Pierre HAFFNER (avatar)

Pierre HAFFNER

Blogueur russe.

Abonné·e de Mediapart

753 Billets

0 Édition

Billet de blog 6 mars 2017

Pierre HAFFNER (avatar)

Pierre HAFFNER

Blogueur russe.

Abonné·e de Mediapart

«Microphone libre» devant le Kremlin

Tous les dimanches, la Nouvelle opposition russe descend l’avenue Tverskaya à Moscou. Lorsqu’elle se rapproche de la Place Rouge, invoquant des raisons techniques le pouvoir en interdit l’accès. Les « promeneurs » se réunissent alors sur la Place du Manège et au cours d’une prise de parole appelée « Microphone libre », défiant les tours du Kremlin, ils font des déclarations.

Pierre HAFFNER (avatar)

Pierre HAFFNER

Blogueur russe.

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Microphone libre © Gradus-TV

Ce dimanche 5 mars, la Nouvelle opposition russe a effectué sa vingtième marche. Plus d’une centaine de militants y ont participé. Ils étaient exactement 116 au départ et 141 à l’arrivée. Afin de mettre un terme à la bataille des chiffres, un homme a été désigné pour effectuer le comptage. Ce dernier est très important, car il permettra de mesurer la température sociale en Russie. Il y a quelques mois, le chiffre de 100 promeneurs avait été surmonté. Les « promeneurs » espèrent se chiffrer en centaines bientôt, et ensuite par un effet synergique en milliers et peut-être en millions.

L’hiver russe fuyant, le réchauffement des températures devraient favoriser la fréquentation de cette initiative, qui se fait sans slogan et signe distinctifs. Celle-ci doit avoir l’aspect d’une promenade entre copains. Tout signe pouvant faire penser à un rassemblement politique conduirait à l’arrestation immédiate des participants, car pour cela il faut obtenir préalablement une autorisation de l’administration.

Mais espérer uniquement sur les variations météorologiques saisonnières est insuffisant. Le succès du mouvement de protestation dépend avant tout de la manière dont l’opposition saura mobiliser la population alors que le pays s’enfonce dans une nouvelle crise économique et politique.

La « vieille » opposition ne s’est toujours pas relevée de la répression du 6 mai 2012, appelée aussi « Affaire Bolotnoe ». Elle est restée sans réaction face à l’effondrement du niveau de vie depuis 2014, à la paupérisation des couches moyennes et surtout elle est restée déroutée face au machiavélisme du Kremlin.

Il fallait réagir. Tout d’abord, reconnaître ses propres erreurs qui ont conduit à l’élection d’une Douma, véritable chambre « introuvable », totalement dévouée à Poutine. Beaucoup affirmaient qu’il ne fallait pas participer à ces élections. On ne joue pas aux cartes avec les tricheurs ! Elles ont servi uniquement à donner une légitimité internationale au dictateur. À l’aider à mettre en place une « démocratie hybride ». De l’extérieur, ça pourrait ressembler à une démocratie, mais de l’intérieur c’est une véritable dictature.

Poutine est un dialecticien du KGB capable de synthétiser les théories et les pratiques les plus antagonistes pour les bâtardiser. C’est un maître du métissage. Il fait une guerre hybride contre l’Ukraine. Il prend des airs de sainte-nitouche alors que ce sont ses militaires et ses armements qui guerroient en Ukraine. Cette guerre hybride fait aussi des morts hybrides, car il a fait voter par la Douma une loi déclarant « secret d’État » les pertes militaires en temps de paix. Il est imprégné dans sa vie personnelle de cette rhétorique puisqu’il a même un passé hybride.

Alors que les demi-vérités et demie mensonges s’entremêlent à un tel point, il faut rétablir la lumière. Cessez de souffrir isolés en silence ! Venez dire ce que vous pensez sous les murs du Kremlin. C’est dans la rue tous ensemble par la masse et la vérité que nous renverserons ce régime. Voilà le message de la Nouvelle opposition au peuple. Le rythme de progression des participants aux manifestations contre le régime est le compte à rebours qui précédera sa chute.

