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Billet de blog 22 novembre 2015

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L'isthme étroit

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

On observe une étrange dissymétrie dans la langue française s’agissant des termes qui désignent la religion chrétienne et la religion musulmane. Ainsi, le pendant de christianisme est islam, islamisme signifiant tout autre chose.  Christianisme vient de christianos, « disciple du Christ », un mot formé sur le grec christos, qui traduit l’hébreu messiah, « oint », « consacré par le rite de l’onction »  (qui a donné messie en français), quand l’arabe islam, qui signifie « soumission, allégeance » (à Dieu), provient de salam, « paix, salut ». L’islam désigne la religion que pratiquent les musulmans, l’islamisme, en revanche, se réfère à une idéologie se servant de l’islam  à des fins politiques, ce qui est tout à fait différent. Islamisme, pour parler du dévoiement de l’islam.

Les mots sont importants, leur origine aussi. J’ai souvenir d’une enseignante de latin dont on m’avait rapporté qu’elle avait déclaré en cours de latin, dans un collège, que les mots messie et mission avaient une origine commune. Admirable profession d’ignorance ! Messie vient de l’hébreu, mission du latin, de mittere, « envoyer », qui a donné en français les mots missives, messe, messages et leurs dérivés.  Dire que messie et mission ont la même étymologie, c’est faire passer le vin de messe frelaté pour le sang sacré du Christ, c’est d’ailleurs ce que dans le jargon ecclésiastique l’on qualifie de « mystère de la transsubstantiation » lors de l’Eucharistie, une croyance dont la pratique relève du vampirisme religieux pur et dur. L’heuristique théologique catholique n’a pas de limite pour faire croire en tout et n’importe quoi, et le sacrement est l’outil parfait pour parer de mystère insondable (donc invérifiable) un rite cultuel qui participe à l’augmentation de grâce des fidèles. C’est d’ailleurs là que réside la force imparable de la religion. Mais revenons à nos moutons et à nos loups.

Islam, islamisme. Le suffixe -isme pour dire la dérive du mot (islam) auquel il s’accroche, comme une remorque qui chasse. On peut aussi parler d’une autre forme de dérive s’agissant du sens du mot arabe djihad, dont la racine signifie « effort ». En théorie, le djihad dans le Coran se réfère à la lutte intime qui oppose l’homme à son ego. Seulement voilà, de la notion d’effort à celle de combat, et de la notion de combat à celle de lutte armée, il n’y a qu’un pas, c’est ainsi qu’on aboutit à l’idée de  djihad mineur, pour parler de lutte armée — le djihad majeur désignant le combat contre soi-même.

Averroès, le philosophe, théologien islamique et juriste musulman andalou du XIIe siècle (considéré comme l’un des plus grands philosophes de la civilisation islamique), avait établi quatre catégories de djihad : le djihad du cœur (la lutte contre le moi intérieur), le djihad de la langue, le djihad de la main, et le djihad de l’épée. Aujourd’hui, plutôt que d’épée, il conviendrait de parler du djihad par la Kalachnikov. Et même si le djihad n’est pas seulement spirituel dans le Coran, force est de constater que son sens de lutte armée a relégué la notion d’effort sur soi-même au rang de mignardises à la fin d’un banquet barbare. Et les Dionysiens mieux savent mieux que quiconque à quel point la réunion des djihadistes à Saint-Denis le fut, barbare. 

En ce qui concerne le rapport entre islam et islamisme, on peut considérer que le suffixe -isme accolé au mot islam constitue une excroissance monstrueuse ou au contraire qu’il s’inscrit dans le prolongement naturel de l’islam, de même que la queue hérissée de pointes d’un stégosaure prolonge le corps de ce dinosaure de la fin du jurassique. Mais ce serait penser un peu vite et faire preuve de beaucoup d’amnésie, car ce qui passe à juste titre pour un dévoiement de l’islam n’est pas le propre de la religion musulmane. Le christianisme aussi, faut-il le rappeler, a eu ses dévoiements, ses fanatismes, ses extrémismes, ses folies sanguinaires, comme en témoignent la création de l’Inquisition en 1199 (par le Pape Innocent, III le mal nommé, pour réprimer le catharisme jugé hérétique) ou encore le déclenchement des Croisades (en 1095, par le pape Urbain II, lors du concile de Clermont). Précisons que l’Inquisition, une institution bien loin de la charité chrétienne, continue toujours d’exister sous l’appellation de la Congrégation pour la doctrine de la foi, dont le cardinal Ratzinger, l’ancien Pape benoît XVI, fut le Préfet, avec pour mission de  « veiller à la pureté de la doctrine ».

Mais la dérive dans le fanatisme n’est pas propre au religieux, même si la religion, par la réponse qu’elle apporte au besoin de croyance chez l’être humain, cristallise particulièrement bien le phénomène. On peut observer la manifestation du fanatisme dans le domaine politique et dans tout mouvement rassemblant suffisamment de gens soudés par des principes, des idéaux communs qui glissent vers les extrêmes. Le fanatisme s’exprime d’autant mieux que la communauté où il prend racine fonde son pouvoir sur le mépris de l’individu en faisant prévaloir un idéal commun théorique hors de portée. La tyrannie est à la fois le moyen et la fin du fanatisme, qui empêche l’individu de penser par lui-même et d’exercer son libre arbitre. L’islamisme, comme l’intégrisme catholique ou encore le nazisme, sont autant d’expressions de fanatisme dont l’intolérance le dispute à une volonté de puissance qui aboutit à l’oppression et à l’élimination de tous ceux qui ne s’y soumettent pas. Le fanatisme n’est pas le propre du religieux mais le fait de l’adhésion sans retenue à quelque idéologie que ce soit. L’être humain, de par le côté grégaire que favorise son mode de fonctionnement social, si l’on en juge par l’Histoire passée, semble particulièrement sujet à ce phénomène-là. Comme si l’isthme était étroit, entre la plongée vers le fanatisme d’un côté et l’ascension vers l’humanisme de l’autre.

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