Pierre HAFFNER (avatar)

Pierre HAFFNER

Blogueur russe.

Abonné·e de Mediapart

755 Billets

0 Édition

Billet de blog 5 avril 2018

Pierre HAFFNER (avatar)

Pierre HAFFNER

Blogueur russe.

Abonné·e de Mediapart

Novitchok, un poison chimique qui sert d'arme

En Russie, on peut se procurer des substances capables d’empoisonner des humains. Une dose de 0,25 gramme de « Novitchok » coûte 1.800 dollars. Elle peut tuer 100 personnes. C’est précisément ce poison qui a frappé Serguey Skripal, ex-agent du renseignement militaire russe réfugié en Grande-Bretagne. Ces informations ont été révélées par « Novaya Gazeta ».

Pierre HAFFNER (avatar)

Pierre HAFFNER

Blogueur russe.

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Illustration 1
Sergueï Skripal et sa fille Youlia victimes du Novitchok © Peoples.ru

Le chimiste Leonid Rink a donné des interviews aux médias russes comme étant lui-même l’un des scientifiques ayant mis au point des substances toxiques de type « Novitchok ». Selon la Grande-Bretagne, l’ancien officier des services secrets militaires russes, Sergueï Skripal, a été empoisonné avec le « Novitchok » à Salisbury. Dans une interview, Rink suggère que les Britanniques auraient eux-mêmes empoisonné  Sergueï Skrypal. Cette accusation a été assenée également par les autorités russes.

Il apparaît que Léonid Rink, lui-même, a été impliqué dans le passé dans une affaire criminelle de grande envergure. Il travaillait dans un laboratoire secret russe dans la ville de Shihan, région de Saratov, où les armes chimiques soviétiques ont été développées. Il a avoué avoir vendu personnellement une substance toxique. Des documents l’attestent. Il s’agit du dossier pénal concernant le meurtre du banquier Ivan Kivelidi à Saint-Pétersbourg en 1995. Rink avait été interrogé en tant que témoin. Deux experts, qui ont travaillé avec le « Novitchok » estime que la substance qui a empoisonné Kivelidi fait partie du même groupe.

Les enquêteurs désiraient découvrir l’origine d’une substance toxique aussi puissante. Une dose microscopique déposée sur le téléphone dans le bureau du banquier a entraîné la mort de deux personnes. (Du banquier lui-même et de sa secrétaire qui a pris ce téléphone pour appeler les secours.) Informés par le FSB, les policiers sont allés interroger Leonid Rink, employé de l’institut scientifique secret de Shihan. Cet interrogatoire a révélé beaucoup de choses.

En 1999, lors de l’un des premiers interrogatoires, Rink a d’abord parlé d’un certain « pesticide ». Il avait confondu des ampoules de poison et un pesticide. Il a ainsi remis par erreur une substance mortelle.

Au procès, il a déclaré ouvertement :

Des personnes avaient besoin d’une substance pour régler leurs comptes avec des gangsters. Un dénommé Ryabov est venu chez moi. J’ai cédé. Au début, je lui ai donné quelque chose de quelconque. Je pensais le satisfaire ainsi.

Protocole d’interrogatoire de Leonid Rink, le 21 décembre 1999 :

Au cours de cet interrogatoire, Leonid Rink a déclaré que vers la fin de 1993, à Moscou dans le bureau d’un banquier allemand, il a rencontré un homme nommé Arthur Talanov, un ancien officier des forces spéciales soviétiques à Riga. Il faisait la publicité des produits de l’institut secret de Shihan. Il s’agissait de substances toxiques de style Vx. (Le Vx est une arme chimique).

Rink affirme qu’un an plus tard, Arthur Talanov l’a rencontré et lui a demandé un échantillon de pesticide dont Rink lui avait parlé lors de leur rencontre précédente. Rink lui a donné ce produit. Mais plus tard, Arthur lui a dit que cet échantillon était de mauvaise qualité.

