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Billet de blog 24 octobre 2013

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Figure de style

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

L’anglais est langue efficace, experte dans la loi du moindre effort, championne des raccourcis et des abréviations, ce qu’on appelle aussi « apocope », une figure de style, non pas  un homologue de robocop à qui on a fait la peau. Techniquement parlant, l’apocope est le processus et l’abréviation le résultat : ainsi bra (« soutien-gorge ») venant de brassière, cab (« taxi ») de cabriolet, mob (« populace ») de mobile vulgus, phone de telephone, et ainsi de suite.

Le français n’est pas en reste, me direz-vous, avec cinéma qui vient de cinématographe (dont les frères Lumière, des Lyonnais, sont les inventeurs, rappelons-le), l’abréviation ultime, passée dans le langage courant, étant ciné. L’amuïssement, qui consiste en la disparition complète d’un phonème ou d’une syllabe, est la cause de l’apocope, symptôme de la paresse articulatoire à laquelle la langue finit par céder, inexorablement. L’amuïssement ne se produit pas d’un coup mais est le fruit d’une longue évolution, d’une longue paresse pour ainsi dire, qui conduit à la disparition du phonème ou d’une syllabe. Curieusement, la langue française, comme si elle avait mauvaise conscience, garde trace dans son orthographe, très conservatrice pour le coup, des phonèmes amuïs, ainsi le fameux accent circonflexe, comme par exemple dans le mot forêt, qui entretient le souvenir du « s »  caduc, tombé à l’automne des signes. La langue anglaise est moins hypocrite que le français, quand elle tranche, elle tranche dans le vif, il ne reste plus rien du membre amputé, sinon, elle conserve tous ses phonèmes qu’elle prononce rigoureusement, ainsi l’anglais forest, où le « s » n’est pas caduc mais bien persistant, comme les aiguilles des conifères (à l’exception notable du mélèze). C’est d’ailleurs une des raisons pour lesquelles la graphie de l’anglais est dépourvue de tout signe diacritique (signe complétant le graphème,  à l’instar des accents graphiques en français), dans la mesure où la langue prononce tout ce qui est écrit (toutes les consonnes graphiques). La mauvaise conscience que le français entretient avec la disparition des phonèmes conduit à des complications inévitables de son orthographe quand la confusion s’en mêle, ainsi le mot poids, dont le « s » graphique rappelle le souvenir du latin pensum, le « d » graphique s’étant invité par confusion avec le mot pondre. Il y a des erreurs graphiques moins visibles comme par exemple posthume, où le « h » parasite a pris racine dans l’étymon, par confusion avec humus, alors qu’il ne s’agit nullement d’humus ou de limon mais du superlatif latin de posturus (« dernier »),soit postumus. On observera la posture hiératique que prend le mot posthume ainsi paré d’un « h » comme d’une décoration, pour ne pas dire son imposture, symptôme d’une certaine préciosité bien française. Le « p » de dompter, qu’il convient d’ailleurs de ne pas prononcer (erreur commise par la plupart des locuteurs français)  est également un « p » de pure posture, comme pour donner un supplément de poids (de pensum, donc) au sens, alors que le mot vient du latin domitare, de domare, « dresser ». Il n’y a pas à dire, le français est une langue pour la montre avec tous ces (ses) graphèmes superflus qui encombrent l’orthographe. Et pourtant, cela fait partie du charme de la chose, car comment raisonnablement amputer posthume de son « h » postiche sans en désacraliser le sens et raccourcir sa postérité ?  On me dira que tout cela n’est que vaines considérations, peccadilles et autres béquilles pour pécores, peut-être. Il n’en demeure pas moins que la langue est à l’image d’un peuple parce qu’elle en est l’émanation et que les tours d’une langue (ses idiomatismes) reflètent la tournure d’esprit de ses locuteurs, aussi, les bizarreries du français ne sont-elles pas sans rapport avec la bizarrerie de tous ceux pour qui c’est la langue maternelle.

Apocope vient du grec apokoptein « retrancher », un mot qui n’est pas sans évoquer un homme politique du moment, Jean-François Copé, caporal chef de l’UMP clopin-clopant depuis la déchirure avec François Fillon. François Copé, s’il n’est pour rien dans le phénomène de l’apocope  linguistique, en revanche, est pour quelque chose dans l’apocope de la pensée politique à droite en ne cessant de vouloir procéder à des soustractions dans les acquis républicains, favorisant ainsi la porosité entre l’extrême droite et la droite traditionnelle. Jean-François Copé, qui, il y a quelques années, profitait sans vergogne de la piscine de son ami Ziad Takkiedine dans la propriété de ce dernier sur la Côte d’Azur, estime qu’il est plus judicieux de penser (penser vient du latin pendere, « peser ») plus à droite plutôt que de couler en écopant la chaloupe de l’UMP qui prend l’eau, il estime que c’est surtout plus honorable, quitte à se déshonorer. Le Caporal Copé pense qu’il est temps de repenser la question du droit du sol, qui, à ses dires, ne devrait plus être un droit naturel, mais quelque chose que l’on devrait gagner. Par ses mérites, sans nul doute. La question qui se pose est simple : à combien de générations faut-il remonter pour savoir si l’on est français de longue souche ou français de courte greffe, en d’autres termes, pas suffisamment français pour l’être ? Je rappelle que Nicolas Sarkozy, dont le Caporal Copé s’est toujours dit l’indéfectible soutien, est le fils de Pal Sarközy de Nagy-Bocsa, un immigré hongrois, et que, partant, la question du droit du sol pourrait se poser pour l’ex-président de la République française, lequel acquit naturellement la nationalité française en naissant sur le sol de France. C’est ce droit-là que le caporal en chef entend remettre en question, même si Henri Guaino,  ex-éminence grise de l’ex-président, dégaine haut pour s’opposer à cette idée qui sent le souffre. Il conviendrait de savoir, dès lors que ce droit ne serait plus acquis en naissant sur le sol français, si le fils de Pal Sarközy de Nagy-Bocsa a mérité de gagner la nationalité qu’il a acquise sans rien faire d’autre que de naître en France. Le caporal Copé répondra sans nul doute que la question ne se pose pas pour quelqu’un qui a été président de la République, certes, mais la réponse est un peu courte. Dans l’hypothèse (cauchemardesque) que le droit du sol soit revu et corrigé, on peut légitimement se demander si Nicolas Sarkozy (remarquons au passage l’abréviation de Sarközy de Nagy-Bocsa en Sarkozy tout court, preuve que l’apocope a produit son effet en une génération s’agissant de l’ex-président) n’a pas usurpé ce droit puisqu’il n’est français que d’une courte greffe, non pas de longue souche. Devrait-il être déchu de sa nationalité française ? On imagine un peu le goulash politique !  

Voilà donc l’apocope de la pensée politique façon Copé, une pensée poussée dans ses derniers retranchements, la pensée des éclopés de l’éthique politique, une pensée mutilée, amputée, une pensée qui vaut son pesant de plomb. C’est ce qu’on appelle une figure de style, pour faire oublier à quel point on fait triste figure.    

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