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Billet de blog 4 août 2015

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Simulacres d'élections en Russie

 « Les particularités du processus électoral russe sont telles que les votes contre le pouvoir sont impossibles », déclare Ilya Shablinsky, professeur à l’école supérieure d’économie et directeur de la commission du conseil des droits de l’homme pour le droit électoral.

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 « Les particularités du processus électoral russe sont telles que les votes contre le pouvoir sont impossibles », déclare Ilya Shablinsky, professeur à l’école supérieure d’économie et directeur de la commission du conseil des droits de l’homme pour le droit électoral.

 — Cet été, on pouvait espérer qu’à Novossibirsk, Magadan et Kostroma des élections honnêtes se dérouleront. Cependant, le parti d’opposition « Parnas » n’a pas été autorisé à s’y présenter. À Kostroma, le dirigeant de ce parti, André Pivovarov a été arrêté. Pourquoi ces élections régionales sont-elles si importantes ?

 — Parce que seuls les partis, qui sont représentés dans les parlements régionaux, pourront se présenter aux élections de la Douma d’Etat en 2016, sans obligation de collecter des signatures de soutien. Cette interdiction handicape l’opposition pour les élections prochaines.

 — À Novossibirsk, la commission d’enquête a effectué des vérifications préalables concernant le non-paiement d’honoraires par la filiale du parti « Parnas » de Novossibirsk à la personne qui a collecté les signatures de soutien. Cette enquête concerne aussi une falsification supposée de ces pétitions. Cette situation est-elle exceptionnelle en Russie ?

 — Cette personne, nommée Nikiforov, a apporté des pétitions de soutien falsifiées. La représentation de la Coalition démocratique a immédiatement signalé au comité d’enquête que les listes fournies par Nikiforov  sont frauduleuses et que celui-ci avait déjà perçu un traitement de 11.500 roubles pour ce travail.  Mais le Comité d’enquête a ouvert une instruction judiciaire contre la Coalition démocratique sur plainte de Nikiforov qui a déclaré que celle-ci ne l’a pas totalement rétribué pour le travail accompli.  La Coalition démocratique lui doit encore 7500 roubles selon le contrat. Je n’ai jamais vu ou entendu une telle absurdité.


 — Leonid Volkov, chef d’état-major de la Coalition démocratique de Novossibirsk, estime que tout cela a été fait intentionnellement afin de monter une affaire pénale contre sa personne.

 — Cela est tout à fait probable, compte tenu de ce dont a été victime Andrei Pivovarov à Kostroma. Avec ces affaires criminelles, ils veulent mettre un terme à la campagne de la Coalition démocratique.

 — L’arrestation par la police de Volkov et de ses collaborateurs dans le bâtiment de la commission électorale régionale à Novossibirsk est-elle légale ?

 — Je ne vois aucune violation administrative dans les agissements de Volkov et de ses collaborateurs. Ils ont uniquement exprimé leur désaccord.

 — Le tribunal les a tout de même condamnés à une amende pour désobéissance à agents de la force publique, en vertu de l’article 19.3 du Code administratif.

 — Ceci est une situation typique. Chez nous, tout peut être interprété en désobéissance. Souvenez-vous, lorsqu’il y a eu des arrestations massives dans les rues de Moscou. Les gens n’offraient aucune résistance. Ils étaient juste présents. Ils ont été saisis par le bras et traînés dans les fourgons de police. Quelques heures plus tard, la Cour a estimé qu’ils ont résisté.  Cela a été interprété comme « infraction administrative ». L’expulsion des représentants de la Coalition démocratique est consécutive au fait qu’ils ont contesté les arguments utilisés pour déclarer non authentiques les signatures en leur faveur. La Commission électorale se réfère aux registres du service fédéral des migrations (SFM) pour juger la validité des signatures. Or, le registre du Service fédéral des migrations (SFM), de toute  évidence, n’est pas exact.  Les employés du SFM ne s’expliquent pas et ne font pas de commentaire. Leur manque d’objectivité ne peut être contesté que devant un tribunal. Mais si les tribunaux se comportent ainsi, si tous les tribunaux sont complètement dépendants de l’administration, nous tombons dans un cercle vicieux. Nous savons comment les tribunaux se comportent en général. Ils tranchent en faveur de l’administration régionale.

