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Billet de blog 30 janvier 2021

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Ovni(s) de Canal : la série qui ne fait pas toute l'unanimité

La série Ovni(s) de Canal Plus ou les pourquois du semi-échec artistique d'une série. Attention : un expert es-Ovnis vous parle. Rigolons un peu avant d'extrapoler (beaucoup) et de littérer (potentiellement).

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Premier acte

Illustration 1
Euh, désolé, pas vraiment. Ou si peu. © Télé-Loisirs

Cette mini-série est due aux réalisateurs Martin Douaire et Clémence Dargent : le premier est l'auteur de choses bien ennuyeuses type Joséphine, Section de recherche et, quant à Clémence Dargent, elle est connue pour Fais pas ci, fais pas ça ou Demain nous appartient. Dans les premiers rôles, Melvil Poupaud, Michel Vuillermoz et Géraldine Pailhas : premiers comme seconds rôles sont, comme dit Allô Ciné, « insoupçonnables ».

Daphne Patakia, dans le rôle d'une secrétaire farfelue, explose à l'écran avant de faire tomber dans ses bras Melvil Poupaud. Ce dernier incarne un ingénieur qui après l'explosion de sa fusée se trouve projeté à la tête du Gepan, organisme du Centre national d'étude spatiale consacré au recensement et à la recherche des Ovnis. Son directeur/fondateur a disparu (mystérieusement), laissant un vide qu'on doit d'urgence combler : c'est le comble de la déchéance pour l'ingénieur qui, peu à peu, va cependant balancer entre sa carrière et prendre au sérieux son nouveau rôle. Atmosphère : années 1970, parfaitement reconstituées (ce qui vous sidère quand vous retrouvez à la perfection le look de votre enfance). Le série se déroule en 12 épisode, une saison 2 est prévue. Le moteur global est donné par les cas d'Ovnis qui se présentent, faux ou vrais. Les personnages évoluent au fur et à mesure des relations qu'ils tissent et selon leurs historiques personnels - plutôt bien campés. L'autre fil conducteur : les Ovnis sont-ils dignes d'être sujets de science?

Comment traiter un tel sujet pour qu'il soit main-stream?

C'est la grande difficulté : les Ovnis en tant que réalité sont loin de faire l'unanimité et, en tant qu'objet de science, ne font même pas objet de débat, du moins en France. Et quand ils le font c'est bien ennuyeux et plutôt convenu. Le choix de la comédie a donc été retenu, mais sans pour autant que l'objet de comédie, l'Ovni, y perde son sérieux d'objet réel et étrange. La comédie se déroule sur le fil de ce rasoir, perdant parfois un équilibre qu'elle rattrape de justesse. Aussi se teinte-t-elle de moments plus dramatiques, mais qui paraissent irréalistes : on voit une capitaine de la Direction militaire du renseignement enlever à tour de bras certains témoins-clés, avant de révéler qu'elle est soi-disant dans le camp du Gepan ; elle enlève notre brave Melvil Poupaud-directeur du Gepan et l'attache à la manière de Brazil au fond d'une tour de refroidissement d'une centrale nucléaire. C'est ridicule. Ailleurs, on réalise que c'est en ne reprenant pas l'alliance que sa femme a posé sur les pièces du moteur de fusée qu'il montait que celle-ci a explosé, projetant notre ami à la tête du Gepan.

Pendant ce temps, l'ex-directeur du Gepan, ex-amant de Michel Vuillermoz (ouf !), fait une sorte de tour du monde, envoyant des cartes-postales rebus permettant de localiser les témoins disparus. La Direction du renseignement militaire, quant à elle, suscite l'existence d'une secte, pour cacher l'existence d'un témoin vraiment enlevé, semble-t-il, par les Ovnis. Sur ce fond, nous suivons la fin de l'aventure maritale de Melvil Poupaud, puis retour soudain du premier directeur du Gepan (qui renoue avec son amant), tandis que l'ingénieur renvoyé alors du Gepan est harponné par la secrétaire, également éjectée du loufoque et attachant petit groupe.

Dernier fil, qui tend les 12 épisodes, la question de faire disparaître le Gepan, reflète un vrai et grand débat sur son rôle (et au delà sur la problématique soulevée par les engins « non-humains » qui sillonnent notre atmosphère, selon l'expression d'un ex-Directeur général de la DGSE l'an passé, Alain Juillet).

