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Billet de blog 25 mai 2013

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Il n'y a plus de saison

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Elle est connue l’illusion rétrospective consistant à penser qu’avant, c’était mieux, avant, c’est-à-dire, au temps de sa jeunesse. C’est la plupart du temps une illusion car, en réalité, les choses ne sont pas mieux avant, c’est seulement sa jeunesse qu’on regrette à mesure qu’on s’éloigne d’elle, inexorablement. 

Mais s’agissant du temps météorologique, il ressort de plus en plus clairement qu’avant c’était mieux, avant que la chaudière climatique ne se détraque. Il  suffit de constater depuis quelques années à quel point le temps se dégrade dans l’Europe de l’ouest, à quel point les saisons s’effilochent au fil du temps, comme ce printemps mis en charpie. Même si l’on manque encore de données pour l’affirmer, il semble que la fonte de la calotte glaciaire arctique perturbe passablement les courants aériens de l’hémisphère septentrional et que la masse d’eau qui en résulte serait la cause de ces printemps pluvieux qui affligent de manière récurrente l’Europe occidentale, avec ces épisodes d’inondation concomitants. Alors évidemment, rien n’est sûr, les climatologues l’admettent eux-mêmes, le climat évolue à une telle vitesse que les modèles climatiques prévisionnels sont à peine élaborés qu’ils sont déjà dépassés, comme si ce qui nous arrivait avait invariablement de l’avance sur nous et nous prenait perpétuellement de court.  

Par un effet pervers, le réchauffement climatique global à pour conséquence d’accentuer les phénomènes extrêmes, comme on l’observe en différents endroits de la planète, entre les inondations catastrophiques qui frappent l’Europe depuis quelques années et les sécheresses à répétition auxquelles les Etats-Unis sont en proie comme l’Europe méridionale, propices à d’effroyables feux de forêt. L’Europe voit aussi l’apparition de plus en plus fréquente de (mini-) tornades, des phénomènes qui, jusque-là, se cantonnaient surtout aux océans et aux vastes plaines du middle-west américain, théâtres de « twisters » qui dévastent tout sur leur passage. 

Dans les dernières années du XXe siècle, un chercheur britannique, dont l’objet d’étude était le Gulf Stream, avait déjà constaté lors de ses mesures établies sur plusieurs décennies, que la salinité de l’eau de mer entre l’Islande et le Groenland ne cessait de baisser. La zone maritime sur laquelle le scientifique mesurait la concentration de sel marin se trouve entre l’Islande et le Groenland et correspond à l’endroit où les eaux du Gulf Stream, alors refroidies, plongent vers les fonds marins pour amorcer une boucle en prenant la direction du Golf du Mexique, créant ainsi « l’effet tapis roulant » du Gulf Stream. Le scientifique estimait alors que nous étions au bord du point de rupture de la mécanique du Gulf Stream du fait de la baisse de la salinité. En effet, pour que les eaux plongent entre l’Islande et le Groenland,  ce qui fonde la dynamique du courant marin, il faut que les eaux soient « lourdes », ce qui ne se produit qu’à la condition d’un refroidissement des eaux combiné avec un certain taux de sel. Le principe de la circulation thermohaline (la circulation permanente de l’eau des océans sur toute la surface du globe, ce qui participe à la  redistribution de la chaleur sur la Terre) réside dans la différence de température et de salinité des masses d’eau : les eaux arctiques, plus denses, c’est-à-dire, plus froides et plus salées que les eaux atlantiques, plongent sous ces dernières, ce qui crée une aspiration des eaux atlantiques vers le nord. Si la salinité n’est pas suffisante, les eaux ne seront pas suffisamment lourdes pour plonger, ce qui provoquera la panne automatique du Gulf Stream. On estime que la puissance énergétique du Gulf Stream équivaut à celle de dizaines de milliers de centrales thermiques. Or la calotte glacière du Groenland fond à vue d’œil depuis des décennies, ce qui a pour effet de diminuer la salinité dans la zone cruciale où plongent les eaux du Gulf Stream. Depuis le début du XXIe siècle, d’autres chercheurs estiment que dans la mesure où le Gulf Stream fait partie d’un plus vaste ensemble de courants, une « gyre océanique » (gigantesque mouvement giratoire d’eau océanique formé par un ensemble de courants marins) autour de l’anticyclone des Açores qui fait office de moteur (le principe de la dynamique des courants reposant sur la différence de température entre l’équateur et le pôle Nord), la baisse de la salinité dans la zone entre l’Islande et le Groenland n’aurait, selon eux, qu’un impact négligeable sur le Gulf Stream. L’hypothèse du film catastrophe de Roland Emmerich, Le jour d’après, sorti en 2004, serait donc pure fantaisie. Pourtant, l’analyse de carottes de glace extraites de la calotte du Groenland révèle que dans un passé reculé, il y a quelques centaines de milliers d’années, il est déjà arrivé que le climat change brusquement et que la température chute brutalement, non pas à l’échelle du siècle, mais à celle de l’année, voire du mois. La glace ayant comme propriété de capturer les éléments de l’atmosphère au moment où elle se forme (elle révèle ainsi les différentes particules présentes dans l’atmosphère ainsi que les taux de carbone et de méthane,  des indices qui permettent de calculer la température moyenne qui régnait alors),  la calotte glaciaire groenlandaise, forte d’une épaisseur de plusieurs milliers mètres, est ainsi la mémoire du temps météorologique de la planète. Alors, qui sait, si le Gulf Stream ou la gyre océanique dont il fait partie, ne se serait pas déjà brutalement arrêté, pour une raison ou une autre, entraînant un brutal arrêt de la chaudière climatique planétaire ? Et qui sait, si l’une des conséquences de la perturbation des courants océaniques n’a pas pour effet de déplacer l’anticyclone des Açores, qui depuis quelque temps, a tendance à dériver vers l’ouest, ce qui explique qu’il protège de moins en moins l’Europe contre l’air froid venu du Pôle.

Quoi qu’il en soit, nul d’être besoin d’être plombier pour remarquer que la chaudière climatique a des ratés inquiétants, au point que ce mois de mai 2013, en Europe, ressemble à s’y méprendre à un mois de mars agité de tressaillements spasmodiques. Non, il n’y plus de saison, et ce mois de mai calamiteux renvoie au vestiaire le dicton populaire : « En mai, fais ce qu’il te plaît ». À ce rythme-là, on risque fort de dire à l’avenir, après « en avril, ne te découvre pas d’un fil », « en mai, remets ton gilet ». 

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