 — Que doivent faire les partis d’opposition qui souhaitent participer aux élections ?

 — En fait, les « vrais » partis d’opposition, ceux qui s’opposent réellement au pouvoir, ne sont pas autorisés à participer à la vie politique légale. Tous les trucs, combines et tracasseries administratives formelles et informelles sont utilisés à cette fin.


Autrement dit, tous les efforts destinés à participer légalement au processus électoral sont entravés par l’arbitraire. Le but étant d’en exclure l’opposition démocratique. À mon avis, cela est sans avenir et dangereux.

 — Voulez-vous dire que cela peut éventuellement conduire à des manifestations de masse, comme cela est arrivé après les élections de la Douma en 2011 ?

 — Je ne sais pas. Il est difficile de prévoir de telles choses. Je constate seulement que pour pouvoir exprimer son désaccord, son mécontentement, sa colère (je ne ferai pas l’inventaire de tous les sentiments que j’ai remarqués chez les électeurs) il ne reste aucun moyen juridique.

Il y a des sentiments de colère et de contestation dans la société, quoi que l’on dise. Les élections en permettent l’expression. Si les élections se transforment en farce, ces sentiments vont s’accumuler sans pouvoir s’exprimer. Je pense que ces personnes, qui interdisent aux opposants potentiels de participer au processus démocratique, poussent la société à une catastrophe. Ce comportement est irresponsable. Ils ont certainement reçu un ordre de Moscou : ne pas permettre à l’opposition de se présenter aux élections. Ils agissent comme des vassaux.


— Andre Pivovarov, chef d’état-major de la Coalition démocratique de Kostroma a été accusé d’accéder illégalement aux données informatiques. Lioubov Sobol, collaboratrice de l’opposant Navalny, a écrit l’an dernier sur ses pages Facebook que lorsqu’elle recueillait des signatures pour les élections à la Douma de Moscou, un homme l’a contactée pour lui proposer, en échange d’une somme modique, de vérifier l’authenticité de ses signatures avec les bases de données du Service fédéral de migration (SFM). Lioubov Sobol a refusé. Elle a écrit : « Le pouvoir utilise la technologie suivante : tout d’abord, il interdit l’accès aux données officielles sur le site de la SFM. Lorsque l’opposition, soucieuse de présenter une liste idéale de signatures, est suffisamment inquiète, quelqu’un lui propose de « l’aide » dans le seul but de provoquer un délit. C’est exactement ce qui est arrivé à Kostroma. Il ne s’agit pas d’une initiative locale, mais d’une technologie élaborée au niveau national.
À Kostroma, il s’agit d’une pratique semblable. Les partis d’oppositions se sentent très vulnérables. Ils s’efforcent de vérifier au maximum l’authenticité des signatures recueillies, mais ne disposent d’aucun moyen pour cela. 

— Mme Andreeva, chef du registre de l’État civil, a discuté avec Volkov et autres membres de la Coalition démocratique. Elle dit que le service des passeports invalidés qui se trouve sur le site du service fédéral n’a aucune valeur juridique. On ne peut pas se référer à celui-ci. Seules ont force juridiques les données qui se trouvent sur la base du SFM. C’est à dire, qu’il est impossible de vérifier les signatures recueillies. Tenter de le faire est un délit. Ceux qui proposent un cadeau empoisonné, c’est-à-dire des signatures irrégulières, sont dans une situation de gagnant. Il ne reste plus qu’à attendre que la commission électorale vérifie et découvre les fausses signatures. Ensuite, le parti est condamné et interdit d’élections. Ceci est une technologie.

 — A-t-elle été utilisée avant ?


