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Billet de blog 20 juin 2013

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Le droit dans l'oeil

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Interrogé au micro de France-Info sur la réponse de la cour de cassation de Bordeaux, qui se déclare incompétente s’agissant du dessaisissement des juges d’instruction dans l’affaire Bettencourt, un des avocats de l’escadron juridique chargé de défendre l’ancien président de la République mis en examen pour abus de faiblesse, a prononcé le terme de « déceptive » pour qualifier la réaction de la cour qu’il estime être une manœuvre. Ce qui n’est pas étonnant de la part d’un serviteur de la loi procédurier et manœuvrier qui fait tout son possible pour entraver le cours de l’instruction et qui joue sur des aspects purement formels de l’instruction faute de pouvoir jouer sur le fond de l’affaire. Car « au fond de l’abîme gît la vérité » dit Démocrite.  

« Déceptive » : il n’est pas du tout certain que l’auditeur français moyen ait compris ce que l’avocat à la langue pétrie de droit ait voulu dire. « Déceptif », le mot est trompeur, il fleure bon le français qui file à l’anglaise. Comme je l’ai écrit il y a peu dans une précédente chronique (cf. Expansion du domaine de la lutte), la langue anglaise regarde le français en arrière, il fait office de rétroviseur, même s’il demeure toujours un angle mort dans le champ linguistique et qu’il importe au locuteur de jeter de temps à autre un coup d’oeil derrière lui pour s’assurer par lui-même de ce qui se trouve dans le champ de son passé linguistique.  

Au commencement, le mot décevoir, qui vient du latin decipere,  signifie « tromper, abuser », et puis par affaiblissement de son sens, a fini par vouloir dire « tromper ses espérances, désappointer ».  En anglais, le mot garde son sens originel, c’est ainsi que deceive signifie « tromper », et que deceptive signifie « trompeur » (deception et deceit signifient « tromperie » en anglais, le sens de décevoir étant rendu par disappoint). C’est ainsi que l’anglais deception est taxé de « faux ami », une formule pour le moins désobligeante quand, en réalité, l’anglais nous renseigne sur le sens véritable qu’on a perdu de vue en français. C’est la langue française qui est félonne en vérité en dénaturant progressivement le sens des mots quand la langue anglaise reste fidèle à leur sens originel.  

Si l’expert en manœuvre procédurière qu’a engagé pour sa défense l’ex-président de la République a choisi le mot « déceptive » pour qualifier la réponse de la cour de cassation de Bordeaux, c’est pour tromper l’auditeur en lui faisant accroire que lui, expert en droit, dont la langue est tellement adroite qu’il peut la tordre dans tous les sens, vient de révéler à quel point la machine judiciaire est de guingois, toute gauchie par le temps et un usage sans nul doute trop partial, trop humain. En réalité, le défenseur zélé de l’ex-président mis en examen, ne défend jamais que la lettre du droit, car l’esprit des lois souffle bien au-dessus de sa calotte corticale. Le droit à la lettre, c’est une aberration en soi, un corset purement formel, une enveloppe étroite et rigide qui empêche toute évolution quand une société est un corps vivant en perpétuelle mutation. La seule raison d’être du droit est de faire office d’épine dorsale à une humanité qui tient souvent du mollusque, de faire office de tuteur, comme pour les plants de tomates. Mais quand le tuteur empêche au plant de tomates de se développer, il est conseillé de changer de tuteur si l’on espère avoir des tomates. Les serpents laissent bien derrière eux leur exuvie, produit de leur mue, ces peaux mortes dont ils savent se dépouiller pour gagner en souplesse. Il serait bon que le droit français fasse de même, qu’il libère son exuvie auquel se cramponnent les esprits rampants, pour gagner en légèreté et perdre ce qui fait sa pesanteur, ce qui le rive à terre et le condamne à la reptation où excellent les serviteurs sournois qui nous mettent le droit dans l’œil.  

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