En 2014, en chassant le Président ukrainien Yanoukovitch, le peuple révolutionnaire de Maïdan s’est attiré les critiques des organisations les plus antagonistes de la société française, de l’extrême droite à l’extrême gauche. Pour analyser les événements qui secouent l’Europe de l’Est, l’élite politique française utilise des arguments qui, de toute évidence, ne sont pas résultat d’analyses d’éminents « post-soviétologues ». Il ne s’agit pas de démonstrations, mais d’allégations assénées pour chacune à un public ciblé. Leur principe: réactiver des schémas culturels, historiques et politiques présents dans le subconscient de chaque auditoire, facilement assimilables par des militants incapables de rompre avec une rhétorique ressassée. Sans aucun doute, le procédé employé est très efficace.
- Pour le FN, Poutine est un nationaliste russe comme nous-mêmes sommes nationalistes français. Un « parti frère » en quelque sorte.
- Pour le Front de Gauche, Maïdan est fasciste. Poutine le dit lui-même et le dire, c’est le prouver. La nostalgie de l’internationale antifasciste de 36 est ravivée. No pasaran !
- Les procédés les plus convaincants sont les plus simples. L’héraldique comparée sert de démonstration. Avec un peu d’imagination, on aperçoit des similitudes graphiques entre l’insigne nazi et celui du bataillon ukrainien « Aïdar ».
Comment Le Pen et Mélenchon et bien d’autres ont-ils pu se retrouver, avec des arguments aussi vaseux, adversaire de Maïdan ?
Diversité et particularités et Française.
Héritier du passé nationaliste gaullien et de la gauche communiste, l’anti-américanisme traditionnel de gauche et de droite nous conduit à rechercher des contrepoids face à une extension étatsunienne supposée en Europe. Les ennemis de mes ennemis étant mes amis, la Russie de Poutine jouera le rôle qui était celui de l’ex-URSS pour garantir l’équilibre géopolitique du continent. Les réticences françaises à l’égard de l’OTAN demeurent. L’alliance atlantique est qualifiée d’expansive. Comme à Munich en 1936, la désolidarisation de la politique française avec l’Europe centrale et orientale se perpétue. La France n’ayant jamais été occupée par la soldatesque russe, composée aujourd’hui des affreux mercenaires tchétchènes , peu de nos concitoyens comprennent que les pays ayant nouvellement adhéré à l’OTAN veulent avant tout se prévenir d’un retour éventuel des Russes. Leurs craintes semblent tout à fait justifiées. La Géorgie et l’Ukraine avaient fait le pari illusoire, qu’un statut « hors bloc militaire » aurait garanti leur sécurité. En vain ! L’annexion de la Crimée par la Russie, l’intervention militaire russe au Donbass, les deux guerres faites par la Russie contre la Géorgie démontrent que les pays frontaliers avec la Russie sont en danger. Ils ne sont pas menacés par l’OTAN, mais par Moscou ! La France, ayant beaucoup d’intérêt économique en Russie, les milieux d’affaires souhaitent une « finlandisation » de la France dans ce conflit afin de préserver leur business. C’est-à-dire prendre leur distance . Le gouvernement et tous les médias, alignés sur le parti des affaires, refusent de nous informer de l’évidence suivante : « il y a une guerre entre la Russie et l’Ukraine. La Russie est l’agresseur. »
Une guerre d’un type (presque) nouveau.
