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Billet de blog 25 juillet 2019

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Le syndrome du Titanic

On observe depuis quelque temps une sensible dégradation du comportement des gens dans tous les compartiments de l’espace social,

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Illustration 1
Panneau Leclerc

qu’il s’agisse des services publics comme des surfaces commerciales, un phénomène révélateur de la perte progressive du sens du savoir-vivre des citoyens de cette société et de leur capacité à vivre ensemble en bonne intelligence. Dans les commerces, le phénomène des incivilités a pris une dimension telle que les magasins Leclerc notamment affichent même un rappel à la loi (sur les séparateurs que l’on dispose sur le tapis roulant des caisses) pour sanctionner les incivilités de la part des consommateurs  dont le rapport à l’argent, le sentiment de puissance que l’argent confère, altère tout simplement le sens du savoir-vivre le plus élémentaire.

« Le client est roi » : ce slogan inventé par le commerce dans une économie de type capitaliste se paie au prix fort, et son impact sur les consciences est tout simplement désastreux. « Le client est roi », un slogan délétère devenu un permis du « tout est permis » ou presque pour les citoyens consommateurs qui s’autorisent des comportements inadmissibles.

Cette dégradation du vivre-ensemble affecte les services publics en France, et tous les secteurs sont concernés, notamment les services de santé où l’augmentation des violences et des incivilités constatées en milieu hospitalier de la part des usagers à l’égard des personnels est devenue symptomatique de la détérioration des rapports sociaux en France. Et cela alors qu’une grande partie des citoyens déplorent le recul de la présence des services de l’État.

Curieusement, ce phénomène apparaît à une époque où tout le monde se pique d’être connecté, où tout le monde se connecte en permanence au monde entier sur internet, par l’intermédiaire des réseaux sociaux, comme si plus les êtres humains se connectaient entre eux et plus ils s’autorisaient des écarts de comportement dans la réalité sociale, plus ils se déconnectaient de ce qui fonde l’humanité même : la sociabilité. Comme s’il y avait d’une part une sociabilité numérique, une sociabilité virtuelle, et d’autre part, une sociabilité réelle, et qu’entre les deux un fossé se creusait de plus en plus.

L’accès d’internet par les téléphones portables ne fait que renforcer le phénomène selon lequel l’homobile devient de plus en plus habile à utiliser les services mis en place par le recours aux innombrables appli disponibles sur les smartphones tout en se jouant de plus en plus des règles du jeu social élémentaire : le savoir-vivre, c’est-à-dire, cette capacité à vivre ensemble grâce à une souplesse que permet le jeu du civisme et des civilités.

Le mouvement des Gilets jaunes en France est tout aussi révélateur de cette dégradation des rapports sociaux par l’irruption des actes de violence lors des défilés et des menaces qui finirent par devenir constitutifs de ce mouvement de contestation sociale qui a duré près de neuf mois. La violence étant devenu un moyen légitimé, revendiqué même comme levier social par les plus radicaux des Gilets jaunes. On a atteint un pic dans la fièvre jaune lors du défilé du samedi 2 décembre à Paris qui a vu l’Arc de Triomphe saccagé et souillé par des hordes des barbares urbains en marge du défilé des Gilets jaunes proprement dit.

Un mouvement venu d’internet, né des réseaux sociaux. Internet, comme un monde parallèle qui interagit avec le monde réel, un monde dont la force d’attraction s’exerce de plus en plus sur la planète Terre au vu de l’évolution des mœurs. Ainsi cette manie issue des réseaux sociaux de vouloir tout évaluer, tout estimer, juger, noter, commenter, avec cette mode maladive des like numériques qui fleurissent à tout bout de champ sur les pages internet, les like et leurs contraires, avec ces appréciations ou ces commentaires négatifs qui prolifèrent à la façon des métastases, cette mode du jugement à tout-va qui fait que tout est soumis en permanence au jugement de tout le monde, que tout et n’importe quoi est évalué n’importe comment par n’importe qui à n’importe quel moment, cette manie pathologique qui érige la foule anonyme en tribunal permanent participe à cette dégradation du climat social en plaçant tout le monde sous le regard de tous, la société entière étant ainsi exposée à la pression du jugement numérique de la foule anonyme, un jugement sans appel ni vérification possible, qui tombe du ciel comme la foudre, un jugement transcendant, irrévocable. Big Brother, c’est la foule anonyme, omniprésente, omnipotente, qui fait passer ses avis partisans, ses appréciations orientées sur internet comme la manifestation de son omniscience.

Internet est devenu le lieu de la transcendance sociale interactive où les condamnations et les oracles sont prononcés. Le rivage de toutes les rumeurs rythmé par les marées de fake news qui inondent la société. Le levier d’une tyrannie numérique aux mains des influenceurs, des complotistes et des négateurs de tout poil qui se servent de cette courroie de transmission de rêve pour imposer leur opinion et diffuser leurs toxines. L’officine britannique Cambridge analytica qui s’est servie indûment des données de Facebook pour influencer la campagne américaine en 2016 montre à quel point le danger est réel.

