
Agrandissement : Illustration 1

Le Shopping promenade
Le nouveau centre commercial au nord de la ville a été autorisé par la précédente municipalité à majorité de « gauche » alors qu'elle bénéficiait d'une dotation de l'état : « Action cœur de ville » pour garantir un développement économique et commercial équilibré dans le centre ancien et d'une zone commerciale de 44 hectares avec des hyper marchés, beaucoup de magasins de chaînes et des restaurants au sud de la ville. Le chaland visiteur est accueilli par le panneau « You Arles Welcome » dans ce shopping promenade inspiré à la fois des espaces commerciaux créés aux Etats Unis comme le « Third street promenade » à Santa Monica, Californie et de Bercy village à Paris sur le cour Saint Emilion avec ses 46 enseignes installées dans les anciens pavillons entrepôts de vin sauvés de la démolition et classés au patrimoine parmi 0,5 hectares sur les 50 existant jusque dans les années 1980 que des associations avaient défendu au côté des négociants de vin et des intellectuels de la fondation transculturelle et que l'état avait envisagé de classer dans son ensemble.
A proximité de l'hyper marché Leclerc, sur 18.000 mètres carrés, on trouve désormais 37 boutiques d'enseignes diverses dont la FNAC qui vient concurrencer les 6 excellentes librairies du centre ville, 9 restaurants, des aires de jeu dans un espace végétalisé avec 700 arbres plantés et des pelouses synthétiques. 240 emplois auraient été créés sur le site.
Ce nouveau concept de « shopping promenade » concocté par les spécialistes du marketing pour augmenter les chiffres d'affaires des commerces et pousser les citoyens à consommer davantage s'est développé pour pallier la baisse de fréquentation des centres commerciaux fermés, bunkerisés dans des grands bâtiments, les « malls » cités par Macron lors de l'inauguration de la Samaritaine, bien que ce terme ne soit pas utilisé en France.
Le « shopping promenade », plus ludique, à l'air « libre » fait vendre et la France de 2021 est mûre pour le gober tout entier à commencer par son expression. Tout commence par la langue ! Le shopping fait déjà partie du langage courant et « promenade » est un mot français repris aux Etats Unis pour faire référence à l'art de vie français, au luxe et à la côte d'azur avec sa « promenade des Anglais ».
Pour être mis en condition d'achat et se prendre pour des Américains, non seulement beaucoup d'enseignes sont en anglais « New Yorker, Blue Box, Emilie and the cool kids, Rose n'rock, wearme, Brut butcher, Basic Fit, My beers, People's square, Easy Cash, mais aussi les « base lines», les slogans : « Good vibes only » pour le coiffeur, « the preferred belgian chocolate » pour le chocolatier, « Nordic escape, fall winter 2021 » pour les vêtements, sweet home, sneakers days, and the cool kids, feel good et ma préférée « ton burger en mode road trip » au drive.

Agrandissement : Illustration 2

Quand on interroge les passants déambulant dans les allées, beaucoup ne sont pas gênés. Certains semblent fiers de comprendre, d'accéder au statut de « clients universels » de la globish culture, d'autres n'avaient pas remarqué que c'était de l'anglais. Les réfractaires, les critiques sont ailleurs. Ils jurent de ne jamais y mettre les pieds.
Les indifférents semblent associer directement les objets à consommer aux expressions sans chercher à les décrypter. Cela me rappelle une vendeuse dans une pâtisserie à qui je demandais une « tarte au citron » après en avoir mangé une chez des amis qui m'avaient indiqué où ils l'avaient achetée. Elle m'avait répondu : « Désolé, nous n'avons pas de « tarte au citron ». J'avais insisté en lui désignant sur une étagère la même tarte que celle des amis. Elle m'avait alors rétorqué : « Ah oui, mais c'est une « lemon pie ». Elle avait donc bien associé l'image de la tarte à l'expression « lemon pie » sans en comprendre les mots.
A Santa Monica, c'est tout le centre ville qui est "organisé" et animé comme un gigantesque "shopping promenade", l'avenir d'Arles ?
Le processus d'acculturation est partout en route, mais en particuliers dans ces « shopping promenades » pour transformer tous les citoyens en consommateurs au cerveau disponible. Le grand remplacement est en marche.
Le parc des ateliers LUMA de Maja Hoffmann
A l'autre bout de la ville, dans le centre, on trouve la fondation LUMA (contraction du prénom des deux enfants, Lucas et Marina de Maja Hoffmann), cette institution privée à l'origine d'un complexe au contour indéfini dont la programmation est réservée à un petit noyau de fidèles (core group) autour de sa présidente. 230 salariés en équivalent temps plein travaillent dans le centre Luma, dans les 4 hôtels, et dans le restaurant étoilé appartenant à Maja Hoffmann.

