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Billet de blog 27 octobre 2013

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L'heure d'hiver

Nous sommes passés à l’heure d’hiver, et comme à chaque fois en cette circonstance, il a fallu huiler les rouages de son horlogerie corticale pour se dire qu’en reculant d’une heure, on allait gagner une heure de sommeil dominical

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Nous sommes passés à l’heure d’hiver, et comme à chaque fois en cette circonstance, il a fallu huiler les rouages de son horlogerie corticale pour se dire qu’en reculant d’une heure, on allait gagner une heure de sommeil dominical, mais que ce faisant (tout en changeant l’heure  de tous les appareils domestiques indiquant le passage du temps, montres, réveils et autre pendules de la maisonnée, à l’exception notable des ordinateurs, tous  dressés à changer d’heure tout seuls, ainsi que des décodeurs des programmes de télévision reçus par la voie du satellite), on perdait de vue le soleil plus tôt et on avançait plus loin dans la nuit, de quoi s’y perdre, comme à l’accoutumée lors de ce grand charivari horaire. D’ailleurs, on se pose toujours la question du bénéfice de toute cette opération qui, si elle a le mérite de nous interroger sur notre rapport au temps, a aussi celui de perturber tout le monde, y compris les bêtes assujetties au rythme social des humains, je pense au bétail et en particulier en ce qui concerne les heures de traite.  

Soit dit-en passant, cette question du bien-être de l’animal rappelle la monstrueuse bêtise de notre philosophe national, René Descartes, quand le grand homme énonça le concept d’animal-machine dans une vision mécaniste du réel, vision poussée à l’extrême par un de ses épigones, Nicolas Malebranche le bien nommé, pour qui les cris de douleur d’un animal n’étaient que les signes manifestes d’un dérèglement dans les rouages de la machine, non pas l’expression d’une souffrance. Cette pensée cartésienne et ses mauvaises branches, loin de faire gagner l’homme en humanité (en particulier dans son rapport avec les animaux), s’inscrit en réalité dans une vaste entreprise de déculpabilisation collective de l’espèce humaine dont l’existence repose sur l’exploitation des animaux quand il ne les tue pas pour vivre tout simplement.  Il va sans dire que ce type de pensée a causé beaucoup de mal à l’animal ainsi réifié et nié dans sa sensibilité. Une piqûre de rappel s’impose ici avec une pensée de Pascal Picq, paléoanthropologue de son état : « L’humain est bien une invention des hommes, qui repose sur notre héritage évolutif partagé, mais n'est pas une évidence pour autant. Homo sapiens n’est pas humain de fait. Il a inventé l’humain et il lui reste à devenir humain, ce qui sera fait lorsqu’il regardera le monde qui l’entoure avec humanité. »

Nous sommes donc passés à l’heure d’hiver, et le chant d’automne baudelairien résonne déjà au plus près de soi :

Bientôt nous plongerons dans les froides ténèbres ;

Adieu, vive clarté de nos étés  trop courts !

J’entends déjà tomber avec des chocs funèbres

Le bois retentissant sur le pavé des cours.

Mais étrangement, ce chant souverain  réchauffe les sangs, ce n’est pas une oraison funèbre mais un appel à la vie.

Nous avons reculé d’une heure pour passer à l’heure d’hiver, ce qui est devenu un rite de passage collectif, mais ce qui fait autrement plus frémir, c’est que la France recule aussi de la conscience pour passer à l’heure bleu marine, si l’on en croit les sondages d’opinion, où le parti de Marine Le Pen, pour un tiers des citoyens de notre beau pays, passe pour un parti comme les autres. Marine le Pen aurait-elle gagné son pari pour avoir faire oublier aux Français ce qu’était le Front National et faire que ce parti fasse partie du paysage politique ? Quelle est donc cette culture de l’amnésie en France, cette organisation de l’oubli pour accepter que des gens pareils puissent exercer des fonctions publiques ? Le Front National se fonde sur un terreau de peurs  où la haine le dispute  à une foncière malhonnêteté intellectuelle au service d’une imbécillité qui n’a d’égale que la cécité des vues de ses dirigeants. Justifier son vote pour le FN en le qualifiant de vote contestataire, par dépit, ou par rejet des autres,  est une infamie. Autant ne pas voter, ou voter blanc, que donner sa voix à un parti de la négation, qui se gonfle du dépit et de la frustration des gens en leur donnant l’illusion d’être à même de répondre à leurs besoins. Le FN est un néant qui se repaît du néant des gens : c’est un trou noir qui semble aspirer la société française. Sa force, c’est le néant justement. 

Il me semble, bercé par ce choc monotone,

Qu’on cloue en grande hâte un cercueil quelque part.

Pour qui ? — C’était hier l’été, voici l’automne !

Ce bruit mystérieux sonne comme un départ. 

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