« L’homme moderne, au lieu de chercher à s’élever à la vérité, prétend la faire descendre à son niveau ».
René Guénon
Vers 1600 av. J.-C., Santorin, une île volcanique dans la mer Égée, connaît une éruption de type plinien — on appelle ainsi une éruption explosive accompagnée d’une nuée ardente avec coulée pyroclastique, à l’instar de celle du Vésuve qui anéantit Pompéi et dont Pline le Jeune fut le témoin. Cette explosion d’une rare violence provoque un gigantesque tsunami qui ravage les côtes de la Crète et celles du Delta du Nil. On a même cru que le déclin de la civilisation minoenne était la conséquence de cet événement, mais l’archéologie a montré que la plupart des centres palatiaux de la Crète minoenne furent détruits et incendiés vers 1450 av. J.-C. et non vers 1600, date à laquelle se produisit l’éruption de Santorin.
Cela étant, il est tout à fait possible que ce cataclysme local soit à l’origine de faits qui passent pour des mythes aux yeux de l’homme contemporain. Parole d’Aristote : « Le mythe est un récit mensonger qui présente la vérité. » — le grec muthos signifie « récit, fable ».
Ainsi, des siècles durant, on a pensé que la cité de Troie était le produit de l’imagination d’Homère (dont certains doutent toujours de la réalité, préférant penser pensant qu’Homère serait un nom fictif désignant un collectif et non pas une personne en propre) jusqu’à ce que l’archéologue allemand Heinrich Schliemann, à la fin du XIXe siècle, exhume la cité et la fasse passer de mythe à réalité.
Il en est de même de l’épisode biblique de la cité de Jéricho (considérée comme l’une des plus vieilles cité du monde), où l’on lit comment Josué, lors de la conquête du pays de Canaan (en 1493 av. J.-C., après une errance de quarante années dans le désert du Sinaï — quarante est un nombre symbolique), fit tomber les murs d’enceinte de la cité en faisant sonnant les trompettes dites de Jéricho. La cité fut alors rasée par les Hébreux, ses habitants massacrés, et, chose exceptionnelle pour l’époque, la cité et son butin furent voués au hérem, c’est-à-dire, voués à l’interdit : nul n’avait droit d’y toucher, comme si, par cette destruction totale, le peuple hébreu offrait la prise de la cité en holocauste à Yahvé, qui l’avait conduit au « pays où coulent le lait et le miel ». En attendant que ne coulent le lait et le miel, c’était le sang qui coulait à flots et le feu qui rougissait le ciel. Comme pour l’existence de la cité de Troie, on pensait que le récit biblique n’était qu’une fable jusqu’à ce que l’archéologie moderne exhume à Jéricho les énormes blocs des murailles d’une forteresse dont la datation correspond avec l’épisode mythique. Preuve que le mythe rend compte d’évènements bien réels mais en les (re)présentant sous la forme d’une fable.
Revenons-en à Santorin : l’éruption pyroclastique, vers 1600 av. J.-C., se produit à l’époque où le pharaon Ahmosis chasse les Hyksôs d’Égypte, et avec eux, les tribus sémites, placées sous leur protection. Il est fort probable que la fameuse traversée de la mer Rouge à effectuée à pied sec par les Hébreux, sous la houlette de Moïse, corresponde en réalité à une zone marécageuse située non pas au bord de la mer Rouge, au sud de la péninsule du Sinaï, mais au nord, le long de Méditerranée, dans un goulet faisant communiquer une lagune à l’est de l’actuel Port-Saïd avec la mer. En effet, pour se rendre de la vallée du Nil en Israël, il convient de passer le long de la Méditerranée et non pas par la mer Rouge. Le tsunami provoqué par l’éruption de Santorin aurait dans un premier temps fait refluer les eaux de toute la zone puis submergé le goulet situé entre la lagune et la mer, où l’armée de pharaon aurait été engloutie, selon le récit biblique. En outre, il n’est pas impossible que les légendaires dix plaies d’Égypte trouvent leur origine dans le cataclysme volcanique survenu dans la mer Égée dont les conséquences se seraient étendues jusque dans le royaume de Pharaon.
Revenons au personnage de Moïse à qui Yahvé se révéla au sommet du mont Horeb, dans le Sinaï, par l’intermédiaire d’un buisson qui brûlait sans jamais se consumer, le fameux buisson ardent — le signe inouï du Sinaï se lit dans le feu, le feu, c’est le ciel descendu sur Terre. Parole de René Guénon : « Il est évident que le “ ciel ” tel qu’on le conçoit n’existe pas en réalité, “ciel ” vient de caelum lui-même issu du verbe caelare (qui a donné celer aussi) qui veut dire “cacher”. Le “ ciel“ n’est en vérité autre chose que “ ce qui nous voile la Réalité ”. » Il se trouve qu’il existe effectivement une plante dont les émissions gazeuses peuvent s’enflammer sous la chaleur du désert, mais en trop faible quantité pour que le feu puisse se propager à l’arbuste, pareil en cela au buisson biblique, qui brûle mais ne se consume point. Cette plante, la fraxinelle blanche, pousse aux abords du monastère grec de Sainte-Catherine, au pied du Sinaï. Quant à la formule que YHWH aurait proférée en réponse à Moïse, qui questionnait la divinité sur son identité : « Je suis celui qui suis », Marc Halévy, spécialiste de la Kabbale, écrit : « Traduire la fameuse révélation hénologique biblique : “éhyèh asher éhyèh” par “Je suis celui qui suis (ou qui est)” est une monumentale bêtise ; le verbe être n’existe pas en hébreu (…) et le verbe HYH utilisé ici signifie “devenir”. La traduction correcte est “Je deviendrai ce que je deviendrai.” (…) » La nuance est de taille, car il ne s’agit plus d’être, plus d’état, mais de devenir.
Cela pour dire que le mythe, dont le sens n’a cessé d’être dévalué par l’homme moderne, pour devenir, au mieux, synonyme de légende, au pire, synonyme de mensonge (cf. mythomane), est un outil de connaissance. Il s’inscrit dans la Tradition, et ne pas entendre ce qu’il dit, c’est de couper de cette racine du sens, qui plonge dans la nuit des temps.