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Billet de blog 28 août 2014

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La rose et ses épines

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La cérémonie de la passation de pouvoir entre Arnaud Montebourg et son successeur à Bercy, Emmanuel Macron, fut l’occasion non pas d’une passe d’armes entre l’ex-ministre de l’économie et son successeur mais bien d’un échange de compliments (réels, dans la mesure où les deux hommes se connaissent et s’apprécient mutuellement) et de professions de foi respectives. On doit ainsi à Montebourg une tirade en forme de botte (non pas de paille mais dans l’art de l’escrime) qui fleure bon la fronde de Frangy-en-Bresse: « Il faut savoir quitter la scène quand on ne sait pas jouer plus longtemps la comédie ». La rose de Frangy a ses épines comme la frangipane de la galette des rois sa fève, ce que manifeste à sa manière la formule de Montebourg qui, si elle ne manque pas de sel, n’en n’est pas moins inquiétante par ce qu’elle révèle. En effet, Montebourg y laisse entendre que l’exercice du pouvoir serait une représentation théâtrale où les acteurs donneraient à voir au peuple (et public) une comédie faute de mettre en acte ce qu’ils  pensent ou sont réellement. Devant pareille déclaration, le citoyen électeur est tout de même en droit de s’interroger sur le sens de la démocratie si en effet l’exercice du pouvoir se confond avec l’art de la comédie et que les acteurs du pouvoir ne sont jamais que des comédiens dont le seul talent consisterait à faire oublier qu’ils jouent un rôle de composition : la comédie humaine

Étrange parcours en tout cas que celui d’Emmanuel Macron, qui, en étant nommé à la tête de Bercy, revenait pour ainsi dire au bercail, au berceau de l’Économie et des Finances où il avait commencé sa carrière dans la haute fonction publique. En effet, il est peu commun de commencer par la philosophie (après un DEA de philosophie, Emmanuel Macron fut l’assistant de Paul Ricœur)  pour faire Sciences Po Paris et l’ENA, entrer dans l’Inspection des Finances et finir par devenir banquier d’affaires en 2008 en rejoignant Rothschild. La nomination de cet homme, qui passe de l’ombre élyséenne à la lumière, est-elle pour autant le signe d’une « dérive libérale de l’exécutif », pour reprendre le titre d’un article à la une de Mediapart ? Avec ce genre d’assertion, on pourrait tout aussi bien penser que la simple existence d’un ministère de l’Économie et des Finances est un appel de pied en direction du Capital ou du MEDEF et qu’on ne peut pas gérer l’économie d’un pays autrement qu’avec une vision libérale, pour ne pas dire de droite. On peut tout aussi bien penser que la gauche est antinomique avec le monde de l’entreprise, et que, quand cela n’est pas le cas, c’est seulement parce le pouvoir s’est gauchi en gouvernant plus à droite. C’est d’ailleurs ce genre de posture que vient de dénoncer Manuel Valls mercredi 27 août dans son discours à l’université d’été du MEDEF, cette posture sclérosante qui fait qu’une société n’est plus le lieu du vivre-ensemble mais le théâtre d’oppositions stériles pour ne pas dire contre-productives, en plaçant perpétuellement dos à dos patrons et salariés quand les patrons et les salariés ne devraient pas se considérer autrement que comme des partenaires parties prenantes dans une aventure socio-économique conjointe, ce qu’on appelle plus communément une entreprise.

Mais il est vrai qu’on peut se poser la question de la véritable nature du pouvoir politique, à savoir, si le pouvoir politique n’est pas par essence une émanation du pouvoir économique, seul véritable pouvoir, et si la droite ne serait pas ainsi le bras politique naturel d’un système dont le cœur est économique. Dans cette optique-là, le progrès social ne serait alors que le bénéfice collatéral involontaire du pouvoir économique qui n’aurait d’autre visée que le profit de quelques-uns, les entrepreneurs, pour ne pas dire les profiteurs d’un système qui les considère comme créateurs de richesses et les qualifie de « forces vives de la nation », comme si tous les autres, qui n’étaient pas entrepreneurs, constituaient les forces mortes du pays.

Les indiens Kogis, peuple amérindien de Colombie qu’Éric Julien, « explorateur d’interstices » de son état (comme il se qualifie lui-même) a voulu accompagner dans « l’invention d’un avenir qui leur soit propre », eux, ont préféré rompre avec la notion d’enrichissement à l’occidentale que leur avait proposé le Français sous forme de commerce équitable en manière de jeter une passerelle entre deux mondes que tout oppose. Preuve que l’économique n’est pas le seul mode de fonctionnement d’une société humaine et que l’enrichissement n’est pas la seule entreprise susceptible de fédérer des êtres humains. La vérité, c’est que ce ne sont pas les Kogis qui ont besoin de nous et de notre commerce prétendument équitable (équitable pour qui ?), c’est plutôt nous qui « avons besoin de développer les qualités humaines qui sont nécessaires pour les accompagner,  celles-là même qu’il nous faut pour nous sauver nous-mêmes », pour citer Jean-Marie Pelt, biologiste et botaniste écologue.

En français, le mot « pouvoir » porte toute l’ambiguïté de l’idée. Le substantif découle directement du verbe pouvoir, pouvoir faire une action. Il faudrait parler du pouvoir faire une action, non pas du pouvoir tout court. Le pouvoir tout court, le pouvoir sans objet, est une aberration en soi, comme une sorte d’absolu qu’il serait loisible d’exercer sur toutes choses, animées et inanimées. La vérité, c’est que le pouvoir que quêtent la plupart des êtres humains n’est pas tant le pouvoir de faire quelque chose que le pouvoir sur autrui, le pouvoir (pour) avoir, le pouvoir aux dépens d’autrui, le pouvoir pour le pouvoir, le pouvoir tout court qui fait les despotes. Le commerce, qui fait battre le cœur de l’économie, en fixant le profit comme seule fin en soi finit par ruiner la notion d’échanges entre les êtres humains, ce qu’ont fini par comprendre les indiens Kogis, qui ont préféré renoncer aux avantages apparents du commerce pour ne pas subir son intoxication radicale avec pour conséquence l’appauvrissement des valeurs humaines, une intoxication qui ronge l’Occident depuis tant de siècles et que l’OMS persiste à ignorer.  

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