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Billet de blog 13 avril 2015

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L'in-discipline inéluctable des savoirs

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Le débat sur les disciplines scolaires se développe dans l’indifférence des citoyens, comme si ces questions étaient exclusivement l’affaire des spécialistes, des enseignants et de leurs syndicats, et, dans une moindre mesure, des parents d’élèves qui ont toujours du mal à faire entendre leur voix dans un monde de spécialistes. S’affrontent deux camps mélangés avec des conservateurs et des progressistes dans les deux, des républicains et des pédagogues, des nostalgiques et des révolutionnaires, des opposants et des soutiens inconditionnels du pouvoir. Le ministère recherche alors le consensus et des petites avancées. Le consensus rassure tout le monde en fuyant les ruptures nécessaires et les avancées justifient le soutien des « progressistes non troppo ». On invoque alors tranquillement l’exigence des commencements qui sont tellement aux marges qu’ils sont vite noyés et oubliés. Toute l’histoire de la « rénovation pédagogique » depuis 1969 le démontre malheureusement mais le monde enseignant, attaché pourtant à l’enseignement de l’histoire en tant que discipline, oublie très vite de tirer les leçons de l’histoire pour changer réellement et fondamentalement l’école et l’inscrire résolument dans une vision prospective à 20 ou 30 ans.

On se garde en tout cas d’expliquer à la Nation quels seront les savoirs et les compétences nécessaires à la vie personnelle, professionnelle, sociale, dans 20 ans. Les « sept savoirs nécessaires à l’éducation du futur » d’un Edgar Morin resteront au fond du tiroir, au grand soulagement des conservateurs. Le nouveau socle, quant à lui, présente de réelles avancées, mais les décideurs et les hiérarques ignorent complètement qu’il est impossible à un enseignant, même s’il passe une partie de ses nuits à travailler et à faire de la paperasse, de tout mettre en œuvre sérieusement : le socle, les programmes, les « éducations à », les parcours, les journées de ceci et de cela. Seuls resteront opérationnalisés les programmes avec la possibilité de détourner le petit temps ouvert à l’interdisciplinaire, faute de la formation nécessaire au changement. Les cerises sur un gâteau qui ne change pas, sont vite absorbées, sans transformer les pratiques. L’envoi de missi dominici avec leurs instructions et injonctions ne pourra jamais résoudre le problème de la mobilisation de l’intelligence collective des acteurs du terrain ni celui du besoin de confiance et d’enthousiasme.

Les questions clés restent désespérément sans réponse dans un monde où la quantité de savoirs s’accroit chaque jour de manière exponentielle et où leur diffusion et leur accessibilité n’ont pas de limite.

  • Pourquoi      ne mobilise-t-on pas la Nation toute entière pour réfléchir à l’évolution      des savoirs de l’humanité et à leur place dans l’éducation tout au long de      la vie ? Pourquoi la refondation de l’école n’est-elle pas l’affaire      du peuple ?
  • Pourquoi      donne-t-on l’impression aux citoyens que le choix des disciplines      scolaires est gravé dans un marbre, éternel et universel ? Pourquoi      la géographie, l’histoire, les sciences de la vie et de la terre, etc et      pas l’économie, la santé, la philosophie, l’écologie, etc ?
  • Pourquoi      impose-t-on la loi du simple (qui n’existe pas) au complexe (qui nous      entoure), et pas l’inverse qui est pourtant plus simple ? Pourquoi      faut-il apprendre être bête (par exemple avec le b-a ba ou les      gesticulations) avant d’apprendre à devenir plus intelligent ?
  • Pourquoi      découpe-t-on la maîtrise de la langue en x sous-disciplines (grammaire,      conjugaison, vocabulaire…) cloisonnées qui ne permettent pas d’apprendre à      penser, à lire, à écrire et à parler, qui éloignent les apprentissages scolaires      du sens et de l’intelligence ?
  • Pourquoi      continuer à « morceler, découper, dépecer le savoir » comme le      démontre Michel Serres avec l’exemple du fleuve (Petite Poucette. Page 42.      *) ? Croit-on que l’on va faire évoluer la situation avec les 10 ou      20% du temps qui resteront scolaires et secondaires par rapport aux 80 ou      90% de choses scolaires prétendues « sérieuses » et sans doute      fondamentales ?

Oser poser ces questions apparaît à certains comme l’expression d’une opposition aux réformes (on n’ose plus parler de refondation) voire d’une complicité objective aves les ultra conservateurs. Poser les vrais problèmes et les bonnes questions serait-il dangereux ? La complaisance ou l’opportunisme sont, pour moi, beaucoup plus dangereux. Changer sur les marges n’est pas refonder. Certes, il y a le socle… il est et sera au fond du tiroir ! Avec la persistance d’un système qui étouffe  les enthousiasmes. On sait que le pilotage par les résultats, maintenu avec force après 2012, est un obstacle à la refondation et à la transversalité. Une vraie refondation ne peut se concevoir que si la Nation s’en empare et que si les acteurs de terrain s’engagent en tant que responsables et non en tant qu’exécutants obéissants.

Changer l’école pour changer la société, changer la société pour changer l’école, changer la vie… Cela ne se fera pas en jouant sur les marges, sans ruptures, sans courage politique.

*Le fleuve disparaissait sous des cuvettes éparpillées de géographie, géologie, géophysique, hydrodynamique, cristallographie des alluvions, biologie des poissons, halieutique, sans compter l’agronomie des plaines arrosées, l’histoire des villes mouillées, des rivalités entre riverains, plus les passerelles, barcarolles et pont Mirabeau… En mélangeant, intégrant, fusionnant ces débris, en faisant de ces membres épars le corps vivant du courant, l’accès facile au savoir permettaient d’habiter le fleuve, enfin en plein et à niveau

NB Pour aller plus loin, voir http://www.meirieu.com/FORUM/fracko_indiscipline.pdf

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