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Billet de blog 30 mai 2013

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La patrie des travers de l’Homme

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

La Patrie des Droits de l’Homme, loin d’éclairer le monde, comme elle le faisait jadis, à l’époque où ses lumières rayonnaient et participaient à faire évoluer le genre humain (dans son mode de vie en société, non pas en tant qu’espèce, dans la mesure où le  progrès humain n’existe pas, puisque seul le progrès technique existe) est devenue la patrie de tous les travers, comme l’a illustré récemment la série des manifestations contre le mariage pour tous, des manifestations invariablement émaillées de débordements en fin de parcours. Certes, ces débordements sont le fait d’agitateurs d’extrême-droite et assimilés, qui se sont agglomérés aux manifestants classiques pour laisser libre cours à leur violence, des ultras, des purs et durs qui se prennent pour des résistants investis d’une mission sacrée, consistant sans nul doute à sauver la France des turpitudes homo-judéo-gauchistes.  Ce n’est qu’une minorité  infime, répète-on à l’envi, une frange fanatique, qui voit dans ces manifestations l’occasion de faire parler d’elle, en faisant beaucoup de bruit, beaucoup de casse. Les opposants au mariage pour tous proclament être des démocrates, des républicains, ils manifestent pour exercer pleinement leur droit constitutionnel de manifester.  Ils se défendent de manifester contre les homosexuels, ils disent manifester contre ce qu’ils perçoivent comme une atteinte à l’esprit des institutions françaises. Mais comment une loi, qui n’enlève aucun droit aux hétérosexuels, qui introduit simplement une égalité de droit entre les hétérosexuels et les homosexuels, pourrait-elle nuire à l’esprit des lois en France ?  Notre devise républicaine est-elle toujours : « Liberté, Égalité, Fraternité » ?  Il faut croire que pour les  opposants au mariage homosexuel, les couples homosexuels ne peuvent pas prétendre au même traitement social que les couples hétérosexuels, qu’ils ne peuvent pas jouir de la reconnaissance sociale que confère le mariage, ce qui veut tout simplement dire qu’à leurs yeux, il ne peut y avoir d’égalité entre les couples hétérosexuels et les couples homosexuels, lesquels, par voie de conséquence, sont des couples de seconde classe, des couples de seconde zone. Cette opinion-là n’est-elle pas homophobe ? Cette opinion-là est-elle fidèle à l’esprit des lois en France ? 

On peut jouer comme cela à se cacher derrière son petit doigt, mais la plupart des opposants au mariage pour tous, qui font valoir l’intérêt qu’ils portent aux institutions républicaines, l’intérêt qu’ils portent aux valeurs familiales et à l’éducation des enfants, par leurs idées, ces gens-là ne sont pas bien éloignés des intégristes de Civitas et des fanatiques d’extrême-droite, la seule chose qui les différencie d’avec ces extrémistes-là, c’est le comportement qu’ils adoptent, un comportement plus digne, en apparence plus républicain.  Interrogée au micro d’un journaliste de France-Info sur les raisons qui motivaient sa présence au sein de la « Manif’ pour Tous » de dimanche 26 mai 2013,  une infirmière scolaire déclara qu’elle n’avait rien contre les homosexuels mais qu’elle ne souhaitait pas que des couples homosexuels « créent » des enfants. Oui, elle a bien dit « créer ». Dans sa bouche, le vocable revenait à dire « fabriquer ». Pour cette citoyenne républicaine en charge de la santé des enfants dans un établissement scolaire, les homosexuels ne sont pas habilités à élever des enfants (qu’ils auraient adoptés) dans la mesure où ils sont susceptibles de les contaminer d’une manière ou d’une autre, c’est-à-dire, de leur transmettre quelque chose de leur anormalité (sexuelle) pour ne pas dire de leur déviance sexuelle. Évidemment, cette pensée n’est pas dicible en l’état dans la mesure où elle se démarque sensiblement de la devise inscrite au fronton des édifices publics. C’est une pensée discriminatoire qui, en fonction de critères imaginaires, établit le caractère nuisible des homosexuels en matière d’éducation d’enfants, comme naguère les nazis avaient déclaré le caractère nuisible des Juifs pour la société allemande. La démarche est la même, consistant à mettre à l’écart du corps social les éléments que l’on juge impropres ou susceptibles de le contaminer. Aux yeux de cette professionnelle de la santé, les homosexuels sont par conséquent  des impurs qui n’ont pas le droit de se voir confiés la responsabilité d’enfants à élever. Et cette citoyenne infirmière, qui estime sans nul doute que son opinion est de salubrité publique, pense n’avoir rien contre les homosexuels ?