Agrandissement : Illustration 3

Le nouveau parc des ateliers est situé dans les anciens ateliers SNCF où travaillaient 1000 salariés au XXème siècle. Sur sept hectares qui en font un des centres d'art contemporain les plus étendus au monde avec 6 bâtiments dans des hangars rénovés, une tour de 15.000 mètres carrés sur 56 mètres de haut conçue par l'architecte déconstructiviste Frank Gehry et un parc de 3,6 hectares sont proposés des installations et des films gratuitement aux visiteurs.
Les bâtiments ouverts toute l'année ne sont pas encore tous occupés.
Des téléviseurs sur le sol en terre battue diffuse des images abstraites en continu dans la grande halle. Des œuvres végétales d'artistes émergents restent visibles dans l'atelier de la mécanique (4500 mètres carrés) après la fin des rencontres photos.
Difficile de savoir combien de mètres carrés sur les 15.000 de la tour ont déjà été alloués ou programmés. Certains plateaux sont vides de même que l'auditorium de 60 places (aucune programmation connue pour les semaines à venir). Les terrasses du huitième et neuvième étage sont en libre accès. Au troisième étage un espace est réservé à un projet de recherche prometteur sur les structures des récits dans les œuvres littéraires, les films et les jeux vidéo avec des modélisations en 3 d et des travaux issus de l'architecture.

Une salle du rez-de-chaussée présente un tout petit échantillon des œuvres collectionnées par la famille Hoffmann comme une allée de pierre de basalte.
Au sous-sol, on trouve l'exposition « éphémère » avec des œuvres comme celle d'Urs Fischer, reproduisant en cire consumable l'enlèvement des sabines de Giambologna, nom italien de Jean de Boulogne (1529 – 1603), un flamand qui a travaillé longtemps en Italie. La bougie monumentale est amenée à disparaître au rythme du feu allumé à son sommet. Elle devrait durer un peu plus longtemps que celle identique exposée à la Bourse du commerce de la fondation Pinault. On trouve également un slogan révolutionnaire affiché sur les murs : « The days of this society is numbered », cette « baseline » s'expose sur des journaux de 2008 et donne envie de.... ?
Plusieurs salles donnent à voir des films dont un excellent documentaire sur la créolisation défendue par Edouard Glissant, une prise de position de Maja Hoffmann en faveur de la candidature de Jean-Luc Mélenchon ?
Arles à l'heure du monde
Et l’œuvre phare pour beaucoup de visiteurs, c'est le film The clock. Christian Marclay, un Américano Suisse, a réalisé un montage vidéo sur 24 heures d’extraits de films, contenant tous une indication de l’heure. Dans la tour, à Arles, de 10 heures à 18 heures, vous pouvez voir, confortablement assis dans de douillets canapés, défiler des images de films contenant des scènes structurées par le temps qui s'écoule en synchronisation parfaite avec celle de votre montre. Les extraits durent de quelques secondes à une minute. Prétendant être un hommage à l'histoire du cinéma, le spectateur hypnotisé est plongé dans une vision anglo saxonne du monde avec des extraits de films américains et anglais. Les dialogues ne sont pas traduits dans des sous-titres et les rares extraits de films français parvenus jusqu'aux monteurs suisses sont muets pour ne pas gêner le spectateur anglophone.
Le « monde » ainsi refondé dîne à 18 heures, prend le thé l'après midi, exécute un condamné sur une chaise électrique, prépare des attentats et regarde des tableaux SNCF sans prendre aucun train français. Les paroles n'ont peut-être pas beaucoup de sens. Nous sommes un certain nombre à perdre une partie des mots prononcés, mais les images sont belles et puis on peut se contenter de reconnaître avec nostalgie les acteurs de notre jeunesse.
Quand on va dans le « shopping promenade », on est pas dépaysé, on est préparé à consommer tout ce qui va bien et rappelle les images de « The clock ».
En attendant, les prochaines rencontres photos devraient s'exposer en 2022, principalement de l'autre côté du Rhône, dans les anciens entrepôts de la papeterie Etienne à Trinquetaille et non plus dans les ateliers SNCF du centre ville.
Le parc des Ateliers LUMA tourne pour refonder le monde en commençant par Arles.