— Oui, elle a été utilisée auparavant, et beaucoup sont tombés dans le panneau. Les collecteurs de signatures de « Yabloko » s’y sont cassé le nez. Je me rappelle qu’en 1995, la Commission électorale centrale a refusé d’enregistrer le parti « Yabloko » en raison d’un grand nombre de signatures invalidées. Plus tard, on m’a expliqué que ces signatures irrégulières ont été acquises par quêteurs « toxiques ». Ensuite, la Cour suprême de la Fédération de Russie a examiné la plainte du parti « Yabloko » contre la commission électorale centrale. Les membres de la Cour suprême ont méthodiquement examiné pendant trois ou quatre heures les listes de signatures.
Le représentant de « Yabloko » a méthodiquement tout décrit. Ils ont été confrontés à la même technologie, mais la plupart des signatures étaient authentiques. Le juge a vérifié une petite partie, puis par lassitude, a dit : « Je dois m’isoler pour prendre une décision ». Et le parti « Yabloko » a été enregistré. Mais la Commission électorale centrale a annulé ensuite cette décision.

 Cela était possible en 1995, parce qu’alors la Cour suprême ne craignait pas trop le Président ni l’administration présidentielle. Les tribunaux n’étaient pas si dépendants de l’exécutif. Au cours des 20 dernières années, les tribunaux sont devenus tout simplement un appendice de l’exécutif, des institutions contrôlées hiérarchiquement. Cela est une des conséquences les plus terribles de notre système politique qui s’est développé au fil des dernières années : une soumission totale des tribunaux au pouvoir exécutif.

 Maintenant, pour empêcher la coalition démocratique de participer aux élections, un large arsenal de toutes sortes de trucs et techniques est utilisé. Reconnaître l’invalidité des signatures est l’un d’entre eux. Et comme cela s’est passé d’une manière semblable et simultanément dans trois régions différentes, je dois dire que le procédé est planifié.

 — Mais il y a différentes méthodes selon le lieu. À Magadan, ils ont invalidé les candidatures après examen des signatures par un graphologue.

 — Ceci est également un non-sens. Qu’entendez-vous par graphologie ? Reconnaître que ces signatures sont faites par la seule et même main ? Je n’ai pas souvenir que l’on ait déclaré défectueux les trois quarts des signatures sur les seules conclusions d’un graphologue. Le graphologue en a rejeté 19 % et puis le service fédéral, encore 5 %. Il est possible d’inviter les centaines de personnes qui ont apposé leurs signatures, et leur demander : « Est-ce votre signature ? »

 — C’est ainsi qu’a décidé de faire Volokov de la Coalition démocratique. Les gens ont accepté de confirmer l’authenticité de leur signature. Mais cela n’a pas modifié la décision de la commission électorale de Novossibirsk.

 — Cela démontre, une fois de plus, qu’il y a des préobjectifs fixés. Tous ces innovations technologiques, astuces et gadgets sont tout simplement des maillons d’une même chaîne tirée par une personne. Tout au long de l’année, ils ont dit : « Nous allons organiser une compétition politique juste, nous n’avons pas peur de l’opposition et des opposants. Soyons honnêtes ! Nous en avons discuté en réunion avec le président, avec Volodin, chef adjoint de l’administration et tout le monde a confirmé vouloir une concurrence politique honnête, car le gouvernement n’a pas peur de l’opposition ». Voici leur réponse. Telle est la réalité !

 — Volodin a déclaré vouloir tout faire pour éviter que les allégations surgies en 2011 reviennent. Le pouvoir doit être légitime. Il doit être élu ouvertement, légitimement sur une base compétitive.  Lors d’une récente réunion avec le Présidium du Conseil des droits de l’homme, Volodin avait parlé de la nécessité d’élections justes. Qu’a donc répondu Volodin ?

 — Deux observateurs se sont fait tabasser lors des scrutins de Balashikha et Jeleznodorojny. Le tabassage des observateurs devient systématique. Tout d’abord, en septembre, Andrei Skorokhod a été battu dans les locaux de la commission électorale territoriale et en janvier 2015, des observateurs, Stanislav Pozdnyakov et Dmitry Nesterov, ont également été battus. Skorokhod a eu le nez et une dent cassés, des bleues sur la poitrine et des saignements de nez importants. Pozdnyakov et Nesterov ont été tabassés plus violemment par quatre hommes. Ils ont reçu des coups de pied. Pozdnyakov a eu une hémorragie interne. Il a été transporté à l’Institut Sklifosovsky où il a subi une intervention chirurgicale avec ablation de la rate. Il est à présent handicapé.