Dans une chronique antérieure, écrite en octobre 2012 (pour cet espace numérique) et qui s’intitulait Les Imprécateurs (pour évoquer notamment l’attitude du Primat de Gaules, Monseigneur Barbarin, qui avait énoncé des opinions barbares à l’endroit des homosexuels), j’avais essayé de défendre l’idée selon laquelle l’éducation que l’on dispense à des enfants ne doit rien à la sexualité du couple (sa pratique et son orientation sexuelles) dont on fait partie (je me permets de me citer) :

« Se pose-t-on la question de savoir si la pratique sexuelle des couples hétérosexuels (leur manière de faire l’amour, leur  répertoire érotique, leur qualité d’interprétation sexuelle) a un impact sur les enfants ?  Bien sûr que non, et c’est heureux, car la pratique sexuelle d’un couple est une affaire privée qui ne regarde que ses partenaires.  Aussi, de quel droit peut on estimer qu’une orientation sexuelle autre que l’hétérosexualité s’agissant d’adultes ayant en charge l’éducation d’enfants est la porte ouverte à une dissolution des mœurs, à une dérive possible vers la pédophilie et à une levée de la barrière de l’inceste ?  La Belgique et les Pays-Bas ont légalisé le mariage homosexuel, et rien de ces turpides annoncées n’a été relevé dans ces pays. L’éducation d’enfants est affaire de valeurs, de principes, d’attention, d’exemplarité, de morale personnelle, c’est une affaire d’engagement (d’amour aussi) qui ne dépend en rien de la sexualité qu’on pratique avec son conjoint. Il y a tant de couples hétérosexuels inaptes à éduquer des enfants, des couples incompétents, des couples criminels même, qui dressent des enfants comme des fauves ou les cultivent comme des légumes, qu’on se rend bien compte que l’appartenance au modèle dominant, le modèle hétérosexuel en l’occurrence, avec la présence d’un pôle masculin et d’un pôle féminin, n’est pas un élément déterminant s’agissant d’éducation. Le modèle conjugal dominant n’est pas une valeur, un principe, une morale en soi, qui influerait positivement sur l’éducation des enfants, c’est seulement un mode de fonctionnement conjugal. Il n’est ni bon, ni mauvais en soi. C’est la manière dont les couples hétérosexuels se l’approprient qui fait que ce mode de fonctionnement structurera de façon positive ou négative les enfants. Penser qu’un couple homosexuel, d’hommes ou de femmes, ne peut avoir un mode de fonctionnement ayant pour effet de structurer positivement des enfants revient à nier tout simplement la possibilité d’harmonie entre deux personnes de même sexe : c’est une vision sexiste élargie au champ conjugal — le sexisme consistant à penser que les êtres humains disposent de rôles, de droits et de devoirs bien distincts dans la société en fonction de leur seul sexe. C’est tout simplement une discrimination envers tout autre modèle que le modèle dominant. C’est une pensée conservatrice, une pensée qui met l’humain en conserve. Les gens qui pensent cela fondent leur argumentation sur le fait qu’un couple homosexuel ne peut être équilibré dans la mesure où il ne présente pas la complémentarité qu’apporte la bipolarité mâle-femelle. Penser cela est ignorer la réalité psychique des êtres humains, qui, que l’on soit homme ou femme, présente des composantes à la fois masculines et féminines. »

Les intégristes catholiques et autres obscurantistes, pour justifier leur rejet du mariage pour tous, invoquent, eux, l’ordre naturel des choses, ignorant (à dessein) que l’homosexualité existe à l’état de nature et qu’on observe des comportements homosexuels parmi diverses espèces animales, dont notamment les primates bonobos, réputés pour leurs ardeurs sexuelles. Et la simple observation de la nature nous apprend que l’Homme a beaucoup plus de chances de descendre du singe que d’un démiurge hypothétique qui nous aurait modelés à sa ressemblance (comme le dit Voltaire, « Si Dieu nous a faits à son image, nous le lui avons bien rendu »).

