Alors que la période est à l'insurrection des clans et factions diverses : les bonnets rouges, les bonnets roses, les anti-mariage pour tous, les pigeons, les abeilles... espérons qu'un mouvement, bien nommé républicain, se lève contre ces crispations partisanes.
Des contestations disparates
Les insurrections diverses, notamment celle des bonnets rouges en Bretagne, sont étonnantes car elles prennent l'habit révolutionnaire, tyrannicide et monarchomachique en s'appuyant parfois sur de grands précédents historiques. Mais aujourd'hui, les bonnets rouges ne se battent pas contre des tyrans. Ils se battent pour arracher les haillons d'une république déjà bien mal en point et piétiner les principes de solidarité qui nous relient et nous obligent tous.
Cette image qui joue sur le "we need you" de Lincoln émane de la "marche des républicains" qui lance un mouvement principalement contre l'intolérance et le racisme notre billet porte sur autre chose même si elle fait référence aussi à la possibilité d'un mouvement civique d'ampleur.
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Nous sommes tous face à un même problème : même si cette impression est contestable, il nous semble que l'impôt pèse de plus en plus sur les classes moyennes et, sans devenir intolérable, il n'est pas sans poser, parfois, des difficultés pour tel ou tel foyer déjà endetté. Seulement, un dilemme se pose. Comment désirer que les impôts et les taxes soient allégés sans accepter en même temps d'affaiblir encore la défense, l'école, le système de santé, la retraite? Tel est le dilemme auquel nous sommes tous confrontés. On dira qu'il faut économiser sur la dépense publique mais pour ceux qui appartiennent aux administrations et services de l'Etat, il semble manifeste que ce soit impossible et que la diète soit déjà trop rigoureuse pour maintenir la qualité de service requise.
Dans une société accablée par la hausse du chômage, on voit donc naître de multiples contestations localistes ou corporatistes et une animosité à l'égard des étrangers et des valeurs progressistes présentés l'un et l'autre comme des menaces. Bref, on manifeste pour sa chapelle et on se replie sans que les mouvements ne se traduisent par une insurrection capable de lier toute la société. Certains pointent néanmoins le risque de la "coagulation" de mécontentements qui n'ont pourtant aucun dénominateur commun, sinon la colère, de l'exaspération, le conservatisme et la haine qu'exprime sans doute le vote Front National.
La solution du dilemme fiscal
Alors, il y aurait bien une solution au dilemme fiscal que nous venons de présenter. Mais cette solution ne réside pas dans les protestations contre le "ras-le-bol fiscal". Cette solution, c'est l'insurrection républicaine et civique pour l'impôt à condition que ce soit un impôt juste, réformé, remis à plat comme l'ont proposé Thomas Piketty et, plus récemment, Jean-Luc Mélenchon qui propose également de son côté l'organisation d'une marche. C'est aussi l'insurrection républicaine contre le manque de civisme de ceux qui ayant bénéficié de la collaboration, de l'échange, de l'aide des autres et de l'Etat ne souhaitent pas reconnaître leur dette et s'évadent plutôt que de payer (particulier ou société au choix).
Le vrai problème ici encore n'est pas l'impôt mais le triomphe des intérêts particuliers, la victoire de l'exemption pour ceux qui crient le plus fort ou qui ont le plus de pouvoir. Mais l'exemption est une victoire à la Pyrrhus, car ce sont les autres qui finissent par la payer au prix fort. Or ces autres ne tardent pas aussi à trouver, à leur tour, de bonnes raisons d'être exemptés jusqu'à ce que, lambeau, par lambeau, les derniers haillons de la république soient déchiquetés.
Mais, nouveau dilemme, on nous dit aussi que la réforme fiscale est impossible, car, si on les fait plus payer, les plus riches (particuliers ou sociétés) risquent de partir voir ailleurs si l'herbe est plus verte. Il faudrait donc se soumettre à leur dictat, car il serait mieux de les garder que de les contraindre à fuir. Mais alors, s'il y a une "dictature", c'est celle de l'intérêt particulier des plus riches qui ne laissent pas d'autre choix aux autres que de tout leur accorder et de tout payer pour eux. Ne nous trompons pas, la dictature n'est pas celle d'un gouvernement impuissant qui a pieds et poings liés et qui, reconnaissons-le, a peu de volonté. Ne nous révoltons donc pas contre un gouvernement qui subit le pouvoir d'autres que lui.
Le mouvement doit venir du peuple tout entier, favorisés, comme défavorisés : au lieu de se replier chacun sur son intérêt il faut se rappeler de l'intérêt commun qui nous lie tous. A la place des insurrections partisanes et ridicules doit naître une insurrection civique. A la place d'un peuple qui attend tout d'un gouvernement bien impuissant sans soutien, le peuple doit montrer son civisme, rappeler les valeurs et les devoirs en commençant par les pratiquer lui-même avant de les exiger des autres.
L'insurrection qui vient
L'insurrection qui vient n'est donc pas celle des pigeons ou des bonnets rouges, l'insurrection qui vient est le cri assumé d'un civisme quotidiennement piétiné. Ajoutons aux revendications de la "marche des républicains" qui portent sur l'intolérance, les discriminations et le racisme, d'autres revendications qui portent sur les questions économiques et fiscales. La république n'est pas seulement une institution et des valeurs. La république a vu le jour dans et par une révolution. Elle est d'abord insurrectionnelle. Elle traduit et exprime un engagement résolu de tous pour l'intérêt commun.
Cet engagement ne saurait être le sacrifice du saint, non. Cet engagement provient d'un constat : participer à la vie sociale, s'y livrer autant que possible, ne réduit pas notre liberté et notre opulence individuelle mais la favorise. Comme le dit Spinoza, la vie sociale, la collaboration avec les autres augmente notre puissance d'agir, le repli sur l'intérêt frileux favorise haines, tensions et appauvrissement de notre puissance d'être, voire sa destruction pure et simple.
Se reconnaître redevable à la vie sociale, à la collaboration et aux échanges et payer quotidiennement sa dette, reconnaître que le respect de tous ceux qui collaborent à la vie sociale, aux échanges et à notre richesse collective est une condition de la liberté et de l'opulence de chacun, sont les ressorts de la république. Toute insurrection vitale doit donc être civique ou ne pas être.
Voici pourquoi l'insurrection qui vient sera une insurrection républicaine : une reconnaissance de la dette de chacun à la société et aux autres. L'acceptation que nous devons une grande part de ce que nous sommes et de ce que nous avons aux échanges et à la collaboration et que nous ne pouvons donc instrumentaliser, réifier, bafouer nos devoirs civiques et les obligations qui garantissent une vie sociale bénéfique à tous.
Pour ces raisons comme pour celles déjà longuement évoquées, les républicains doivent se mettre en marche ! Et ils commencent déjà à le faire.