Le site des Halles, au centre de Paris, a toujours été emblématique, longtemps ventre alimentant toute la ville avec le grand marché alimentaire, il devrait être le cœur battant au rythme de la ville et jouer un rôle déterminant pour donner du sens à la ville du XXIème siècle. Aujourd’hui, il est surtout symptomatique des politiques de la ville et de ses enjeux politiques. Dans l’après 68, il y a quarante ans, le pouvoir de droite a choisi de faire aux Halles libéré du marché transféré à Rungis un centre commercial sur la plus grande gare urbaine d’Europe. En cela, il agissait dans sa logique libérale : des investissements publics dans les transports au service des intérêts commerciaux. Jacques Chirac a inauguré en 1979 le Forum des Halles. Unibail Rodamco, un des plus grands promoteurs immobiliers européens, exploitant du site, se vante que les commerces installés bénéficient de la plus haute rentabilité par mètre carré en Europe.
En 2002, Bertrand Delanoe a fait le constat de la dégradation précoce des bâtiments et des risques liés à l’évacuation des usagers de la gare souterraine en cas d’incidents ou d’attentats. La ville a affirmé sa volonté de réorganiser le Forum et a lancé un concours de définition en faisant appel à des architectes renommés. Le débat sur le projet a été orienté sur les choix architecturaux sans afficher d’objectifs urbains précis.
La ville a fait un premier choix avec l’équipe Mangin Seura pour l’aménagement global du jardin et des bâtiments émergents. Déjà, dans cette étape les commerçants et Unibail ont réussi leur lobbying pour écarter tous les projets ambitieux et dérangeants pour leurs intérêts. Ils ont été aidés par l’association la plus active de riverains qui voulait préserver le jardin, limiter la hauteur des constructions etl’arrivée de nouvelles activités drainant encore plus de public.
Devant les réactions négatives sur la qualité architecturale du projet Mangin, la ville de Paris a réduit la responsabilité de Mangin à l’aménagement du jardin et à l’assistance à maîtrise d’ouvrage pour un nouveau concours cette fois limité au bâtiment du Forum.
En 2006, les architectes Berger Anziutti ont été désignés par un jury lauréat du concours avec un projet baptisé Canopée. Cette fois l’alliance s’est élargie aux sensibilités écologiques et le jury a plébiscité le projet qui escamotait les bâtiments sous un toit de verre ondulé inspiré d’une feuille d’arbre et très largement ouvert sur le jardin.
De nouveau, la hauteur du bâtiment a été un critère déterminant pour les riverains et la magie de la maquette a évité le réalisme nécessaire pour loger tous les mètres carrés prévus dans le cahier des charges. Les partisans d’une architecture audacieuse ont été séduits par l’élégance de la feuille avec un maximum d’ouvertures sur le quartier à travers la structure du toit et par des passages latéraux. La Canopée, avec son ondulation donnait sur la maquette l’impression que les façades latérales présenteraient un mur vertical avec une hauteur très progressive à partir de la rue.
L’avant projet présenté la semaine dernière aux associations a évolué sensiblement, d’où la colère d’un grand nombre d’entre elles (voir le communiqué). La feuille s’est rigidifiée et a pris la forme d’un toit plus classique, l’ondulation persistera mais à une hauteur fixe de 14 mètres (3 mètres de plus que le projet initial) gardant seulement un effet intéressant promis par l’architecte de torsion pour assurer la fonction autoporteuse. Les façades latérales ont perdu leurs ouvertures au rez de chaussée, le bâtiment s’est refermé sur les côtés avec des murs de 4 mètres au premier niveau et s’est enflé en culminant à 14 mètres.
Les réactions les plus violentes sont dues à l’analyse que la concertation vantée par le Maire de Paris, futur candidat à la Présidence de la République est une mascarade. La Mairie fait valoir le succès public de l’exposition sur les projets architecturaux et le nombre de réunions tenues avec les associations pour prétendre avoir mis en place un grand débat public.
Effectivement, un des enjeux importantsdu projet est le niveau de concertation avec les usagers. La démarche peut être de l’ordre de la communication avec une présentation par la ville de ses choix, de l’ordre de la démocratie participative avec un droit pour le public et les associations d’émettre un avis ou enfin, comme dans d’autres villes Monde, de l’ordre de la programmation concertée. Les hommes politiques qui cherchent un nouveau mode d’élaboration des projets devraient être capables d’organiser des processus interactifs avec les usagers.
Depuis 2003, des chercheurs et des militants présents dans la concertation ont systématiquement proposé des méthodes faisant appel à des groupes d’usagers et à des ateliers d’urbanisme. Le seul acquis a été une charte de la concertation qui a contraint la municipalité à lancer des études quantitatives et qualitatives sur les usages. Bien qu’imparfaites et insuffisantes, ces études ont mis en évidence que le forum était fréquenté à 95 % par des non riverains, venant par les transports publics, 800.000 personnes passant chaque jour aux Halles et près de la moitié circulant dans le forum.