Qui sont en réalité ces opposants au mariage pour tous, présents le 26 mai dernier à la « manif’ pour tous », une manifestation bon enfant (à plus forte raison parce que nombre de manifestants n’avaient eu aucun scrupule à instrumentaliser la présence de leur propres enfants à leurs côtés pour défendre leurs convictions) que les manifestants voulaient magnifique,  jusqu’à ce qu’elle dérape, inévitablement, entre chien(s) et loup(s), en opposant les irréductibles fanatiques aux forces de l’ordre. Qui sont-ils vraiment, ces opposants au mariage homosexuel, dont les organisateurs de la manifestation prétendent qu’ils étaient un million quand que les services de la préfecture estiment qu’ils étaient autour de cent cinquante mille ? Sont-ce de bons Français, soucieux des valeurs républicaines et respectueux des institutions de la France comme ils aimeraient le faire accroire, des citoyens attachés aux valeurs traditionnelles, comme « Travail, Famille, Patrie » ?  Ces bons citoyens ne sont-ils pas en vérité des enfants de Pétain qui s’ignorent, des enfants de Pétain à retardement qui ne disent pas leur nom ? Des gens qui, si la situation s’y prêtait, ne seraient pas nécessairement opposés à l’idée de placer dans des camps de redressement, voire d’internement, tous les citoyens ne correspondant pas aux critères d’une société plus droite à leur yeux.

Ce que  révèlent ces manifestations contre le mariage pour tous, c’est qu’il existe dans notre pays une France profonde profondément intolérante et ignorante, sans la moindre acception de la différence, une France qui se croit forte de son bon droit, même quand ce prétendu droit n’est jamais que l’expression de travers, voire de vices inavouables, une France qui se drape dans sa dignité usurpée, dans son honneur dévoyé, au mépris de toute une population niée dans sa différence, une France qui n’a cure de tous ces humains dont elle a piétiné pendant si longtemps le droit à l’existence dans la différence. Et c’est cette France-là, rancie, aigrie, mesquine, cette France égoïste-là qui a vu ses rangs grossis par des membres éminents de l’UMP (à commencer par son illustre président, qui voyait-là l’occasion de ne plus écoper la barque UPM qui prend l’eau), des femmes et des hommes politiques sans foi ni loi, des opportunistes qui font feu de tout bois.

Jadis, la France était en pointe au plan des idées et des reformes sociales, comme en témoigne la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, qui inspira la Déclaration universelle des droits de l’homme adoptée par l’Assemblée générale des Nations Unies en 1948. Maintenant, c’est le contraire, la France est à la traîne. Sur nombre de questions de société, loin d’impulser le mouvement, la France est à la remorque de ses partenaires européens, ainsi le mariage homosexuel, en vigueur aux Pays-Bas, en Belgique, et même dans la catholique Espagne. Il n’y a guère que la papiste Italie pour être derrière la France sur cette question-là, et il n’est pas certain que le nouveau pontificat plus humain et dépouillé du pape François favorise quelque ouverture que ce soit sur ce sujet aussi défendu que le fruit du jardin d’Eden.  

Jadis, au temps de sa splendeur, la France était en tête, elle ouvrait l’avenir, maintenant, elle est en queue, attentiste, comme attardée, ce n’est plus elle qui invente l’avenir, ce sont les autres qui l’entraînent dans leur sillage, ainsi la marche poussive du pétainisme sur les traces impériales de l’Allemagne nazie. Les valeurs qui exaltent sans modération le Travail, la Famille ou la Patrie, ont toujours cet arrière-goût tenace de Vichy, et ce n’est pas la présence affichée des enfants dans la « Manif pour tous », cette présence comme une vertu d’innocence supposée, qui le fera oublier, bien au contraire. Le propre du passé, c’est qu’il ne passe pas, il reste présent, pour l’éternité.   

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