Je lui ai promis d’apporter un autre échantillon. Il s’est avéré que dans mon garage, à la ville de Shihan, il me restait une ampoule contenant une substance toxique synthétisée en 1994 dans des circonstances connues seulement par les autorités compétentes. Apparemment, par erreur j’ai pris cette ampoule au lieu d’une ampoule de pesticide. Je n’avais que deux ampoules dans le garage, a déclaré Rink lors de l’interrogatoire.

À Moscou, j’ai reçu un appel d’Arthur Talanov. J’ai organisé un rendez-vous, si je ne me trompe pas, à la gare de Biélorusse. J’ai rencontré un jeune homme grand que je n’avais jamais vu auparavant. Il s’est approché et m’a demandé l’échantillon. Je lui ai donné, et il est parti. La substance était dans une ampoule placée dans une boîte en plastique sous forme de stylo. Avant cela, j’avais dit à Arthur que les composés organophosphorés sont dangereux. Ils ne peuvent être utilisés qu’avec des gants en caoutchouc. Mais je n’imaginais pas que je transférais une substance toxique militaire. Par la suite, j’ai vendu la deuxième ampoule que je considérais comme un véritable poison à d’autres personnes pour m’acquitter d’une dette. J’ai témoigné de cela dans une autre affaire criminelle pour synthèse illégale d’agent toxique.

Lors du prochain interrogatoire, Rink a fait part de détails supplémentaires.

Dossier d’interrogatoire de Leonid Rink, le 16 février 2000 :

À propos de l’ampoule avec une substance toxique, Rink a déclaré ce qui suit : il avait un conflit avec un certain Ryabov. Ce Ryabov est venu voir Rink. Il lui a dit qu’il avait besoin d’un poison pour empoisonner des chiens. Rink lui a donné du poison contre les rats. Mais Ryabov est revenu. Il lui a dit qu’il lui faut du poison, pas pour les chiens, mais pour les hommes. Rink dit: « Il a commencé à me menacer. Si tu ne me donnes pas ce poison, ça finira mal pour toi ».

Rink poursuit : « Comme j’avais peur des menaces de Ryabov, homme du milieu, j’ai accepté de lui donner un tel poison. J’ai commandé les matières premières nécessaires à une employée K (Novaya Gazeta possède le nom de cette employée) d’un laboratoire de synthèse où j’avais travaillé il y a de nombreuses années. Pour ne pas l’inquiéter, je lui ai dit que c’était pour l’armée ».

Mais K n’a pas trouvé la matière première. Elle m’a dit qu’il existait des produits utiles à la fabrication d’une substance toxique d’un type différent à partir du difluoride. K était une spécialiste. Cela avait été le thème de sa thèse de doctorat. L’équipement dans le laboratoire était standard : flacons, extracteur, etc. Pendant la synthèse, elle a appliqué les mesures de sécurité. Je n’y ai pas assisté. Je suis resté dans une autre pièce avec deux assistants de laboratoire. J’avais averti K que cela devait rester secret et que les techniciens ne devaient rien savoir. Je l’ai avertie qu’il s’agissait d’une commande non officielle et personne d’autre ne devait en être informé. Cela ne l’a pas choqué. Son travail serait payé. Elle avait vraiment besoin d’argent.

La substance que j’étais sur le point de recevoir est connue de la science. Elle a été synthétisée à plusieurs reprises par les spécialistes de l’Institut. Il s’agit d’un secret d’État. Sa formule chimique diffère de sa version militaire, mais sa toxicité est comparable à celle du Vx. Elle est connue seulement d’un cercle restreint de spécialistes.

