Pierre Caumont (avatar)

Pierre Caumont

autre

Abonné·e de Mediapart

256 Billets

0 Édition

Billet de blog 21 juin 2013

Pierre Caumont (avatar)

Pierre Caumont

autre

Abonné·e de Mediapart

Ô gué ô gué !

Pierre Caumont (avatar)

Pierre Caumont

autre

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Il est comme cela des individus qui excellent à faire le contraire de ce qu’ils incarnent et de ce qu’ils prônent officiellement. Une sorte d’exemplarité à l’envers, pour ainsi dire. Ainsi Claude Guéant, ancien préfet, ancien secrétaire général de l’Élysée, ancien ministre de l’Intérieur après le règne flamboyant de Brice Hortefeux, le brise-glace de NicolasSarkozy qui fit long feu.

Claude Guéant a actuellement de sérieux ennuis avec la Justice : il est mis cause par le sulfureux Ziad Takkiedine pour l’organisation d’un financement à hauteur de 50 millions d’euros par feu le colonel Kadhafi lors de la campagne présidentielle de NicolasSarkozy en 2007, et comme une tuile n’arrive jamais seule, l’homme est également mis en cause pour son rôle en tant que secrétaire général de l’Élysée dans l’arbitrage rendu en faveur de Bernard Tapie dans l’affaire du Crédit Lyonnais : Stéphane Richard, ex-directeur de Cabinet de Christine Lagarde et actuel PDG d’Orange, mis en examen pour « escroquerie en bande organisée » dans l’affaire de l’arbitrage en faveur de Bernard Tapie, a en effet déclaré à la police, qui l’a hébergé quelques jours dans ses locaux, avoir reçu des instructions de la part de Claude Guéant.  « Escroquerie en bande organisée » : si les mots ont encore du sens dans la langue française, ce chef d’accusation vaut son pesant de châtiment sur la balance judiciaire  — si bien sûr le mis en examen s’avère coupable  des faits qui lui sont reprochés, présomption d’innocence oblige !

Au vu de l’avalanche de mises en examen dans cette affaire, il apparaît de plus en plus clairement que le poste que Christine Lagarde occupe à la tête du FMI n’est pas étranger au statut de « témoin assisté » dont la Justice française, mue par un subit accès de  magnanimité, lui a fait bénéficier. En effet, après la démission fracassante du FMI de Dominique Strauss-Kahn en 2011, la France ne pouvait pas se payer le luxe de voir son image traînée une fois de plus dans la boue après les frasques de Shere-Khan, aussi les magistrats ont fait en sorte que la Justice préserve Christine Lagarde. Dans l’affaire Tapie, toutes les parties  impliquées ou presque sont mises en examen (hormis Christine Lagarde, que la Justice garde), il ne manque plus que Claude Guéant pour que le tableau de chasse soit complet. Mais quand les foudres de la justice frapperont Claude Guéant, il en manquera encore un à l’appel, le Big Boss, celui dont l’ombre tutélaire plane sur toute l’affaire,Nicolas Sarkozy, pour ne pas le nommer, qui fut à l’initiative de ce règlement pour Tapie en 2004 alors qu’il était ministre des l’Économie et des Finances sous le règne de sa majesté Chirac.  

Mais revenons-en à Claude Guéant, qui se prend les pieds dans le tapis. Lui, éminent sujet de la préfectorale, devenu avocat par la grâce de ses services rendus à la France, dont on apprend qu’il s’est versé des primes de 10 000 euros par mois, de 2002 à 2004, en puisant dans le fonds dévolu aux frais d’enquête de la police nationale, un geste d’autant plus répréhensible que ce même Claude Guéant, dans une note officielle qu’il a signée en 1998, en tant que directeur de la police nationale, avait interdit de puiser dans ces fonds pour autre chose que des frais d’enquête. Ce qui n’a pas empêché plus tard le même Claude Guéant, une fois drapé dans la dignité de fonction de ministre de l’Intérieur, de déclarer sans sourciller qu’il fallait lutter contre la gabegie budgétaire des ministères. On observe dans le monde politique des comportements schizophréniques tout à fait remarquables, comme celui de Jérôme Cahuzac, ministre chargé de lutter contre la fraude fiscale alors qu’il fait partie lui-même des fraudeurs du fisc.  « Faites ce que je dis, pas ce que je fais ».

On a aussi découvert  que Claude Guéant avait un goût prononcé pour la peinture, son jardin secret sans doute, son violon d’Ingres, à tel point qu’il aurait vendu pour quelque 500 000 euros à un riche amateur malaisien deux toiles d’Andries van Eertvelt, un peintre flamand de l’époque baroque spécialisé dans les marines.  Interrogés sur cette vente, les experts évaluent ces toiles à des cours nettement inférieurs. Gageons que Claude Guéant, en cédant à l’appel de l’art, aura cédé au vent du large, qui ne gonfle pas seulement les voiles mais aussi le chiffre des ventes de toiles. Ce goût de la peinture que l’on découvre chez Claude Guéant est en tout cas bien ancré à telle enseigne que l’ancien ministre a conservé un tableau de James Houra offert par le président ivoirien Alassane Ouattara, et ce, en dépit des consignes données par le premier ministre Français Fillon.

L’habit ne fait décidément pas le moine : ce n’est pas parce qu’on endosse des costumes prestigieux pour jouer le rôle de serviteur de l’État qu’on est ce pour quoi on passe, ou ce pour quoi on se fait passer. Et ces gens-là, quand ils jouent avec gravité leur rôle, avec componction même (souvenons-nous de l’apparition de Claude Guéant à Toulouse, dans le dernier acte de la tragédie de Mohammed Merah, en mars 2012), qui se disent investis par la mission qui est la leur, pétris du sens qu’ils ont de l’intérêt supérieur de l’État, le croient-ils vraiment, ou bien se contentent-ils de le faire croire, comme des comédiens sur une scène de théâtre, comme des acteurs dans le regard des caméras ?  

Claude Guéant ne fait que passer, me dira-t-on, pourquoi s’y arrêter ? Certes, mais c’est un cas d’espèce : rien n’est pire que les serviteurs du pouvoir qui se font passer pour ce qu’ils ne sont pas, qui ne servent l’État que pour se servir et dont la posture officielle n’est qu’un tour de passe-passe. Le bagne de Cayenne devrait rouvrir ses portes pour accueillir dans son enceinte ce genre d’escroc doré, ô gué ô gué !  

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.