L’état de délabrement du monde actuel, un délabrement à tous les étages, fait penser au naufrage du Titanic, comme l’avait déjà fait remarquer Nicolas Hulot avec Le syndrome du Titanic, paru en 2005. Le Titanic sombre peu à peu sous nos yeux alors que nous, passagers à son bord, continuons à faire comme si de rien n’était, ou presque, avec cette arrogance de certains qui se proclament « maîtres du monde » (c’est d’ailleurs une tirade du personnage de Jack Dawson, interprété par  Leonardo DiCaprio, dans le film de James Cameron sorti en 1997 : « I’m the king of the world ! », lâche-il à la proue du Titanic dont l’étrave majestueuse fend l’océan, ce qui donne ce sentiment de toute-puissance au personnage.)

Cette augmentation des violences constatées dans l’espace social, cette recrudescence des incivilités, cette perte progressive du sens du savoir-vivre, ne seraient-elles pas les signes avant-coureurs de l’entropie mondiale générale, du naufrage inéluctable du Titanic planétaire dont nous sommes les passagers, nous, êtres humains, qui n’avons pas le pied marin ?

On croyait le Titanic insubmersible, de même qu’on a longtemps cru que la planète pouvait être exploitée sans fin. On mesure aujourd’hui l’impact de cette exploitation forcenée de la nature par l’homme depuis 10 000 ans, depuis l’invention de l’agriculture, et de ses dommages irréversibles sur l’état de la planète au vu du dérèglement climatique dont l’emballement prend toujours de vitesse les scénarios climatiques anticipés par les climatologues du monde entier.

Et pourtant, malgré l’évidence des ratés de plus en plus manifestes de la chaudière climatique, cela n’empêche pas les deux présidents des deux pays les plus peuplés du nouveau monde, soit les États-Unis de Trump et le Brésil de Bolsonaro, d’aller à contre-courant, en dépit du bon sens, le sens de l’intérêt général, autrement dit, de l’intérêt du monde entier, l’intérêt de la planète, le premier en se retirant de la COP de Paris et en faisant la promotion des mines de charbon, le second en favorisant la déforestation de l’Amazonie pour satisfaire l’appétit insatiable de groupes agro-industriels. C’est toujours le même problème : la rapacité humaine alliée à une politique d’intérêts économiques particuliers à courte vue est cause de tous les maux.

Et on voit mal comment l’homme pourrait redresser la barre en quelques années depuis qu’on a pris la mesure du dérèglement de la chaudière climatique, lui qui s’est ingénié à soumettre la nature depuis 10 000 ans, à la plier à sa volonté sans se soucier des conséquences de son action.  10 000 ans, même si c’est une portion de temps ridicule à l’échelle géologique, à l’échelle de l’humanité et des habitudes prises, cela n’est pas rien. 10 000 ans, comme 10 000 tonnes (un cinquième de la masse totale de la pyramide de Khéops) sur les épaules de l’homme.

Souvenons-nous que l’homo sapiens est sorti du continent africain il y a 100 000 ans seulement. À cette époque, on estime que la population mondiale s’élevait à un demi-million. Les solutions qui auraient pu être valables pour une population d’un demi-million ne le sont évidemment plus pour une population de 7 milliards d’individus. Le véritable problème est numérique. Nous ne connaissons une telle accumulation de problèmes que pour la simple raison que la planète est surpeuplée. Ce qui a provoqué le dérèglement climatique n’est jamais que la conséquence directe de la croissance démographique mondiale dont la courbe, qui s’élève comme la température globale mondiale, devrait atteindre 16 milliards d’individus en 2100 selon les projections des démographes, en appliquant la variante haute. Il y a cependant une autre hypothèse, en appliquant la variante basse, qui prévoit que la population décline et qu’elle se réduise à 6 milliards d’individus. Sans pareille surpopulation, la Terre n’aurait tout simplement jamais connu cet effet de cloche sur Terre produit par les gaz à effets de serre, ces gaz étant le produit de l’activité humaine générée pour assurer les besoins croissants d’une population mondiale de 7 milliards d’individus.

Le choc contre l’iceberg erratique qui éventre la coque du Titanic provoque d’abord l’inondation de la  salle des machines dans les soutes du paquebot, et, peu à peu, l’eau monte inexorablement, finissant par provoquer la panique des passagers en inondant les niveaux supérieurs qu’ils occupent. On connaît l’histoire : les canots de sauvetage prévus sur le paquebot « insubmersible » sont en nombre insuffisants pour accueillir tous les passagers et ceux qui sont mis à l’eau n’accueillent pas autant de personnes qu’ils auraient dû, par un mélange de peur, de lâcheté et d’imbécillité des passagers secourus, un cocktail qui caractérise les êtres humains en situation de catastrophe. Le chaos provoqué par le naufrage est la cause de cette inhumanité observée également lors du naufrage du Concordia survenu au large de la Toscane, en janvier 2012, au cours duquel on a surpris des passagers en train de se battre et de se piétiner au lieu d’observer un minimum de discipline pour faciliter l’évacuation de tout le monde. On s’est d’ailleurs aperçus à cette occasion-là que l’équipage du paquebot (composé d’une multitude de nationalités différentes) manquait de la formation élémentaire pour procéder à une évacuation correcte du vaisseau en perdition.

L’humanité n’évolue pas au sens où elle ne progresse pas, elle ne tire aucun enseignement des catastrophes précédentes, et à chaque fois, elle est prise en flagrant délit d’impréparation quand une nouvelle catastrophe la surprend. Les mêmes causes, l’arrogance, l’imbécillité, l’aveuglement, produisent invariablement les mêmes effets. Le désastre est en marche.

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