Les guerres du XXIe siècle ont adopté une nouvelle stratégie combinant à la force des armes, l’information, la culture et l’argent. La maîtrise souple, ciblée et graduée de cet arsenal complet caractérise le concept de guerre hybride défini par le chef d’État-major général des Forces armées russe, Valery Gerasimov, dans la revue «Le Courrier de l’industrie militaire ». « Au XXIe siècle, la frontière entre Paix et Guerre s’estompe. Le rôle des moyens non militaires pour atteindre des objectifs politiques et stratégiques a pris de l’importance. Dans de nombreux cas, leur efficacité est supérieure aux armes. Les méthodes pour mener des conflits ont changé en faveur d’une utilisation plus générale de moyens, politiques, économiques, d’information, humanitaires et autres moyens civils. Ceux-ci seront complétés par des actions militaires clandestines avec l’intervention des forces spéciales et l’organisation de conflits à caractère informationnel et médiatique. »
Sergey Chekin et Sergey Bogdanov, de l’institut militaire stratégique auprès de l’état-major des forces armées de la Fédération de Russie, ont développé récemment la même idée dans la revue russe « Pensée Militaire ». « Pour mener une “guerre hybride” de type nouveau, des mesures asymétriques à caractère politique, diplomatique, informationnel, économique et militaire doivent être mises en œuvre. La “guerre hybride” russe en Ukraine prend en compte l’expérience des conflits militaires précédents non déclarés. Il est probable que les hostilités ont pris ces apparences aléatoirement et non suite à un plan d’action réfléchi à l’avance, mais il est certain, dans tous les cas, que cette guerre a redéfini les règles des futures batailles du XXIe siècle ». « Le conflit ukrainien a floué l’Occident ». L’essence d’une guerre hybride, non linéaire, est de commencer la guerre sans la déclarer officiellement », estime le professeur Galeotti.
L’OTAN est faite pour répondre à une stratégie du XXe siècle, à une attaque conventionnelle, mais aucunement à une guerre non déclarée menée par des moyens non militaires, par des « hommes verts », sans insigne distinctif, se faisant passer pour des milices populaires d’autodéfense. L’OTAN n’est pas préparée pour combattre des cyberattaques, pour faire face à des trolls informationnels, à des financements occultes semant la confusion et la diversion dans son propre camp. C’est ainsi qu’en 2014, la réaction militaire du pouvoir ukrainien contre l’occupation du Donbas par l’armée russe travestie en milice civile a été présentée et acceptée comme étant une agression armée de Kiev contre la population civile locale . De toute évidence, l’OTAN a abandonné à l’adversaire le terrain de l’information sur son propre territoire. La propagande de Poutine a pris les devants dans les médias occidentaux. Seuls quelques spécialistes avertis ont compris, avec un temps de retard, la réalité de cette guerre hybride qui a surpris tout le monde. Poutine a réussi le tour de force de faire croire que la victime réelle, l’Ukraine, était l’agresseur. Nous rappellerons que c’est la Russie qui a annexé militairement une partie du territoire ukrainien, la Crimée, et que ce sont les militaires russes qui meurent au Donbass ukrainien et non les militaires ukrainiens en Russie.
Asymétrie avec l’occident et propagande.
L’asymétrie des régimes politiques permettait à l’URSS de soutenir les partis communistes frères à l’étranger, alors que les partis démocratiques étaient interdits en URSS. Cette dernière pouvait ainsi influer sur 20 % de l’électorat communiste en France sans crainte de réciprocité envers sa propre population. Poutine a recréé une situation semblable en éliminant l’opposition démocratique russe dont les dirigeants ont été assassinés (Nemtsov), emprisonnés (Oudaltsov), interdits d’élection (Navalny), ou encore contraints de s’exiler (Kasparov). Les moins courageux se taisent. La dictature, qu’il a imposée en Russie, lui permet de censurer l’opposition démocratique sur son sol alors qu’il profite de toutes les opportunités et libertés offertes par la démocratie occidentale pour diffuser sa propagande en Occident. Cette asymétrie lui permettra d’obtenir la suprématie informationnelle, arme indispensable de l’arsenal nécessaire pour mener une guerre hybride.
Exemples : les organisations russes recevant des financements de l’étranger sont contraintes de se faire réenregistrer sous l’appellation « Agent de l’étranger ». En France, le Front National est financé par des banques russes. Si les lois de Poutine étaient appliquées en France, Marine Le Pen serait contrainte d’avoir le statut « Agent de l’étranger » et la comptabilité de son parti, contrôlée tous les six mois par l’inspection fiscale.
Le miroir déformant.
