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Billet de blog 26 mars 2014

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Révélation…

Apocalypse, la 1ère Guerre mondiale, cette série documentaire télévisée retraçant la guerre de 14-18 en cinq épisodes, basée sur des images d’archives restaurées et colorisées, un travail effectué par Isabelle Clark et Daniel et Costelle, est un grand moment de télévision, où télévision, pour l’occasion, rime avec révélation (c’est d’ailleurs le sens du grec apocalypsis).

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Apocalypse, la 1ère Guerre mondiale, cette série documentaire télévisée retraçant la guerre de 14-18 en cinq épisodes, basée sur des images d’archives restaurées et colorisées, un travail effectué par Isabelle Clark et Daniel et Costelle, est un grand moment de télévision, où télévision, pour l’occasion, rime avec révélation (c’est d’ailleurs le sens du grec apocalypsis).

Parce que la plupart du temps, quand on regarde des images d’archives de la grande guerre, tout y paraît tellement vieillot et suranné que la vérité des évènements s’en trouve escamotée, un peu comme sur ces vieilles photos de famille sépia, où les personne semblent tellement pétrifiés par la solennité de l’instant que tout y semble convenu, comme s’ils jouaient un rôle en posant. De la même manière, les images d’archives de 14-18 donnent souvent l’impression d’événements qui auraient posé devant l’objectif, si l’on peut dire, des scènes qui, du coup, ont l’air posé. Comme si ces images d’archives, au lieu de révéler le passé, tendaient un voile entre la réalité et le spectateur, escamotant ainsi la vérité crue de cette tragédie historique. Les images d’archives comportent souvent un côté quasi-burlesque, un peu comme les vieux films muets de Buster Keaton, ou de Charlie Chaplin, non pas qu’il y ait eu cette intention (à la différence des films des deux cinéaste cités), mais parce que la manière dont ont été filmés les événements, les personnages, avec ce côté saccadé souvent, comme passés à travers le prisme d’un stroboscope, la manière dont le montage a été effectué, tout cela concourt à conférer un côté comique du point de vue de spectateur du XXIe siècle. Le fait qu’il s’agisse d’images en noir et blanc, d’images sans bande-son, renforce le côté plaisant, pour ne pas dire comique. Et quand bien même l’on sait qu’il s’agit d’événements effroyables, la vision de ces images escamote en partie le passé, on n’en perçoit pas la chair, le goût de sang, l’odeur de feu, le poids du fer.

Avec cette série en cinq épisodes, rien de tel : la 1ère Guerre mondiale apparaît dans toute son horreur vivante, les images restituent la chair sanglante des événements, les soldats y sont bien vivants, terriblement pantelants, morts de peur, dégoulinants dans leur sang, pataugeant dans la boue des tranchées où grouillent les rats, les soldats vivent dans leur trou comme des rats, dans le froid, ils sont mutilés, estropiés, broyés, martyrisés. La voix sobre, nette de Mathieu Kassovitz contribue à décaper implacablement la moindre trace de vernis qui aurait pu subsister pour mettre à nu au scalpel la chair de la Grande guerre, pour écorcher la réalité cruelle et exposer sa carcasse sanglante à l’écran comme au crochet d’un boucher. Il est bien loin le côté comique involontaire des images d’archives, avec Apocalypse, la 1ère Guerre mondiale, on prend la guerre en plein dans les yeux, comme une pluie de feu et de fer, retour à l’enfer. La guerre crève l’écran, crève les yeux, le commentaire de Kassowitz crève les tympans : c’est effroyable.

Ce document extraordinaire, par son montage intelligent, ces images colorisées, comme exhumées du cimetière du passé, ramène littéralement à la vie la Grande guerre enfouie sous des monceaux d’images empesées, figées dans la graisse refroidie du temps, un peu comme ces monuments aux morts partout en France qui, loin de rendre palpable l’horreur de la guerre, par leur côté solennel, dérobent la réalité cruelle en imposant leur marbre, des monuments qui, par un effet pervers involontaire, donnent l’impression d’honorer la guerre au lieu d’honorer le sacrifice des soldats forcés de verser leur sang pour la patrie.  En permettant au téléspectateur de se projeter dans les évènements narrés et ainsi, en s’identifiant à des personnages anonymes, de s’associer à leur martyre, cette série documentaire réalise un tour de force insigne réservé aux films de fiction, dont le pouvoir est fondé sur le processus de projection.

Avec la série documentaire réalisée par Isabelle Clark et Daniel et Costelle, on ne verra plus jamais avec les mêmes yeux la Grande guerre, cette guerre dont la grandeur guerrière consista à déchiqueter toute une génération d’hommes. Cette monstruosité, cette inhumanité propre à l’humanité constitue en vérité la cave de notre monde moderne. Notre civilisation a beau construire par-dessus la cave, de vouloir s’élever toujours plus haut, comme pour faire oublier la cave en bas, la caverne obscure d’où notre monde est originaire, pétri de feu et de fer, de peur et de guerre, la cave nous rappelle la nature fondamentale de l’être humain. Et ce n’est pas le rêve de Babel qui sauvera l’humanité, cette échappatoire vers le haut qui fait que l’homme finit par se prendre pour Dieu. Loin d’être un dieu lumineux, l’humain n’est qu’un gnome ténébreux, un nain né de la nuit, ce que rappelle la cave de la 1ère Guerre mondiale, qui pose les fondations de notre monde moderne, pétri de feu et de fer, de peur et de guerre. Et cet enfer, qui s’est ouvert sous les pieds de l’humanité il y a un siècle, cet enfer reste présent pour l’éternité : il continue d’exister. Un siècle, cela peut sembler loin à l’échelle humaine, quand, en vérité, c’est le temps d’un clignement d’étoile, le temps d’un battement de ciel. Un siècle, c’est un peu de poussière, si peu. Et l’humanité qui pense être tellement loin se trompe lourdement : le passé ne passe pas, il reste à jamais présent. C’est la raison pour laquelle l’Homme ne retient jamais les leçons de l’Histoire, la raison pour laquelle rien, au fond, ne change ni ne progresse. 

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