 La rate éclatée de l’observateur Stas Pozdnyakov sera-t-elle le prix à payer pour sortir le pays de l’état de narcose dans lequel il se trouve ? 

  - Les agresseurs d’Andrei Skorokhod ont été immédiatement identifiés.  Parmi eux, un certain Variagov. Voici comment a été justifié le refus d’engager des poursuites judiciaires à son encontre.  Skorokhod a été réceptionnaire de cet avis : « L’enquête a révélé que Skorokhod et Varyagov se situaient sur le territoire de  la commission électorale de Balashikha où a surgi la querelle. Au cours de celle-ci, Varyagov a tabassé le citoyen Skorokhod, puis il a quitté les locaux. Les organismes chargés de l’enquête ont conclu que les actions du citoyen Varyagov ne semblent pas constituer un crime en vertu de l’art. 111 et Art. 112 du Code criminel (blessures de moyenne importance). L’infraction concerne l’art. 115 du Code criminel (blessure légère). Cette catégorie est une affaire de poursuite privée et exclusivement du ressort d’un juge de paix. Cela est un motif de résiliation de poursuite pénale ». Point final ! C’est tout ! L’agresseur a été identifié, les dommages causés à l’observateur, établis. Et l’affaire pénale est close. J’ai parlé de cela à Volodine. Il n’a fait aucun commentaire... J’ai parlé aussi des agressions subies par Pozdnyakov et Nesterov... Volodin promet d’enquêter.

Bilan. Le 14 Juillet, le président du Conseil des droits de l’Homme, Mikhaïl Fedotov, a reçu une lettre de la commission d’enquête, absolument incompréhensible à mon avis. « Le deuxième bureau des affaires “particulièrement importantes” a engagé une enquête criminelle portant sur la falsification des résultats de vote. L’enquête se poursuit. Le département d’enquête de Balashikha n’a pas terminé la vérification procédurale concernant votre demande en raison de la réclamation des documents nécessaires aux  commissions électorales territoriales, à la police, aux procureurs et tribunaux. L’enquête a été confiée au Département des enquêtes de la région de Moscou qui en prend le contrôle ».

Deux observateurs ont été battus. L’un d’eux a été mutilé. Les bourrages massifs d’urnes ont été mis en évidence ainsi que toute la procédure de bourrage qui a été fixée sur vidéo. Rajoutons, que le tabassage a été fait en présence de témoins.

Et voilà la réponse. 

Un témoin Natalia Osipova m’a décrit la scène. J’ai parlé avec elle. Elle m’a dit avoir vu, parmi les assaillants, un certain Yegor Dolger, vice-président de la soi-disant Commission électorale des jeunes. Il a été filmé par la caméra. Il a participé avec des personnes au bourrage des urnes. Mais la police ne prête aucune attention à son témoignage. Ce Dolger a été interrogé en tant que témoin, uniquement. 

 — Qu’est donc cette « Commission électorale des jeunes » ? 

 — À en juger aux actions concrètes, ce groupe de jeunes gens est chargé de fournir un soutien et de couvrir les personnes bourrant les urnes. Ceci peut être constaté dans les images vidéo. Ils font du bruit lorsque les observateurs font remarquer qu’une personne chargée de bulletins s’approche de l’urne. Certaines font diversion, tandis que d’autres tentent d’exfiltrer progressivement le fraudeur du bureau de vote.

La commission électorale de la jeunesse de la région de Moscou a été créée par décision de la Commission électorale de la région de Moscou le 04.11.14. Officiellement l’objectif principal de la Commission électorale de la jeunesse est d’aider la Commission électorale de la région de Moscou à élever la culture juridique des jeunes et futurs électeurs, à la formation des agents électoraux, à organiser les élections et les référendums dans la région de Moscou...


Autrement dit, il y a actuellement des affaires pénales ouvertes contre Pivovarova, représentant de la Coalition démocratique à Kostroma, sur une base très fragile à propos de vérification d’authenticité de signatures.  Ils suscitent à Novossibirsk à l’encontre des représentants de la Coalition démocratique des affaires pour dénoncer des signatures irrégulières alors que ces faits ont été dénoncés par Coalition démocratique elle-même... Et puis il n’y a aucune poursuite contre des gens ayant tabassé et rendu invalide des observateurs qui ont dûment constaté des fraudes électorales. Et les fraudeurs courent toujours.