Les sites de l’opposition russe www.grani.ru, www.kasparov.ru sont bloqués par le pouvoir en Russie. Les autres doivent se tenir en règle pour ne pas subir le même sort. Des dizaines de journalistes d’opposition (Politkovskaya, Estemirova) ont été assassinés sous Poutine, mais ce dernier offre l’asile politique au lanceur d’alerte Edward Snowden, ex-collaborateur de l’Agence Nationale de Sécurité. En Europe personne n’a eu le courage d’accueillir Snowden sur son sol. Ce privilège a été laissé à Poutine. Il peut ainsi adresser ainsi à tous les intellectuels occidentaux un message. : « Ici, nous défendons la Liberté. » Cette déclaration ne concerne que les lanceurs d’alertes étrangers. Les lanceurs d’alertes russes se font assassiner en Russie, en particulier ceux qui dénoncent la corruption, Magnitsk par exemple. Le principe du miroir déformé permet de créer un effet de loupe permettant de valoriser à l’étranger un événement gratifiant (asile de Snowden) alors que sévit une répression sur la presse russe indépendante.
Une idéologie multifacette.
On a tendance à dire que Poutine a reconstitué l’URSS, en miniature tout de même. Cela n’est pas exact, car il manque le noyau idéologique dans cet état russe qui ricoche vingt ans après sa chute : l’idéologie communiste. La longévité de l’URSS a été de soixante-dix ans. Moscou ne peut pas recréer le réseau d’alliances de l’ex-URSS qui avait, avant tout, une base idéologique, car le régime de Poutine ne repose sur aucune idéologie universelle. Il ne peut animer de passion au-delà de l’ethnie « grand-russe ». Son aspect très sectoriel est de toute évidence incapable de franchir des obstacles ethniques et culturels. Le conflit russo-ukrainien en fait la démonstration puisque ce sont des Slaves, chrétiens, européens qui s’affrontent dans ce conflit fratricide.
La réponse du Kremlin a été de créer une idéologie multifacette dans laquelle chacun peut y trouver son compte. Ce système a très bien fonctionné en direction de la France compte tenu de sa diversité. C’est ainsi que l’on retrouve les antagonistes Marine Le Pen et Jean Luc Mélenchon parmi les anti-Maïdan et bien d’autres :
- Poutine est l’ allié des anti-islamistes puisqu’il soutient Bachar-el-Assad.
- Poutine combat Euro-Maïdan appelé aussi Sodo-Maïdan, soit la dépravation homosexuelle occidentale.
- Le parti des anti-Maïdan s’étend aux indépendantistes de tous poils dont les Basques qui envoient sur place leurs reporters combattants.
- Poutine est un allié pour les eurosceptiques, les anti-OTAN et surtout pour les affairistes. Parmi ces derniers, les multinationales conduites par le Président Hollande et des aventuriers comme Philippe de Villiers qui a des projets de constructions de parcs d’attractions en Crimée annexée puisque le commerce et l’argent sont utilisés comme armes dans la guerre hybride.
Cette nébuleuse a permis à Poutine de déboussoler une grande partie de l’opinion publique française, de neutraliser les réactions pacifiques de notre population, de la désolidariser avec l’agressé : l’Ukraine.
La France-Afrique c’est comme la France-Russie.
La France coopère avec tous les régimes dictatoriaux d’Afrique, parfois avec les plus féroces : Bongo, Bokassa, Khadafi. Je laisse le soin au lecteur de compléter la liste. Le pays des « Droits de l’Homme » se transforme en pays du « Droit du Pognon ». Ses principes fondamentaux deviennent intérêts fondamentaux. En Russie, la France se comporte comme en Afrique. Alliée de la dictature de Poutine, ses médias censurent les forces démocratiques de Russie pour ne pas déplaire au dictateur. Elle privilégie le business. C’est cette attitude munichoise de Hollande qui encourage le dictateur à poursuivre son agression. Agression d’un nouveau type dont la panoplie des armes comporte l’arme nucléaire.