Ces déclarations ont été faites par Rink lors de son l’interrogatoire.  Selon lui, il n’a pas été possible de synthétiser immédiatement la substance souhaitée. Alors Rink, comme indiqué dans le protocole, a recommandé d’ajouter une quantité nécessaire de composants.
La synthèse a été refaite le jour suivant. Nous avons versé la substance obtenue dans des ampoules et les avons scellées. Tout le travail a été effectué par K. Il y avait environ un gramme de matière. Nous l’avons répartie dans des ampoules d’environ 0,25 gramme. J’ai pris les ampoules chez moi et je les ai mises dans mon garage.

En décembre 1994, Ryabov est venu me voir et je lui ai donné une ampoule. Les autres ampoules sont restées chez moi. Par la suite, j’ai donné deux autres ampoules.

Peut-être que j’avais une cinquième ampoule incomplète d’environ 0,02 gramme.  Par la suite, j’ai remis cette ampoule à Arthur Talanov, comme déjà témoigné. Je peux me tromper sur le nombre d’ampoules. J’ai pu oublier quelque chose.

Lorsque je les ai remises, j’ai, bien sûr, donné des instructions sur les mesures de sécurité à prendre lors de la manipulation de cette substance. J’ai dit à Arthur Talanov que la substance agit lorsqu’elle est appliquée sur la peau d’une personne ou lorsqu’elle pénètre dans le corps avec de la nourriture. Les symptômes de décès seraient ceux d’une crise cardiaque. Chaque dose est suffisante pour tuer une personne.

Cet interrogatoire a été suivi par un chimiste expert, un membre de l’Institut de recherche d’État de la chimie organique. Rink a également travaillé dans cet institut.

Précision du spécialiste : pour tuer un homme de 80-90 kg par exposition de la peau, il est nécessaire de cent fois moins de substance que Rink en a placée dans une seule ampoule.

Question à Rink : Êtes-vous d’accord avec les affirmations du spécialiste ?

Réponse de Rink : oui, je suis d’accord.

Question à Rink : On vous présente un chromatogramme de la substance trouvée sur le récepteur téléphonique du bureau de Kivelidi, obtenu lors de l’expertise n° 26523 du 04.11.94. Ce chromatogramme correspond-il au chromatogramme de la substance que vous avez fabriquée et remise à Arthur Talanov et à d’autres ?

La réponse est : oui, cela correspond au chromatogramme de la substance que j’ai fabriquée et remise par la suite à Talanov.

Question à Rink : Quand vous avez remis la substance que vous avez fabriquée à Ryabov et à Talanov, avez-vous compris que vous la transmettez pour être utilisée contre une autre personne ?

Réponse : Oui, j’ai compris que ces gens vont utiliser cette substance contre des humains.

Question à l’expert : Connaissez-vous la substance dont le chromatogramme a été donné lors de l’expertise n° 26523 du 04.11.94 ?

Réponse de l’expert : Oui, je connais. Cette substance a été étudiée jusqu’en 1994 par l’Institut d’État de la technologie de la synthèse organique (institut secret de Shihan). Ses propriétés sont un secret d’État. Cette substance possède précisément les propriétés toxiques, dont témoigne Rink.

Nous avons présenté les documents d’enquête sur cette substance à deux experts qui ont travaillé sur le « Novitchok ». Ils sont convaincus que le poison utilisé pour le meurtre de Kivelidi appartient au groupe des substances toxiques « Novitchok ». 

AIDE

Qu’est-ce que le « Novitchok » ? 

Le « Novitchok » n’est pas une substance en elle-même, mais tout un système de matières toxiques, qui avait pour code numérique la lettre « A ». Dans un premier entretien avec RIA Novosti, Leonid Rink a expliqué que les militaires eux-mêmes ont donné un nom de code à un groupe de substances toxiques, après qu’ils en prirent connaissance. Les experts ont expliqué que lors de l’élaboration des poisons de type « Novitchok », il a été synthétisé de nombreux produits. Quelques-uns ont été sélectionnés, car ils possédaient les propriétés nécessaires et la toxicité maximale.

