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Billet de blog 29 août 2014

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De gauche à droite

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Dans un précédent billet, des tours de langue pour déjouer le sort et des recettes pour sortir de la crise (cf. http://blogs.mediapart.fr/blog/pierre-caumont/110113/des-tours-de-langue-pour-dejouer-le-sort-et-des-recettes-pour-sortir), j’expliquais comment la langue française avait eu recours au vocable francique  wenkjan, « vaciller », qui évolua en gauche, pour éviter de dire sénestre (« gauche »), un mot de mauvaise augure qui tourna si mal en français qu’il finit par devenir sinistre tout court. 

La langue a usé de la même ruse s’agissant de goupil : pour conjurer le sort, puisque celui qui prononçait le mot goupil s’exposait à rentrer bredouille, la langue alla chasser une nouvelle fois sur les terres du francique pour en ramener  Reginhart, qui évolua en Renart, (nom donné à l’animal dans Le Roman de Renart). Par ce tour de passe-passe linguistique, il était désormais loisible au chasseur de dire renard sans tomber sous le coup de la malédiction qui le condamnait à revenir la gibecière vide.

Superstition linguistique, dira-t-on, sans nul doute. Et pourtant, c’est curieux comme les superstitions sont tenaces. Il suffit d’observer le halo de sens négatif qui colle à « gauche », comme si le mot continuait de porter la poisse malgré sa mue linguistique. Ainsi gauche, pour dire maladroit, parce que pas à droite, comme si tout ce qui venait de la gauche manquait par nature d’adresse, par opposition à la droiture supposée de tout ce qui se trouve à droite. Une superstition maladive qui a valu à des générations d’écoliers gauchers d’être contrariés en étant forcés d’écrire de la main droite, seule main habilitée à écrire, l’autre étant considérée comme naturellement gauche. L’idée que seule la main droite était pourvue de l’adresse à écrire servant en fait d’alibi dans la mesure où cette façon de penser ne faisait jamais que perpétuer la superstition selon laquelle tout ce qui était à gauche était maudit.  

S’agissant des forces politiques en présence dans l’hexagone, force est de constater que si l’on peut reprocher à la gauche d’être gauche parfois, d’être bien maladroite, ainsi la fronde initiée par Arnaud Montebourg, une fronde dont la méthode est pour le moins critiquable indépendamment de la question du fond, la droite, elle, manque singulièrement de droiture à force de se vouloir adroite, trop à droite. C’est ainsi qu’une partie de la droite française s’est singulièrement gauchie (au sens d’une planche qui gauchit sous l’action de l’humidité) en rendant perméable la frontière entre les idées d’extrême droite et celles de la droite républicaine. Une perméabilité favorisée par l’opinion des Français, il est vrai, dont un tiers (selon un sondage réalisé il y a quelque temps) estime que le Front National est un parti politique comme un autre. Preuve de l’indéniable talent des animateurs de cette formation politique, qui, à force d’infuser leurs idées toxiques à travers toutes les strates de la société française, ont fini par créer un effet d’accoutumance : le corps de la France semble désormais s’accommoder de la présence du FN, de ce parasite politique, de même que les citadins s’accommodent de la pollution atmosphérique urbaine.

Dans la vie politique française, le pendule oscille perpétuellement de gauche à droite, et de droite à gauche, de même que, selon Schopenhauer, « la vie oscille, comme un pendule, de droite à gauche, de la souffrance à l’ennui. »  À l’image du pendule du philosophe allemand,  les Français sont constants dans leur inconstance, passant perpétuellement de gauche à droite, et de droite à gauche, même si, dans ce perpétuel balancement de la France constamment inconstante, il convient d’introduire désormais comme nouvelle variable l’inclination vers l’extrême-droite. La droite traditionnelle ayant passablement gauchi en intégrant des éléments de l’extrême-droite, il est possible qu’un jour droite et extrême-droite finissent par ne faire plus qu’un (plus qu’une) dans ce pays quand la confusion des idées, des principes et des valeurs sera totale. Depuis quelques années, on entend dire que plus rien ne sépare la gauche de la droite, que c’est la même chose sous des appellations différentes : c’est une erreur commune qui se répand de plus en plus, comme les toxines du FN à travers la société française. Ce qui distingue fondamentalement la gauche de la droite, c’est la place de l’homme dans le monde. Dans une vision de gauche, l’économie est au service de l’être humain quand la droite, elle, est plus encline à placer l’humain au service de l’économie. Alors évidemment, on peut penser que toute politique de gauche, forcée de prendre en compte l’économie, inévitablement tend à droite, et que, ce faisant, elle se dénature, c’est possible. Mais le plus important, au-delà des nécessaires ajustements d’une politique de gauche, c’est que la pensée de gauche existe, ne serait-ce que pour faire contrepoids à la pensée de droite, qui ravale l’humain au rang de serviteur de l’appareil de production. À notre époque où il est de bon ton de définir les êtres humains par leur « pouvoir d’achat », expression détestable qui dit que l’existence est réduite à un simple rôle de consommation, comme si le sens de la vie consistait  à faire tourner la machine économique, plus que jamais il faut être capable d’avoir une pensée de gauche, quand le monde économique, qui roule à droite, prend une teinte de plus en plus sinistre (cf. le latin sinistra « gauche »).       

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