On sait comment commença la seconde guerre mondiale, par une succession de lâchetés diplomatiques, qui culmina avec les accords de Munich, signés en 1938, et qui fit dire à Winston Churchill, lucide : « Ils devaient choisir entre le déshonneur et la guerre. Ils ont choisi le déshonneur, et ils auront la guerre ». Au terme des accord de Munich, signés par l’Allemagne, la France, la Grande-Bretagne et l’Italie, les Sudètes, cette région située en Bohême et Moravie (dans l’actuelle Tchéquie), où la population germanophone était majoritaire, est accordé à l’Allemagne d’Hitler, et ce, en dépit du traité d’alliance que la France avait passé avec la Tchécoslovaquie pour garantir ses frontières. Suite à ce renoncement, pour ne pas dire cette félonie s’agissant de la France, la Tchécoslovaquie finira démembrée par l’Ogre nazi et incorporée au IIIe Reich.
L’annexion brutale de la Crimée par la Russie ranine de très mauvais souvenirs avec la passivité graduée de l’Europe. Car même si, aux dires d’une politologue, Vladimir Poutine ne serait pas « très courageux », il n’en demeure pas moins que l’appétit vient en mangeant et que l’annexion de la Crimée au pas de charge pourraient fort bien ne constituer que l’entrée d’un menu dont on ne connaît pas encore le détail. Les territoires de l’est de l’Ukraine, à majorité russophone, pourraient fort bien suivre l’exemple de la Crimée, ainsi que la Transnistrie ukrainienne de l’oblast d’Odessa, et, pourquoi pas, la Transnistrie moldave, située de l’autre côté de la frontière, en Moldavie par conséquent, ce petit pays d’une superficie semblable à la Belgique mais peuplé de moins de 4 millions d’habitants, coincé entre l’Ukraine et la Roumanie et dont les actuelles frontières sont le produit d’une recomposition du puzzle géopolitique de la région après la seconde guerre mondiale. La Moldavie, un pays sorti de la carrière poussiéreuse de l’Histoire, comme le dit d’ailleurs l’allemand Mulde (dont le nom Moldavie est extrait), une contrée qui donne l’impression d’être pétrie d’oubli tant l’Europe occidentale semble en ignorer l’existence.
En revanche, s’il y a bien un pays que les pays de l’Europe de l’Est ont du mal à oublier, c’est la Russie. Tout particulièrement la Pologne et les pays baltes, qui se sont libérés du joug soviétique après la chute du mur de Berlin. Il faut dire que, depuis la dislocation de l’union soviétique, la Russie a quand même réussi un tour de force en maintenant sa présence sur les bords de la Baltique avec l’enclave de Kaliningrad (l’ancienne Königsberg, capitale de la Prusse-Orientale, engloutie par le jeu des plaques tectoniques des puissances victorieuses de la seconde guerre mondiale), comme un coin logé entre la Pologne et la Lituanie, et qui semble n’attendre qu’un coup de masse pour fendre la façade lisse des pays qui bordent la mer Baltique, un bon coup de masse russe, il va sans dire. La récente annexion de la Crimée peut faire craindre le pire dans une partie de dominos à la russe (à moins qu’il ne s’agit de roulette) dont on ne sait pas trop jusqu’où cela pourrait bien mener.
Vladimir Poutine n’est peut-être pas très courageux, en revanche, son ego est gonflé à bloc. Il a eu ses jeux olympiques d’hiver de Sotchi, comme Hitler eut ses jeux olympiques d’été à Berlin, en 1936, et il a annexé sans coup férir la Crimée en mars 2014, comme Hitler, les Sudètes en 1938. Quel sera son prochain coup dans cette partie d’échecs ? L’Europe semble comme figée, dans l’attente de ce qui doit advenir. Poutine fait peur car il donne l’impression que rien n’a prise sur lui. Or rien n’est pire que la peur, qui paralyse. Certes, les Américains envoient des F-16 en Pologne, la France envoie aussi des avions de chasse dans le ciel des pays baltes, l’Otan prend l’Est sous son aile, mais cela ne semble pas impressionner Poutine, qui avance ses pions. Poutine a soif de pouvoir. Pour lui, la plus grande catastrophe du monde moderne fut la chute du mur de Berlin en 1989. Poutine a des rêves de grandeur. Il a recouvré la Crimée, conquise en 1768 par Catherine II de Russie. Poutine roule des mécaniques : il roule à moto en compagnie d’Alexandre Zaldostanov, le chef des Loups de la nuit, un groupuscule de motards russes dont le but déclaré est d’étendre l’influence russe dans le monde entier, il fait rouler la mécanique des chars à travers la Crimée. Jusqu’à maintenant, sa stratégie de l’épouvantail fonctionne, qui tient à distance respectueuse les Européens et lui laisse le champ libre. Quel est le coup limite dans ce jeu dangereux ? « Un coup de dés, jamais, n’abolira le hasard », écrit Mallarmé. Ou bien va-t-on rejouer la même partie qu’en 1939, même si aucune partie ne se ressemble ?