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Billet de blog 24 août 2013

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La bête du Gévaudan

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Ça y est, on remet le couvert, « Au loup, au loup ! », crie-t-on à Langogne, suite à quelques attaques qu’ont essuyées de malheureuses brebis en Lozère, département qui recouvre pratiquement l’ancien Gévaudan et ses vieux démons, ne l’oublions pas. C’est toujours la même rengaine, celle de la haine tenace à l’égard du loup, toujours cette même incapacité de l’homme à coexister avec des animaux qu’il estime être ses rivaux, des prédateurs donc, l’homme étant le super prédateur, le prédateur absolu. 

Faut-il le rappeler, le loup figure sur la liste des mammifères terrestres protégés sur l’ensemble du territoire, liste fixée par l’arrêté du 23 avril 2007. Le loup a complètement disparu du territoire français en 1940 suite à une volonté d’extermination de l’animal que cristallise notamment une loi française, celle du 3 août 1882. Exit le loup français. Fort heureusement, nos voisins espagnols et italiens n’ont pas manifesté une telle rage destructrice à l’égard du loup, qui est parvenu à subsister dans ces pays, surtout en Italie, dans les Abruzzes, où, en 1976, il est classé comme espèce menacée, ce qui permet d’éviter son extinction à l’échelle européenne.

Une chose est certaine, c’est que la présence récente du loup dans le Massif Central, après celle observée dans les Vosges en 2011, atteste que l’animal se réapproprie son territoire, à pas de loup. C’est un juste retour des choses. La réinsertion du loup est naturelle, elle s’inscrit dans le sillage de l’exode rural et de la reforestation concomitante et bénéficie de la création d’espaces protégés, comme par exemple celle du parc national du Mercantour, dans les Alpes-Maritimes, qui jouxte l’Italie, et où l’on observe, en 1992, le retour du loup en France. Le loup présent sur le territoire français est donc transalpin, puisqu’on estime que le dernier loup de souche française fut abattu dans le Limousin, en  1937.

Pourtant, malgré l’exode rural, la reforestation et la création  d’espaces protégés, les hommes (des bergers estampillés français, en l’occurrence) refusent toujours de partager leur territoire avec ces splendides animaux que sont les loups, des animaux dont on pourrait penser qu’ils sont jaloux, à entendre leurs clameurs vengeresses, qui résonnent de loin en loin : « Au loup, au loup ! » Une clameur qui remonte à loin, à l’Âge du Gévaudan, et plus loin encore… « Au loup, au loup ! », à l’aube des temps, entre chiens et loups, entre singes et sapiens. 

Il est quand même formidable de constater que dans un pays peuplé de plus de 60 millions de représentants de l’espèce Homo Sapiens, et où l’on estime la population de loups entre 250 et 400 individus, on puisse ainsi crier sans vergogne « Au loup, au loup ».  Le véritable fauve, c’est l’homme, massacreur professionnel et tueur en série de toutes les espèces animales sur Terre depuis que Sapiens en arpente les moindres recoins. Il faut quand même savoir que là où Sapiens est passé, depuis sa sortie du continent Africain par la porte du Sinaï, entre 20 000 et 30 000 ans avant notre ère, on observe une diminution sensible du nombre des populations animales dont il a croisé le chemin, ou qu’il a poursuivies plus exactement (c’est vraisemblablement en suivant les migrations des grands troupeaux que nos ancêtre seraient sortis d’Afrique). Ainsi, l’extinction de la mégafaune australienne, datée avec précision, - 46000 ans, coïncide avec l’apparition de l’Homme sur le continent australien, arrivé autour de 55000 ans avant notre ère. La pratique des brûlis de la végétation australienne par les ancêtres des aborigènes, combinée à une période d’assèchement de l’Australie, aurait abouti à la disparition pure et simple des grands animaux d’Australie.

Le plus terrible des fauves, et de loin, c’est l’Homme. Il ne faut pas l’oublier.

Pour répondre à la complainte des bergers de France, dont on assassine les brebis impunément, des mesures simples et efficaces pourraient être prises. Au lieu de dépenser annuellement 12 millions d’euros pour indemniser les éleveurs, l’État français serait bien inspiré d’utiliser cet argent pour former les bergers et les équiper de chiens dressés pour lutter contre les attaques des loups (dans le Mercantour, les patous s’avèrent d’excellents chiens de protection de troupeau).

Quant aux pertes qui subsisteraient, il faut savoir faire la part du feu, la part du loup. La formule de Pascal Picq, plus que jamais, trouve là tout son sens : « L’humain est bien une invention des hommes, qui repose sur notre héritage évolutif partagé, mais n'est pas une évidence pour autant. Homo sapiens n’est pas humain de fait. Il a inventé l’humain et il lui reste à devenir humain, ce qui sera fait lorsqu’il regardera le monde qui l’entoure avec humanité. » 

Quand l’homme entourera de bienveillance le loup, alors seulement il pourra être répertorié comme « être humain ».  On ne naît pas humain, on le devient (si jamais on le devient).    

(cf. une précédente chronique consacrée en partie à Shaun Ellis, « un homme parmi les loups » : http://blogs.mediapart.fr/blog/pierre-caumont/150512/de-la-nature-animale-et-de-la-betise-humaine )

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