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Billet de blog 26 février 2014

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Paco, tout feu tout flamenco

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Dans le monde de la musique, il est des disparitions qui dépassent le mur du son, comme celle de Paco de Lucia, maître andalou de la guitarra flamenca. Des pertes irrémédiables pour les aficionados de flamenco, et plus encore, pour les guitaristes, toutes cordes confondues.  

Né en 1947 à Algésiras, une ville nichée au fin fond de l’Andalousie, Paco (Francisco Sánchez Gomez de son vrai nom) est à peine âgé de cinq ans quand il est mis à la guitare par son père, lui-même guitariste (un piètre musicien, dira plus tard de lui Paco), qui lui impose de travailler l’instrument jusqu’à douze heures par jour. Et ce qui, au vu d’un apprentissage aussi doux qu’une condamnation aux travaux forcés, aurait dû normalement provoquer un rejet de l’instrument, produisit un miracle authentique : un prodige était né à la force du poignet.  À douze ans, Paco de Lucia remporte le prix spécial d’un concours de Flamenco dans la ville de Jerez, et à quatorze ans il part en tournée. En 1965, il a alors seulement dix-huit ans, il enregistre son premier disque solo.

En 1980, la rencontre avec John McLaughlin et Al Di Meola, guitaristes de jazz fusion (John McLaughlin s’était illustré avec le groupe Mahavishnu Orchestra, puis avec la formation d’inspiration indienne Shaki, Al Di Meola, lui avec Return Forever, sous la houlette du claviériste Chick Corea) sera déterminante. Au contact de ses deux compères de scène, Paco apprendra alors l’improvisation à la guitare, dont il dira qu’au début cela lui coûtait tellement d’efforts que son corps tout entier se trouvait soumis à de terribles tensions internes. Quand il reparlera plus tard de ses premiers pas en tant qu’improvisateur aux côtés de John Mc Laughlin et d’Al Di Meola, Paco, avec son immense humilité de grand artiste, comparera d’ailleurs cet exercice à la marche d’un funambule suspendu au-dessus du vide, dont la progression était pour lui si périlleuse à l’époque qu’il ne savait pas si le pas suivant n’allait pas le précipiter dans l’abîme.

La tournée mondiale que le trio effectuera en 1980, qui portera la guitare instrumentale à un degré de virtuosité encore inégalé, aboutira à un disque live, Friday night in San Francisco, sorti en 1981, qui sera un des meilleures ventes de disques de guitare instrumentale.

Paco s’associera aussi à la légende du canto, le flamenco chanté, Camarón de la Isla, mort prématurément en 1992. Paco, qui disait que le génie composait de 99% de transpiration pour 1% d’inspiration, déclara lors d’un entretien qu’il se cachait en fait derrière la guitare car son rêve eût été de chanter, d’être sur le devant de la scène, comme son ami Camarón. Mais voilà la timidité incurable dont Paco s’estimait frappé le forcera à se cantonner à la guitare, à se cacher derrière sa caisse. Quelle chance inespérée pour les guitaristes du monde entier que Paco ait été un grand timide, car sinon, s’il avait cédé aux sirènes du canto, on aurait perdu ce formidable corps à cordes sonore que Paco entretint avec la guitare quarante années durant, ce corps à cordes inouï dont la beauté atteint sans doute son paroxysme dans l’album qui s’intitule Luzia, paru en 1998,  l’album de la maturité et un des sommets de la guitare flamenca. Preuve s’il en est que le véritable génie est pétri d’humilité, comme Paco, lui qui, caché derrière sa guitare, révéla cet instrument comme nul autre ne l’avait encore jamais fait.

Il est une pièce que John McLaughlin composa en 1979, présente dans l’album Electric guitarist, et qui s’intitule Guardian angel, une pièce de toute beauté par son arpégé vertigineux, réarrangé par le trio composé par Al Di Meola, John McLaughlin et Paco de Lucia, et qui figure dans Friday night in San Francisco. En voici le lien sur youtube : http://www.youtube.com/watch?v=Ul0AvwUVPUI

Paco s’y illustre avec son attaque percutante, comme à son accoutumée, cette patte à nulle autre pareille, ce duende à bout de doigts, cette grâce des enchanteurs andalous de la guitare. Pour les guitaristes qui aimeraient toucher du doigt Guardian angel (la version originale d’Electric guitarist), je les renvoie à la transcription que j’en ai faite (en deux pistes, avec la partie arpégée et la partie solo) et qui est disponible au lien suivant (il convient d’avoir le logiciel Guitar Pro (5 ou 6) pour lire le fichier musical) :

http://tabs.ultimate-guitar.com/j/john_mclaughlin/guardian_angel_ver3_guitar_pro.htm

 (Il faut cliquer sur l’onglet Download guitar pro tab qui apparaît à l’écran pour télécharger le fichier).

Grâce soit donc rendue à Paco de Lucia, Maestro de la guitarra flamenca. Son plus digne héritier, bien vivant lui, est un cordouan, il s’appelle Vicente Amigo. Lui aussi lance des sortilèges sonores comme nul autre (cf. De mi corazon al aire), en convoquant fougue et passion, foudre et potion, tout feu, tout flamenco, comme Paco, son aîné, son patron, et maintenant, la figure tutélaire magistrale qui déploie son envergure lumineuse par-dessus le monde en deuil de la guitare flamenca. 

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