Je vous rappelle que l’automne dernier lors d’une réunion avec le Conseil des Droits de l’Homme, j’ai personnellement et directement signalé au Président le cas d’Andrei Skorokhod.  Je lui ai dit dans quelles circonstances Skorokhod a été battu, que les auteurs ont été identifiés. Ils sont faciles à arrêter. J’ai remis ces matériaux entre les mains de la Présidence. Cela en présence des membres du Conseil des droits de l’Homme et de toutes les personnes qui ont assisté à la retransmission de l’émission. Le résultat est celui que vous venez de lire :  refus d’engager des poursuites judiciaires. Point final. C’est refusé. On pourrait s’adresser à un juge. Et puis quoi encore ?
 


 C’est la décomposition de l’État

 — Tu as parlé au chef adjoint de l’administration présidentielle pour la politique intérieure de ce qui se passe dans les bureaux de vote près de Moscou, tu en as parlé au président du pays, et ensuite tu reçois cette note du Comité d’enquête. Il se trouve que le gouvernement a intérêt à ce que les élections se déroulent réellement ainsi, c’est-à-dire des élections sans choix.

 C’est la  « désintégration de l’État. »


— On a l’impression qu’ils font des simulacres d’élections. Elles sont devenues une sorte de jeu. Est-ce un arbitraire local ou une directive dictée par l’administration présidentielle ? Cela n’est pas toujours évident. Je peux supposer que le bourrage des urnes dans les bureaux de vote de Balashikha et Jelznodorojny a été organisé sur place par l’administration municipale locale.  Le tabassage des observateurs n’a certainement pas été ordonné par l’administration présidentielle.

Mais ces gens, je dirais, ces punks locaux ont compris qu’ils peuvent agir en toute impunité. Et les gouverneurs locaux et les chefs d’administration des districts ont déjà compris qu’ils peuvent agir à leur guise. Qu’ils peuvent falsifier, publier n’importe quel résultat de scrutin en toute impunité, et s’il y a des contestataires, on peut les mater.


Sur les films faits par Nesterov et Pozdnyakov, on voit la femme portant un paquet d’enveloppes se tenir à proximité de l’urne. La police était désemparée, ne sachant quoi faire. Les observateurs exigeaient d’elle qu’elle intervienne, mais elle a agi autrement. La police a  décidé de ne pas interférer avec la commission locale. Cela bien que la tentative de fraude était tout à fait évidente.


En fait, cela est terrifiant. C’est la  « désintégration de l’État ». Sa décomposition ! Tout d’abord, le gouverneur local ou le chef de l’administration créent les conditions pour obtenir un résultat sur commande. Tout ce qui interfère avec ce résultat doit être supprimé, y compris physiquement, contrairement à toute loi. Ces jeunes, qui ont battu Nesterov et Pozdnyakov, ont compris qu’ils peuvent le faire impunément. Que le gouvernement va les protéger. Volodin a dit au cours de la discussion : « Vous ne devriez pas avoir l’impression que nous protégeons de telles personnes ».  La phrase est jolie, mais en fin de compte nous avons l’impression du contraire.


 — La loi sur la lutte contre les activités extrémistes punit les entraves, par menace ou violence, à l’exercice du droit de vote des citoyens. Y a-t-il eu des cas d’application de cette loi à l’encontre d’activité extrémiste dans l’histoire des élections ?

 — Non, je ne me souviens pas. Quand l’article a été rédigé, on supposait qu’il aurait pu y avoir des groupes radicaux tentant d’empêcher la tenue d’élections. Mais l’idée n’est pas venue, qu’il y aura des fraudes organisées par les commissions électorales elles-mêmes et des bandes de voyous qu’elles protègent. Ce qui est arrivé à Balashikha et Jeleznodorojny tombe sous le coup de cet article de loi, parce qu’il y a eu usage de la violence contre le droit électoral.
 


