Le 15 février de l’an de grâce 2000, l’année du fameux bogue informatique tant annoncé qui fit faux bond, l’année de la prédiction apocalyptique avortée de Paco Rabanne (qui avait prédit la chute de la station spatiale Mir sur Terre), à l’époque où je vivais dans la cité carolopolotaine, j’avais écrit pour le compte d’une radio sédanaise une chronique sur cette « Ardenne où l’ardoise, comme dit Guy Goffette, n’attend plus que la pluie qui console du gris, qui s’intitulait Hard en Ardenne :
(Chronique 33 – 15 février 2000)
HARD EN ARDENNE
Les Ardennes n’ont pas bonne presse. Si l’on en croit l’étude qu’a fait paraître l’hebdomadaire L’Express, les Ardennes seraient le département français où il fait le moins bon vivre. En effet, dans le classement des 96 départements métropolitains, les Ardennes figurent en dernière position. En tête du classement trône la Haute-Garonne. Ah, Toulouse, la ville où l’on voit la vie en rose ! Pour établir ce classement, l’hebdomadaire prend en compte quatre critères : la qualité de vie, les indicateurs du dynamisme économique et culturel, les indicateurs de la santé et de la sécurité, et les indicateurs de la qualité de l’environnement et de la culture. Certes, on peut contester qu’à la Bourse du bien-vivre les Ardennes aient la plus mauvaise cote, et penser, à l’instar des habitants de la Haute-Marne, dont le département est à l’avant dernière place, que ce classement reflète « une vision strass et paillettes de la vie parisienne érigée en modèle unique », il n’empêche, cela met mal à l’aise. D’autant plus que Paris n’étant classée qu’au 57ème rang, l’argument des Haut-Marnais s’en trouve sensiblement amoindri.
Une chose tout de même frappe, c’est que les quatre départements qui constituent la région Champagne-Ardenne sont tous mal classés: la Marne est 62ème, l’Aube 85ème, la Haute-Marne avant-dernière et les Ardennes dernières. Alors, la Champagne-Ardenne serait-elle une région plus propice aux rigueurs de la guerre qu’à la douceur de vivre ? Et vous ne devinerez jamais quel est le département qui complète le trio des endroits les plus mal famés de France : la Seine-Saint-Denis ! Quoi, les Ardennes seraient encore plus « hard » à vivre que la Seine-Saint-Denis, dont tout le monde sait fort bien que les cités sont un modèle de savoir-vivre et de sérénité ! Mont-joie saint Denis !
Et Yanny Hureaux, écrivain et billettiste à L’Ardennais, de s’exclamer dans les colonnes de L’Express « Cela me fait mal pour mon pays parce que c’est faux ». Il ne conteste pourtant pas les mauvais chiffres : ceux du chômage, de la population en baisse, du faible nombre des équipements culturels et du taux de suicide plus élevé que la moyenne nationale, sans parler du mauvais temps. « La pluie, le froid ? Mais qui va raconter nos étés somptueux, nos automnes flamboyants ? », réplique à juste titre Yanny Hureaux.
Mais là où je ne le suis plus, c’est quand ce grand supporter de l’équipe de foot de Sedan lâche soudain : « Sedan nous vengera de tout cela. ». Que l’équipe de Sedan soit le porte-drapeau des Ardennes dans l’hexagone est une chose, mais le sport est d’abord un divertissement, et il est tout aussi excessif de lui prêter des vertus rédemptrices que d’en faire le véhicule exclusif de valeurs telles que « l’honneur ou la fierté » des habitants d’une région.
Une chose est sûre, c’est que l’article de L’Express a eu un impact considérable dans les Ardennes, à telle enseigne qu’il est vite devenu impossible de trouver un seul exemplaire du magazine dans tous les magasins de la presse… Comme si les Ardennais souffraient d’un réel manque de reconnaissance du reste de la France. Ce qui fait écho à ce que Jean-Paul Vaillant, fondateur de La grive, écrivait dès 1925 : « L’Ardenne est l’enfant scandaleusement sacrifié de la famille française ». Rien n’aurait donc changé depuis ce temps-là ?
L’Ardenne, ce jardin d’Eden pluvieux que fuit éperdument Arthur Rimbaud, dans sa quête solaire qui le conduisit aux confins de l'Abyssinie, où il se brûla les ailes, comme Icare, ce coin de France ignoré de la plupart des Français, et qui semble plus avoir partie liée avec la Belgique qu’avec notre pays, tant il est vrai qu’on pourrait croire que les Ardennais sont des Belges qui se défendent d’être belges, ce qui expliquerait la raison pour laquelle, sur le papier, le département des Ardennes semble faire la nique à la Belgique en lui plantant son index dans le postérieur, l’Ardenne, « Ce pays dont on ne revient pas » selon Goffette, poète magnifique natif de la Lorraine belge, l'Ardenne est un pays ardu mais qui n’interdit pas d’être hardi. Rimbaud en est la preuve lumineuse.