Protocole d’interrogatoire de Leonid Rink, le 29 août 2006 :

Dans son témoignage, Rink est confus dans les détails et les noms, mais il parle avec confiance de la vente d’une substance empoisonnée.

Sur le fond de l’affaire criminelle, je peux déclarer ce qui suit : je confirme maintenant pleinement mon témoignage précédent sur la fabrication et la transmission de l’ampoule avec une substance toxique à Arthur Talanov et Youri Ermolenko. Tout cela s’est passé en réalité comme je l’ai dit lors de l’enquête. J’ai effectivement fait connaissance avec Arthur Talanov. Nous avons été présentés par Vitaly Burlakov (il vit maintenant à Tallinn).

Lorsque j’ai vu Arthur Talanov et ceux qui étaient avec lui, il s’agissait d’hommes d’affaires, j’ai accepté de leur donner une ampoule de poison. Talanov m’a dit vouloir empoisonner des chiens. Je leur ai remis l’ampoule avec un poison ordinaire. Plus tard, ArthurTalanov m’a dit que le poison ne marchait pas. Je lui ai transmis par l’intermédiaire de Yermolenko une ampoule avec un autre poison, dont les spectres m’ont été présentés pendant l’interrogatoire. J’ai aussi témoigné sur les circonstances de la préparation et maintenant je les confirme. Talanov me paya pour ce poison. Le prix fut 1.500 ou 1.800 dollars. Je ne m’en souviens plus. La passation a eu lieu près de la gare de Biélorussie, comme précédemment déclaré.

Témoignage de Leonid Rink lors du procès concernant le meurtre d’Ivan Kivelidi, le 21 septembre 2007,

Rink a transmis la substance toxique, ayant cette résonance magnétique, dans une ampoule scellée. Ce liquide jaunâtre huileux contenu dans cette ampoule était suffisant pour tuer 100 personnes.

« Est-ce un don ou une vente ? », demanda le procureur à Rink.

« Non, moyennant 1 500 $ », Rink répondit.

Il a également dit qu’il a accepté de donner la substance toxique sous la menace.

J’ai communiqué par mégarde mes coordonnées ainsi que celles de ma fille et de ma mère. Ils ont dit qu’elles auraient des ennuis si je ne fais pas ce qu’ils m’ordonnent. Je n’avais tout simplement aucune autre issue, Rink dit à la cour.

Il a également déclaré qu’en 1999, il n’avait pas informé les enquêteurs de ces menaces, car il craignait que cela finisse mal pour la famille.

Répondant aux questions des avocats, Rink a décrit l’ampoule et la substance empoisonnée pour laquelle il a été payé.

Il a confirmé que la substance figure sur la liste officielle des agents toxiques et que les propriétés de cette substance sont décrites dans des ouvrages spécialisés.

Un liquide jaunâtre huileux

Les documents du meurtre de Kivelidi indiquent que, dans les années 1990, les autorités ont perdu le contrôle d’une substance toxique puissante dont les propriétés constituaient un secret d’État. En examinant la substance, deux experts ont confirmé à Novaya Gazeta qu’il s’agissait du « Novitchok ».

8 à 9 ampoules de substances toxiques se sont retrouvées à l’extérieur du laboratoire secret. Elles ont été vendues et transmises à des criminels.

Avez-vous réussi à retrouver la trace de toutes ces ampoules ? Certaines d’entre elles ont-elles erré dans le monde ? Cette question reste sans réponse fiable.

Chaque ampoule possédait une dose suffisante pour tuer environ 100 personnes. Les experts disent que le liquide stocké dans une ampoule scellée peut rester actif plus de 25 ou 30 ans.

Ces informations ont été publiées par Novaya Gazeta le 2 avril 2018.

https://www.novayagazeta.ru/articles/2018/04/02/76026-otritsanie-novichka

Il est nécessaire que la Russie donne des explications sur l’état de ses armements chimiques et le contrôle qu’elle en a.

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.