Les équipements culturels existant étaient très peu connus du public et les jeunes de banlieue trouvaient là un lieu de rencontre moit moit, mi banlieue par la fréquentation, mi parisien par la localisation dans le centre de la capitale. Les jeunes banlieusards apprécient d’être moins étiquetés et stigmatisés que dans les cités et de pouvoir y développer des styles et des stratégies de drague dans un relatif anonymat.
Depuis quatre ans, des associations ont poussé la Municipalité à se « réapproprier » le Forum en rééquilibrant les surfaces occupées au profit des équipements et des activités publiques et culturelles. Le sujet a toujours été évacué. La Mairie, bien que propriétaire du site et responsable de tous les espaces publics ne souhaitant pas investir au centre de Paris a fait la part belle au commerce.
Les nouvelles surfaces disponibles dans le bâtiment de la Canopée ont été affectées à des cafés en bordure du jardin et à des commerces de bien être, les équipements publics retenus dans le projet sont ceux qui sont déjà présents aujourd’hui avec des espaces plus généreux pour le conservatoire, la médiathèque, la bibliothèque, et un centre de pratiques amateurs.
Ces équipements publics sont tous orientés sur la pratique culturelle et par nature plutôt destinés aux riverains, puisque nécessitant une fréquentation régulière. Ils ont peu d’impact sur les usagers métropolitains et visiteurs occasionnels.
Des associations réclament, jusqu’à présent sans succès, des lieux de diffusion culturelle, de débat, de rencontre permettant à des publics diversifiés de créer un espace public innovant avec des accès à des tarifs populaires.
L’environnement du projet vient pourtant de se modifier.
La municipalité récemment réélue s’est trouvée bousculer par le chantier du Grand Paris. Elle est mise en demeure de trouver un sens métropolitain à ce projet. Les urbanistes, architectes, sociologues philosophes qui se sont déjà exprimés sur le sujet ont évoqué l’enjeu « capital » de la restructuration des centres commerciaux devenus de fait les principales places et lieux de rencontre. Ils ont affirmé qu’ils devaient échapper à une pure logique commerciale.
Une nouvelle étape s’ouvre, il est encore temps de réorienter le projet. Les associations vont continuer à dialoguer
avec la Municipalité et une réunion publique se tiendra le 10 juillet.
Les débats dans la presse, dans les organisations politiques et dans le public doivent donner une chance aux Halles de devenir le cœur de Paris.
Main basse sur les Halles : une concertation dévoyée (Communiqué de presse)
La Mairie de Paris convie les associations à élaborer en commun le futur projet des Halles, mais discute dans leur dos avec le partenaire qui sera sans doute son principal bailleur de fonds, UNIBAIL-RODAMCO, la multinationale propriétaire du Forum. Les architectes Berger et Anziutti avaient gagné le concours avec leur «Canopée», une feuille élégante planant à faible hauteur sur le périmètre du futur bâtiment. Huit jours avant sa présentation aux Conseillers de Paris, lundi 16 juin, les associations découvrent avec stupeur un bloc compact où elles ne reconnaissent plus le projet lauréat du concours sur lequel elles ont planché pendant les derniers mois : pour répondre aux souhaits d’Unibail, on lui a
coupé la tige, comblé les vides de la « forme à l’équilibre» en la fermant par une muraille haute de 14 m sur la rue Rambuteau, et élargi son emprise au sol. Ces modifications, guidées « par des raisons de sécurité» et les impératifs d’une programmation fourre-tout, augmentent sans le dire la surface commerciale du rez-de chaussée et dénaturent complètement l’esprit initial du projet.
Au lieu d'être un espace ouvert sur la Ville, la Canopée devient un centre fermé dont la fonction première est d'attirer et de canaliser le passant vers les grandes enseignes. Quant au jardin, dont toutes les associations, toutes les enquêtes d’usagers ont demandé qu’il reste paisible et gratuit, il se transforme en desserte principale du Forum par le basculement des flux du métro et l’installation de deux grands cafés en lisière. L'avant-projet sommaire (APS) sorti du chapeau de la Direction de l’Urbanisme révèle aujourd'hui la vraie nature du plan urbain de la Mairie, un centre commercial largement subventionné par la Ville, annexant le
jardin, et paré d'un cache-misère culturel.
Alors que Monsieur Delanoë affirme que ce projet a été « beaucoup, beaucoup, beaucoup concerté», une majorité d’associations refusent absolument d'en assumer la responsabilité et l’ont fait savoir à la réunion du 10 juin avec Madame Anne Hidalgo par une déclaration (voir ci-dessous) où elles dénoncent le double jeu des négociations parallèles, l’opacité des arbitrages, la prédominance accordée à Unibail-Rodamco, l'occupation grandissante de l'espace public par les activités et animations commerciales, «hybridation du commerce et de la culture» qui résume la politique de la Ville.
