiers navals de Cherbourg ont été les victimes hachées dans une explosion au TNT, les victimes expiatoires de cette prétendue « fable » ? Quelle sinistre farce ! Quel cynisme écoeurant ! C’est révoltant. De même qu’il est révoltant de voir la République aux mains d’une mafia politique, de voir sévir ainsi ce gang de cols blancs constitué par François Léotard,  ministre des affaires étrangères d’Édouard Balladur, Renaud Donnedieu de Vabres, son chef de cabinet, NicolasSarkozy, ministre du Budget sous Balladur,NicolasBazire, directeur de cabinet di même Balladur,  Thierry Gaubert, adjoint deNicolasBazire à Bercy,  Ziad Takkiedine et Abdul Rahman el-Assir, intermédiaires et hommes de  l’ombre. Oui, il est révoltant de voir ce gang de cols blancs agir au nom de la France et servir les intérêts supérieurs du pays, ce gang dont le Secret défense couvre encore les agissements, pour ne pas dire les crimes d’État.

Comment croire encore au progrès de l’homme après avoir vu cela, quand on constate que la logique du commerce des armes prime ? Comment croire en la compétence des serviteurs de l’État et en leur dévouement, après avoir mesuré l’arrogance et l’aveuglement obstiné dans lesquels se drape encore le juge Jean-Louis Bruguière, en charge alors de l’affaire ? Une affaire bâclée qu’a héritée le juge Marc Trévidic, formé par le même Bruguière, étonnamment, et qui va s’employer à tout remettre à plat dès 2009, en y mettant un peu plus d’humanité que son célèbre mentor de la lutte anti-terroriste.  Comment croire à la vertu de nos institutions après cela, quand on observe que les agents de la corruption oeuvrent dans l’ombre  à tous les étages de l’État ?  Comment croire à la « raison d’État », quand cette raison-là exsude la corruption par tous ses pores, qu’elle n’est qu’un vain mot pour cacher une forme de folie pure ?

Comment respecter la notion de Secret défense, quand le juge Marc Trévidic révèle que les services de l’État ne lui livrent qu’au compte-goutte les informations requises, et encore, il ne s’agit que des informations relevant de « la bibliothèque rose ou verte », car le reste n’est pas déclassifié, comme s’il s’agissait de « littérature X ». Et le juge de lâcher que les services de l’État (les commissions ad hoc s’occupant de déclassifier les informations Secret défense) traitent les citoyens comme des enfants, et lui avec, des enfants n’ayant pas encore l’âge de raison sans nul doute, des enfants auquel on interdit l’accès à des informations relevant de la sécurité de l’État. Comment respecter un État qui se livre à de pareilles manipulations, un État qui infantilise en permanence les citoyens dont il est censé être l’émanation,  un État qui échappe même au contrôle du juge nommé pour contrôler ses agissements en agitant le carton Secret défense, un secret qui, en l’espèce, ne protège pas les intérêts supérieurs de l’État mais qui couvre les agissements partisans de toute une clique à la recherche non pas du bien commun mais de la perpétuation de son propre petit pouvoir. C’est misérable.

Il y a de quoi être pessimiste, oui, résolument pessimiste.  

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