Dans le massif forestier de Sandarmokh en Carélie, il y a une pierre avec cette inscription : « Humains, ne vous tuez pas les uns les autres ! »
En 1937 et 1938, dans le plus grand secret, 7.000 personnes de confessions et de nationalités diverses ont été assassinées dans ce bois. Il y a des dizaines de fosses communes contenant chacune une cinquantaine de corps.
Le charnier a été découvert en 1996 par l’historien Youri Dmitriev, militant de l’association de défense des droits de l’homme « Mémorial ». Depuis, Youri Dmitriev creuse infatigablement la terre carélienne pour y retrouver les milliers de victimes qui y sont enfouies. Il a identifié nombre de suppliciés et établi une cartothèque. Depuis ce bois est devenu un lieu de pèlerinage. Les parents des victimes viennent ici. Ils clouent sur les arbres les photos de leurs proches assassinés dans ce lieu ou bien ils érigent un mémorial selon leur confession. Les visiteurs sont nombreux et divers. Certains sont Polonais, Israéliens ou, issus des anciennes républiques soviétiques Russes, Baltes et Ukrainiens. Ces derniers sont réticents à venir par crainte de représailles depuis l’annexion de la Crimée par la Russie en 2014.
Le 5 août 1937 était été publié l’oukase №00447 du ministère de l’Intérieur soviétique ordonnant la répression contre les éléments antisoviétiques. Actuellement, le 5 août, il y a des services religieux dans ce bois à la mémoire des victimes. Mais le FSB (ex-KGB), revenu au pouvoir en Russie en la personne de Vladimir Poutine, n’entend pas tolérer la poursuite de ces commémorations et surtout autoriser Youri Dmitriev à tirer de l’oubli les victimes de Lubyanka. Ces assassinats étaient classés « secret d’État » en 1937-38 et devront le rester encore de nos jours.
Youri Dmitriev a une fille adoptive, Natasha, qui souffre de problèmes de santé. Pour des raisons médicales afin de suivre l’évolution de sa santé, Youri Dmitriev avait des photos de la jeune fille sur son ordinateur. Il ne les a jamais publiées, sinon montrées au médecin traitant. Un inconnu a pénétré furtivement dans son appartement et a fait une copie de ces photos.
Le 13 décembre 2016, Dmitriev a été arrêté et accusé de posséder des images pornographiques de sa fille adoptive. Le procureur avait requis neuf ans de prison à régime sévère. Un expert nommé par le tribunal a conclu qu’il n’y avait aucun élément pornographique dans ces photos. Leur seul but était de surveiller l’évolution de la santé de l’enfant.
Le 5 avril 2018, le juge a acquitté Dmitriev. Mais le Kremlin ne voulait pas en rester là !
Le 13 avril 2018, le procureur de la ville de Petrozavodsk, Yelena Askerova, a déposé un recours devant le tribunal contre l’acquittement de Youri Dmitriev.
Cette année, pour la deuxième fois, Youri Dmitriev, privé de liberté, n’a pu être présent à la commémoration des victimes de la « Grande terreur » où étaient présentes quelques centaines de personnes, parents de fusillés, historiens, défenseurs des droits de l’homme, représentants des consulats européens. Les diplomates ont déposé des couronnes.
Les exécutions dans le bois carélien de Sandarmokh ont des traits communs avec le massacre de milliers d’officiers polonais dans la forêt de Katyn en 1940. Découvert par les Allemands, l’URSS avait accusé l’Allemagne nazie afin de dégager sa responsabilité. Aujourd’hui, le Kremlin ne peut nier, mais accuse le militant de « Mémorial », Youri Dmitriev, pour tenter de faire taire la Vérité.