Malgré de fortes réserves formulées sur la conduite de la concertation, les associations signataires ont accompagné le processus avec la conviction que le débat démocratique constitue un indispensable enrichissement du projet. Elles s'opposent désormais
catégoriquement à ce que l’APS soit publié ou présenté comme ayant reçu leur approbation. En dépit du peu d’audience accordé jusqu’ici à leurs travaux, elles persistent à demander et espérer que la Mairie prenne en compte non seulement une frange privilégiée de Parisiens et de touristes clients des Halles mais l’ensemble des citadins proches ou lointains qui font le coeur de la Ville.
Projet de rénovation des Halles : GTT « Canopée»
Déclaration lue lors de la Réunion du 10 juin 2008
Les associations signataires découvrent avec stupeur l'APS qui vient de leur être communiqué par la Direction de l'Urbanisme, et refusent absolument d'en partager la responsabilité. Deux concertations semblent avoir été conduites en parallèle, l'une rapportée non sans omissions importantes par M. Franjou, l'autre qui parait totalement se désintéresser de celle conduite avec les associations et dont le véritable pilote est manifestement UNIBAIL.
Non seulement l'APS ne corrige aucune des faiblesses du projet Canopée signalées lors des réunions de travail préparatoires, mais il dénature complètement son esprit initial. Privée de sa fine attache, la feuille aérienne de MM. Berger et Anziutti est retombée comme une crêpe molle, ou un toit Mangin aux contours arrondis. La fermeture de l'accès par la rue Rambuteau en fait un bloc compact haut de 14 mètres, et augmente sans le dire la surface commerciale du rez-de chaussée.
Quant aux principaux défauts signalés ils n'apparaissent même pas dans le bilan des réunions préparatoires: le basculement des flux Lescot vers le côté jardin, traité de fait comme une desserte du Forum. Les cafés en façade sur le jardin, alors qu'une majorité d'associations demandaient à la Mairie d'y installer les Équipements culturels afin d'afficher un sens, une cohérence, une volonté, qui manquent singulièrement à ce projet.
Déjà, le cahier des charges du concours dévoilé au terme de longues séances de discussions ne tenait pratiquement aucun compte de leurs propositions, demandes, et critiques. Cela n'a pas empêché M. Delanoë d'affirmer en priorité lors des résultats du concours que ce projet avait été "beaucoup beaucoup beaucoup concerté".
Les associations sont dans un piège où la ville martèle sans cesse l'importance de la concertation, mais se donne la liberté de trancher. Une véritable concertation suppose de la transparence sur la façon dont le projet se constitue à partir des propositions et des débats, et sur la façon dont les arbitrages sont réalisés.
Le débat au cours des dernières semaines s'est enlisé dans la polémique autour du jardin Lalanne, au point d'empêcher toute discussion sérieuse des différentes demandes exprimées par la concertation lors des réunions de travail, demandes totalement ignorées par l'APS. En guise de réponse à leurs propositions, les signataires notent la prédominance accordée à UNIBAIL, l'animation et l'occupation de l'espace public par les commerçants, l' "hybridation du commerce et de la culture" qui résume la politique de la Ville. Les animations les plus récentes, le baleineau rouge Nestlé échoué sur la terrasse intermédiaire et un tonitruant
concert de rock, sont très loin des images pieuses projetées par le GIE lors de la réunion du 5 mai. L'APS révèle aujourd'hui la vraie nature du projet, un centre commercial subventionné par la Ville, annexant le jardin, et paré d'un cache-misère culturel.
Malgré de fortes réserves sur la conduite de la concertation, malgré le précèdent du cahier des charges, les associations signataires ont persisté jusqu'ici dans le processus avec l'espoir
que leurs demandes légitimes puissent encore être entendues. L'APS démontre à quel point on a abusé de leur temps et de leur bonne volonté. Dans ces conditions elles s'opposent à ce qu'il soit publié ou présenté, lors de la demande de permis de construire, comme ayant reçu leur approbation, et refusent de continuer les discussions sur la base d'un tel document. D’ores et déjà, le déroulement de la concertation fait planer des craintes sérieuses
sur la volonté de la Municipalité de prendre en compte les travaux du Groupe MÉtropole.
Signataires :
Thierry BAUDOUIN (Atelier des Halles)
Paule CHAMPETIER DE RIBES (Conseil de quartier Saint-Germain
l'Auxerrois/Curiositas)
Jacques CHAVONNET (Défense des riverains Châtelet-les Halles)
Michèle COLLIN (Atelier des Halles)
Pierre DIMEGLIO (EPPPUR/Parole des Halles)
Dominique GOY-BLANQUET (Conseil de quartier des Halles)
Pierre GRENET (Parole des Halles)
Jean-Pierre MARTIN (Conseil syndical du 5/7 rue des Innocents)
Olivier PÉRAY (Paris des Halles)
Isabelle THOMAS (Vivre le Marais)
Jodelle ZETLAOUI-LÉGER (EPPPUR/Parole des Halles)