Le mécontentement grandit en Russie. Les problèmes deviennent de plus en plus nombreux sur des sujets les plus divers : écologiques, économiques, etc. Des actions spontanées surgissent. Dans un pays qui n’a connu jusqu’à présent qu’un système hiérarchisé dominé par un fort pouvoir centralisé qui a éliminé systématiquement tout fébrilement de la société civile, il faut inventer une nouvelle culture insurrectionnelle. Il s’agit tout d’abord de créer des liens horizontaux à la base afin de communiquer et de s’organiser en court-circuitant les canaux officiels. Les nouvelles technologies au service de l’opposition, Facebook, twitter, favorisent cette possibilité. Le trafic sur les réseaux sociaux devrait accélérer la transformation des consciences. Contrainte d’émigrer après la répression de 6 mai 2012, Eugénie Tchirokova sur le site http://activatica.org/ détaille les problèmes et les actions survenues journellement en Russie.

La Nouvelle opposition s’est fixé cette tâche en Russie. Les marches hebdomadaires ont lieu actuellement dans 93 villes. Les gens sont invités à rentrer en contact directement entre eux. C’est le message délivré par Vladimir Zalischak ce dimanche sur la Place du Manège à Moscou.

Illustration 2
Le camp de coordination © Camionneurs russes

Voilà des années que Poutine tente d’imposer une taxe routière aux routiers russes. Son nom est « Platon ». Il n’a aucun rapport avec le philosophe grec. « Platon » signifie « paiement à la tonne ». Il s’agit d’une taxe prélevée à partir des véhicules ayant un poids maximal autorisé de plus de douze tonnes. L’opérateur du système est une société dont 50 % des actions sont détenues par l’oligarque et ami de Poutine, Igor Rottenberg. Le marché a été passé de gré à gré entre les deux hommes et amis. Les routiers n’ont aucunement l’intention de rouler pour Rottenberg. Je peux vous l’assurer, car je les ai rencontrés l’an dernier dans leurs camions à Khimki, en banlieue de Moscou. Se sont des irréductibles. Ils ont déclaré une grève générale des transports routiers qu’ils entendent bloquer pour un mois à partir du 27 mars sur toute la Russie. Ce mouvement est très important, car il concerne toutes les régions de Russie. Pour l’opposition, il s’agit d’un moyen de mobiliser ces dernières. Et c’est justement ces dernières qui ont le plus souffert de la crise.

 Les fermiers du Kuban se sont déjà associés à cette grève des camionneurs du 27 mars. Spoliés de leur terre par la mafia, ils s’étaient déjà dirigés en tracteurs sur Moscou, mais leur colonne avait été bloquée.

La grève des camionneurs pourrait également entraîner avec elles les milliers de travailleurs provinciaux qui exigent le paiement des arriérés de salaires. Héritage de l’industrialisation soviétique, une ville dépendait d’une seule industrie. La cessation de l’activité économique a entraîné la paupérisation de toute sa population. Par exemple, à Moscou 95 % des voitures sont de marque étrangère alors que les travailleurs chôment à Toliatti.

Poutine a détruit les couches moyennes. Ce sont justement elles qui le soutenaient. La crise a provoqué la disparition des petites et moyennes entreprises. Les licences ont été retirées à des centaines de banques. Au Tatarstan, 300.000 personnes ont été victimes de la cessation d’activité de deux banques dont Tat-Fond-bank. Hier, des coups de feu ont été tirés contre le véhicule du directeur de cette dernière.

En Russie, des familles nombreuses vivent encore dans des appartements communautaires.

Les problèmes sont innombrables. Poutine n’en résout aucun. Par la répression, il ne fait qu’élever le niveau de protestation nécessaire à son éviction.

N. B. L’action « Microphone libre » se fait bien sûr sans microphone pour ne pas être interrompue par la police.

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.