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Billet de blog 3 avril 2009

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Les Halles : chronique d’un désastre annoncé (un cadeau de 500 millions d’euros)

Septembre 2002 : dans l'enthousiasme général, une poignée d'associations répondent à l’invitation de la SEM Paris-Centre pour participer au projet de rénovation des Halles.

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Septembre 2002 : dans l'enthousiasme général, une poignée d'associations répondent à l’invitation de la SEM Paris-Centre pour participer au projet de rénovation des Halles. Sept ans plus tard, c’est la désillusion et l'amertume. Pourquoi avoir négligé les capacités d’innovation des citoyens de la métropole ? Alors que la démocratie participative fonctionne dans presque toutes les grandes villes, comment Paris, sur un projet urbain d’une telle importance, a-t-il pu engendrer un tel désastre ?

Dès 2004 et la consultation de quatre équipes d'architectes renommés, la municipalité vante, à coups de chiffres, l’immense succès de sa concertation. On ne compte plus les réunions tenues et les visiteurs de l'exposition dédiée au projet, là où de grandes urnes de verre, emplies de milliers de bulletins-réponses, font figure de transparence démocratique.

L’absence de participation démocratique

Mais déjà, les associations réclament l'adoption d'une « charte de la concertation » établissant les règles du jeu entre élus et citoyens. Car l'efficacité et la pertinence ne peuvent se résumer à une abondance toute formelle. Et si aujourd’hui la Mairie de Paris comptabilise de nouveau un nombre impressionnant de "réunions thématiques de travail", la démarche participative s’y est noyée, à l’écart des processus réels de conception et de décision.

Dès 2005, avant d’être communiquées aux acteurs de la concertation, toutes les orientations importantes sont prises à huis clos, et dans la plus grande opacité, entre UNIBAIL (gestionnaire du Forum), le STIF, la RATP et les architectes. Au moment même où les processus de décision se doivent de rester transparents, les associations ne servent que d'alibi démocratique à des négociations tissées dans des lieux et des temporalités invisibles.

Lors des groupes de travail, les associations sont constamment mises devant le fait accompli de décisions dont elles n’ont souvent pas même copie avant la réunion. Leurs demandes d'explication se heurtent le plus souvent au mutisme ou aux longs discours des adjoints concernés ou des services d’urbanisme. Et si les architectes, mandatés pour la rénovation du jardin et du forum, s'efforcent d’assister aux réunions et de convaincre du bien-fondé des partis pris architecturaux, les maîtres d'ouvrages coupent court à tout débat argumenté.

Loin du sens…

Nous sommes alors bien loin des processus délibératifs mis en œuvre depuis de nombreuses années par d’autres pays d'Europe, là où le sens d’un projet, sa fonctionnalité, sont le produit d'une réflexion commune se construisant pas à pas dans les échanges.

Car l'opération des Halles ne dépassera jamais le niveau informatif et consultatifsur des propositions déjà finalisées. Et le rappel des souhaits exprimés par enquêtes et sondages restera lettre morte.

Seule concession : la demande d’un espace métropolitain, enfin prise en compte, offre aujourd’hui à la Ville une dernière occasion de changer de cap et d’ouvrir une concertation digne de ce nom.

Sa réalisation permettrait de créer un équipement public citoyen , d’y puiser un sens, de considérer les attentes des populations de la Métropole (qui fréquentent en masse gare souterraine et centre commercial) au lieu de piloter les études en s’appuyant sur les contradictions internes des associations de riverains et de commerçants, tout en ménageant les plus bruyantes, afin de mieux les neutraliser…

La soumission aux intérêts privés

Automne 2007 : le « Forum » change de forme et de nom. Le lauréat du concours l’appelle désormais « Canopée ». Comparée à une raie Manta par les commentateurs, elle séduit par le trait lumineux du cabinet Berger-Anziutti et par sa symbolique des échanges.

Deux ans plus tard, le bâtiment s'est sérieusement empâté. Il a troqué son élégance contre l'équivalent d'un étage, a fermé ses accès latéraux, a fait disparaître sa passerelle aérienne et tout espace public de gratuité. Ayant oublié son quartier, il s’apprête à protéger ses commerces derrière verrières et grilles comme pour mieux attraper, dans ses coursives, le précieux voyageur.

L'ambitieux projet de l’auditorium de musique du Conservatoire, fleuron de la programmation culturelle, s’est évanoui. On construit, face à l’ancien jardin, des brasseries pompeusement nommées "café littéraire" ou "café du XXIe siècle" et comptabilisées dans les programmes culturels.(1)

Le jardin, dont les abords se minéralisent comme un parvis de supermarché, est redessiné en zone d’attraction pour le centre commercial. Tous les lieux investis, jardins d’enfants, Place René Cassin, sont tour à tour liquidés. On promet de les remplacer, forcément « en mieux »… Mais que faut-il espérer du concept, désormais rabâché, d’« hybridation culturelle et commerciale » ?

Et si la Mairie accepte d’Unibail cette animation de l’espace public pour redynamiser les Halles, n’est-ce pas pour renforcer au passage la politique sécuritaire d’un quartier déjà voué à la vidéo-surveillance ?

Le prix à payer

Voilà comment la Ville derrière le masque d’un projet prétendument concerté, a livré l’espace public à UNIBAIL, dévoyé la participation citoyenne et reculé sur tous les fronts sans contrepartie réelle.

« Ce qui compte pour garantir le prix, c'est évidemment le chiffre d'affaires au mètre carré. […] Il y a des opérations, des affaires à faire par exemple au Forum des Halles, et il faut s'y précipiter. On travaille d'arrache-pied avec les équipes de la mairie de Paris pour refaire le Forum des Halles, pour le rouvrir sur Paris. C'est un centre commercial qui marche formidablement, mais qui doit retrouver sa clientèle parisienne. Donc on est en train de refaire le Forum des Halles, et ça va être un lieu de rendez-vous. » (Le PDG d’Unibail,Guillaume Poitrinal, interviewé sur BFM éco Good Morning Business, le 9 février 2009.)

Printemps 2009 : alors que la Ville s’apprête à voter les 2/3 de la facture de ce rendez-vous (estimée aujourd’hui à plus de 750 millions d’euros) on se demande comment de tels cadeaux peuvent encore être octroyés à une entreprise privée…

Et le comble ne serait-t-il pas, au bout du compte, et pour soulager la pression fiscale, la cession par la Ville du foncier à son gestionnaire ?

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(1) :Cf. demande de permis de construire du 19 décembre 2008 et projet de délibération du Conseil de Paris DU 2009-0113.

Signataires ( par ordre alphabétique).

Thierry Baudouin ( Sociologue, Atelier des Halles), Paule Champetier de Ribes ( Assitante commerciale, Association Curiositas), Pierre Grenet (Editeur web, collectif Parole des Halles), Olivier Péray ( auteur-réalisateur, association Paris des Halles)

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