Enfin, Steven Spielberg apparaît brièvement, et c'est le fils de Melvil Poupaud qui lui donnera l'idée de ET l'Extraterrestre. Tout ça s'enraye très vite ; la fin, sur le baiser entre Melvil et Daphné, est à mon sens assez hors-sujet et peu réaliste (tandis que, paradoxalement, d'autre points sont bien croqués: quand l'adjoint ex des RG et à la recherche d'un témoin saisit sans y penser la liste des lettres qui attendent pour identifier la date de la disparition). Des scènes sont assez drôles, mais je n'ai à faire aucun effort d'imagination sur ce que peut penser de tout cela le fondateur du Geipan, un homme extraordinaire sur le plan humain et qui souffre de l'évolution de son bébé au travers des décennies. Sur le plan cinématographique, il y a enfin une «patte» qui éloigne la série de ces séries qu'on a pu qualifier de «à la française», non pas l'américanisant, mais l'approchant d'un style international tout en gardant un caractère intimiste un peu Nouvelle vague. Cette intention est d'ailleurs avouée par le personnage qui joue Steven Spielberg (mais en même temps ça sert à quoi de le dire?).

 Qu'en pense l'auteur des Ovnis-papers, c'est-à-dire moi-même ?

Une constatation : le groupe Canal Plus possède C8, donc est présent tant sur le marché main-stream sur lequel il place sa série que sur les niches plus restreintes, telles que que Enquêtes paranormales, etc. Le groupe n'hésite pas d'ailleurs a donner parfois dans des sujets d'investigation fort sérieux sur ce thème, sur ces deux médias, mais ni plus ni moins que dans des produits d'appel paranormaux totalement discrédités. Il possède donc une grande place dans les deux univers, où il tient son rôle avec application.

Les grands problèmes que rencontre l'ufologie (non-crédibilité, desintérêt, indifférence, négation) sont abordés et incarnés à travers cette question: puis-je faire carrière au Cnes avec le boulet Gepan au pied ? Evidemment non : ce poste, c'est pour la fin de carrière.

Il aurait certainement été possible de prendre le contrepied en rapprochant la série du réalisme historique et de souligner l'absence de moyens que met le Cnes à la disposition du Gepan devenu Geipan. on aurait alors comparé le rôle très comptable de l'organisme aux énormes ruptures méthodologiques apparues dans les années 2010 (voir ici et voir ici) dans la recherche sur les Ovnis, qui forment un peu un mix entre Inception et Colony. (Un film que je ne présente plus et une série antagoniste qui cartonne sur Netflix et développe une invasion pour le moins spécifique, mais très réaliste du fait même de son étrangeté.) Des questions essentielles se posent au Geipan, et donc au CNES, à travers ces ruptures -notamment, au fait que celles-ci impliquent de disposer de toute la chaîne d'observation (du témoin au satellite). Mais l'organisme, «service public», ne semble pas vraiment manifester la volonté de se saisir de toute la chaîne d'analyse. On se demande bien pourquoi? La réponse à cette question aurait été, indiscutablement, un magnifique moteur d'intrigue.

Curieusement, le look années 1970 du film est aussi le look années 2020 de la méthode et des moyens de l'organisme. Toutes ces énigmes sont magnifiquement abordée par Steven Spielberg (mais se terminent chez lui souvent en cul de sac, comme dans Taken), comme les interactions témoins-occupants des appareils, souvent télépathiques.

Les observations d'engins "non-humains" montrent une rupture totale par rapport à nos concepts physique, une maîtrise de la Relativité générale (voir ici). Qu'en est-il des observations dans le domaine de la conscience, des valeurs, de l'énergie sur le plan individuel, des concepts de vie et de mort, de politique? Et y compris biologiques : Gabriel Greslé, ex-pilote de chasse dans les années 1950 et ayant eu connaissance (avant classification) de documents troublants, rapporte qu'à la suite de crashs les autopsies des pilotes ont révélé l'absence d'appareil digestif et sexuel! Je suis à présent complètement blasé par tout ceci, mais j'imagine aisément votre incrédulité. L'énigme est plus belle que la vérité, qui est souvent simple et indiscutable. L'énigme est un marché, la vérité plus vraiment. L'histoire des sciences, tout art, est une dynamique de réduction de ce qui n'est pas nécessaire pour parvenir à une épure, telle e = mc2. Or, voilà, ce moment a eu lieu dans les années 2010-2015 : ce qui le confine dans de petits cercles, c'est juste qu'il est impensable.

 Pierre-Gilles Bellin

Illustration 2
Presque en direct du Bureau des légendes © Anonymous

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