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Billet de blog 3 octobre 2018

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GRU : les pieds nickelés de l’espionnage.

Le colonel des services secrets militaires russes (GRU), Anatoly Chépiga, alias Ruslan Bochirov, est accusé d’avoir empoisonné à Salisbury l’ancien espion russe Serguey Skripal. Chepiga avait dirigé en 2014 l’évacuation du président Viktor Yanukovich d’Ukraine en Russie.

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Illustration 1
Ruslan Bashirov et Alexandre Petrov © Russian Today

Le journaliste Sergey Kanev avait déjà mené une enquête sur l’empoisonnement au « Novitchok » à Salisbury qui a fait quatre victimes, dont une est décédée. Du 2 au 4 mars, deux touristes russes, Alexandre Petrov  et Ruslan Bochirov, ont effectué un aller-retour éclair Moscou-Londres pour voir la cathédrale de Salisbury et sa flèche haute de 123 mètres. C’était leur premier voyage en Grande-Bretagne. Des milliers de Russes visitent la Grande-Bretagne chaque année, très peu visitent Salisbury, surtout lors de leur premier voyage.

Leur ex-collègue et transfuge du GRU, Serguey Shrypal, réfugié en Grande-Bretagne habite à Salisbury, du côté totalement opposé à la cathédrale par rapport à la gare. Les caméras de surveillance démontrent que Petrov  et Bochirov n’ont pas visité la cathédrale, mais ont rodé aux abords du domicile de Serguey Skrypal. Petrov  et Bochirov se sont déplacés deux fois à Salisbury. Ils affirment que le premier jour ils n’ont pu franchir à pied les 800 mètres qui séparent la gare de la cathédrale à cause de la neige. Des Russes bloqués en Angleterre par la neige, cela fait sourire. Ils sont donc revenus le lendemain, le 4 mars. Le soir même ils sont rentrés à Moscou : mission accomplie. Ce jour-là, on a retrouvé Serguey Skripal et sa fille allongés sans connaissance dans un parc de ville. L’empoisonnement serait passé inaperçu, si la veille, la fille de Skripal n’avait pas rendu visite à son père. Lui seul étant intoxiqué, une cause extérieure n’aurait pas été soupçonnée. Mais deux personnes d’âges différents qui s’évanouissent en même temps, cela semble étrange. Le poison a été identifié. Il s’agit d’une arme chimique puissante de fabrication russe : le Novitchoc. Des traces ont été retrouvées dans la chambre d’hôtel occupée par Petrov  et Bochirov. Ils ont été accusés d’avoir enduit de Novitchoc la poignée de la porte d’entrée du domicile de Skrypal.

Le 27 juin, un habitant d’une ville voisine de Salisbury trouvait un flacon de parfum dans une poubelle et l’offrait à sa compagne. Il contenait du « Novitchok ». Sa compagne est décédée, son compagnon est toujours dans le coma. Le 28 septembre, Londres annonçait avoir démasqué un troisième agent russe. Il aurait été chargé d’effectuer une opération de reconnaissance.

Les portraits de Petrov  et Bochirov ont été largement diffusés. Interrogé, Vladimir Poutine a dit : « Bien sûr que ce sont des civils ! » Pour savoir qui sont Petrov  et Bochirov, les sites « The Insider » et de « Bellingcat » ont diffusé les donnés de leurs pièces d’identité achetées librement sur le marché « Mitichinsky » à Moscou. Voici une adresse plus proche :  marché-radio de la gare de Savelsky,  où je m’approvisionnais. On y trouve même les bases de données des cartes grises, casiers judiciaires, statistiques de la douane, etc. Inutile de les chercher longtemps, elles sont exposées à l’entrée.

Comment l’espion professionnel Vladimir Poutine a-t-il pu se fourvoyer ainsi ? Poutine a rajouté : « Vous les verrez à la télévision ». Sitôt dit, sitôt fait. Le lendemain, le 13 septembre, sur le canal « Russian today », les deux hommes ont été interviewés par la grande prêtresse Margarita Simonyan. À la question : « Êtes-vous du GRU ? », la réponse a été : « Nous sommes de simples touristes ». Deux hommes dans la force de l’âge faisant du tourisme ensemble et couchant dans la même chambre d’hôtel, cela peut paraître curieux. Ils ont risqué de se faire passer pour un couple de gays.