Tchourov ? Non, Volodin

— Ilya, j’ai entendu dire que le Comité des droits de l’homme va s’adresser à Tchourov à propos de la situation de la Coalition démocratique à Kostroma, Novossibirsk et de Magadan. Mais pourquoi donc s’adresser à Tchourov ?

 — J’ai changé d’avis. Je pense que nous devons nous tourner vers Volodin. Je n’ai pas de contact avec Tchourov et je n’en aurais probablement pas. Je pense vraiment que cela est inutile. Nous avons discuté avec Volodin, il nous a dit et promis des choses. Il nous a donné quelques explications. En outre, on sait très bien où les décisions sont prises. Nous écrirons une lettre. Peut-être que ce sera une lettre ouverte dans laquelle nous allons exprimer notre position par rapport à l’enregistrement des candidatures des partis et à propos de tous les événements précédant le jour du vote.

 — Pensez-vous que cette lettre Volodin sera utile ?

 — Nous voulons exprimer notre attitude. Pour cela, nous devons envoyer une lettre à l’adresse où les décisions sont prises.

 — Oui, nous savons où, en fait, les décisions sont prises. Mais, ils vous répondront que les décisions juridiques sont prises par Tchourov.

 — Ce qu’ils répondront, officiellement, n’a pas grande importance. Nous lui rappellerons nos accords informels et ses promesses informelles. Cela, peut-être, juridiquement n’aura pas de résultat significatif. Je sais cela. Je m’adresse à Volodin. Peut-être, cela sera la première et la dernière fois. C’est possible.

 — Pourquoi la dernière ?

— Nous verrons sa réaction. Tout dépend de sa réaction.

— En 2011, après les élections à la Douma, des milliers de personnes sont descendues dans la rue. Toutes ces années, la Douma a travaillé comme une imprimante affolée. Elle a prouvé qu’elle est devenue un appareil répressif de l’État. Le résultat des activités de cette Douma a été ressenti par la population comme jamais auparavant. Pour cette raison, je pense que les élections de 2016 ne seront pas pacifiques, si toutefois elles ont lieu.

 — Je pense que nous allons être témoin d’une propagande effrénée et sans précédente de la part des grandes chaînes de télévision fédérales au cours de l’été 2016. Cette fois, je m’attends à l’utilisation de la rhétorique super patriotique et d’accusations à l’encontre des ennemis de l’État. Les autorités de l’État, à différents niveaux, craignent une réaction de la population face à la détérioration de la situation économique et à une crise politique majeure. Après tout, en 2011, il y avait des colloques sur différentes chaînes de télévision, on a discuté, et il n’y avait pas de crise... Les futures élections seront vraiment une épreuve difficile pour le pays. Et comment les gens réagissent en fonction du résultat, il est difficile de prévoir. Notre société est divisée... Je crains que pour le maintien du statu quo (malheureusement, nous devons admettre que tel est l’objectif du gouvernement actuel) il faille beaucoup de moyens et ce sera difficile.
Nous constatons à présent que les véritables opposants n’ont pas la possibilité de se présenter aux élections. En 2016, nous pouvons nous attendre au même type de comportement. Le but principal des poursuites pénales engagées contre Volkov et Pivovarov  est d’intimider les opposants afin de les tenir à l’écart des élections.
Lorsque des accusations criminelles pour des motifs dérisoires sont utilisées contre des adversaires lors de la campagne électorale, leur but est d’intimider.
Le pouvoir actuel, au niveau fédéral et régional, a peur de toutes initiatives politiques insolites, inhabituelles. Je pense que la crise actuelle, à la fois économique et politique, ne peut être résolue que par le dialogue. Cela peut prendre beaucoup de temps, mais les gens doivent avoir la possibilité d’exprimer leur point de vue. Ils doivent être représentés au Parlement. Par le dialogue, on peut progressivement définir une position.


Il y a un autre point de vue. Pas de dialogue ! Il faut un régime autoritaire. Il faut réprimer par tous les moyens l’opposition. Pour le moment, les opposants n’ont pas droit à la parole. On peut parler, mais il est impossible de prendre part aux élections, à en juger par ce que nous voyons. Le désir de maintenir le statu quo, à tout prix, est une erreur catastrophique.


Auteur : Elena Massiouk. Publié par « Novaya gazeta » le 08/01/2015

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