Les enquêteurs de « The Insider » et de « Bellingcat » ont poursuivi leurs recherches. Ruslan Bochirov est en réalité Anatoly Tchepiga, colonel du GRU et  Héros de Russie. Il a combattu en Tchétchénie, au Donbass. Il est originaire d’Extrême-Orient. Les habitants de son village natal l’ont reconnu. 

Mais le journaliste de « Russie ouverte » Sergei Kanev nous en apprend plus sur le colonel GRU Chepiga. En 2014, Anatoly Chepiga, a dirigé l’opération visant à transférer le président Viktor Ianukovitch d’Ukraine vers la Russie.

Selon Kanev, Chepiga commandait une unité qui protégeait Yanukovich à la résidence de Mezhyhiria, puis l’a transporté en Crimée. Le journaliste affirme que c’est pour cette opération que Chepiga a reçu le titre de héros de la Russie.

Serguey Kanaev est employé du « Centre de gestion des enquêtes ». Il a été contraint dernièrement de quitter la Russie. On l’a accusé de fomenter un complot contre Poutine, car il aurait cherché à connaître le trajet de ses cortèges.

Ces révélations de la participation de Anatoly Chepiga au sauvetage de Ianukovitch sont confirmées par Konstantin Kobzar, chef du service de sécurité de l’ex-président ukrainien. Il demande à être interrogé à nouveau sur la participation de Anatoly Chepiga au départ de Ianoukovitch pour la Russie en 2014. Il ne s’agissait pas seulement de sauver Yanoukovitch de la colère de Maïdan, mais aussi d’emporter un maximum d’argent et de biens précieux avec lui en Russie.

Comment démasquer un officier du GRU russe ?

Un employé du GRU est chargé de faire les démarches pour obtenir les passeports des agents secrets.

Il prend un paquet de demandes et les traite groupées. Les données du demandeur ne sont pas transmises. Sur le formulaire il y a un tampon « Donnés n’ont fournies » et deux lettres : C. C. Elles signifient : Soverchéno secretno » soit « Très secret ».

Les dossiers étant traités groupés dans le même bureau, les numéros de passeport sont donnés dans l’ordre des demandes, donc ils se suivent. Il n’y a que le dernier chiffre ou les deux ou trois derniers qui différent.

Lorsque vous avez identifié un agent du GRU, les autres suivent, numérotés sur la liste.

Il leur est attribué un téléphone. À Moscou, les trois premiers chiffres du numéro téléphonique définissent le standard du quartier. Le numéro des officiers du GRU commence par 175.

Sur les demandes de passeport de Pétrov et Bachirov, il y avait le tampon « Très secret » et les deux lettres C. C. Le numéro de leur passeport était différent seulement d’un chiffre. Leur numéro de téléphone commence par 175.

Voici quelques documents pour confirmer.

Illustration 2
Demande de passeport de Petrov © Belligcat
Illustration 3
Petrov
Illustration 4
Passeport de Shirokov, colonel du GRU

1 et 2/ Visibles les lettres C C et « Très secret » sur la demande de Petrov.

3/ Le numéro de passeport de Shirikov, colonel du GRU, finissait par 323. Celui de Bashirov finit par 294, celui de Pétrov par 297. Le reste est identique.

Toutes ces données sont en vente au marché radio de la gare Savelensky. C’est interdit, mais comme on dit en Russie : « Si on a vraiment envie de les acheter, c’est autorisé ». Le prix est simplement plus cher.

Parmi les gourdes célèbres du GRU, rappelons comment l’agence militaire finançait ses agents dans les Balkans : par des virements Western-union. Sur le formulaire, le nom de l’expéditeur n’était pas GRU, mais son adresse était : Moscou, chaussée Khoroshevskoe, 76. Il s’agit de l’adresse de l’État-major du GRU. Tous ses agents ont été ainsi démasqués.

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