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Billet de blog 12 juillet 2015

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La Chine a créé une nouvelle Banque mondiale.

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Du 8 au 10 juillet 2015, deux sommets se sont tenus à Oufa (République du Bachkortostan, Fédération de Russie). Le sommet du BRICS, qui a réuni les chefs d’État de Chine, d’Inde, du Brésil, de Russie et d’Afrique du Sud, et de l’OCS, organisations de coopération de Shanghai, qui regroupe la Chine, la Russie, le Kazakhstan, le Kirghizistan, le Tadjikistan et l’Ouzbékistan.

L’OCS est une organisation de propagation de l’influence géopolitique de la Chine dans les pays d’Asie centrale, situés sur l’ancienne « Route de la Soie », ces pays faisaient partie de l’Empire russe, mais préalablement ils étaient dominés par l’Empire chinois de la dynastie Tang. L’Inde et le Pakistan ont rejoint à Oufa cette association organisée par l’influente Chine. L’histoire de BRICS est fort intéressante. Ce n’était qu’une association informelle jusqu’à présent. La Chine a transformé BRICS en outil géopolitique fermement structuré pour une expansion mondiale qui ne se limite pas à la seule Asie centrale. Dans cette transformation, les variantes chinoises de la Banque mondiale, NDB et l’ARC constituées lors du sommet d’Oufa, vont jouer un rôle de première importance.

Le capital initial de la Nouvelle Banque de développement, NBD, analogue de la Banque mondiale, est de 50 milliards $. Il peut être augmenté à 100 milliards $. La Chine, l’Inde, le Brésil, la Russie et l’Afrique du Sud ont apporté chacun 20 % du capital, soit 10 milliards $ chacun.

Il y a deux ans, lors du sommet d’Afrique du Sud, le principe de création de cette banque a été accepté. Les documents d’intention ont été signés en 2014, lors du sommet brésilien. Le président de la Banque est indien. Le président du conseil d’administration est russe. Le siège de la banque est situé à Shanghai.
Analogue du FMI, ARC (Arrangement Contingent Reserve), est constitué d’un fond de 100 milliards de dollars auquel la Chine apporte 41 milliards $, le Brésil, la Russie et l’Inde versent 18 milliards $ chacun et l’Afrique du Sud, 5 milliards $. Comme le FMI, ce fond doit défendre la monnaie des pays membres en cas de crise financière.
Les motivations de la création de NBD et l’ARC sont compréhensibles. Trois milliards de personnes vivent dans les cinq pays qui composent le groupe BRICS. Ils représentent 20 % de l’économie mondiale et n’ont que 11 % des voix au sein du FMI. Ils ont, bien sûr, intérêt à se regrouper pour des raisons d’efficacité.

Si vous regardez de plus près, vous remarquerez que la Chine est un géant absolu parmi ces cinq pays. Son économie pèse plus que tous les quatre autres combinées.
La Chine est leur plus grand partenaire commercial. Par contre, aucun de ceux-ci ne rentre parmi les cinq principaux partenaires commerciaux de la Chine. En d’autres termes, la Chine est le leader absolu du groupe BRICS. L’Inde, le Brésil, la Russie et l’Afrique du Sud lui sont nécessaires pour renforcer son propre poids.

Le stratège chinois Sun Tzu (544–496 av. J.-C.) aurait applaudi l’idée de BRICS. Elle est exceptionnelle.

L’économie chinoise ne pèse pas plus que la moitié de l’économie mondiale, mais elle est supérieure à celle de la moitié du BRICS. BRICS ne peut rien refuser à la Chine et le monde ne peut pas dire « non » à BRICS. Les partenaires de BRICS, en alliance avec la Chine, agissent comme la coquille de cobalt d’une bombe atomique. Il en augmente l’effet.
Il est à noter, par exemple, que sur proposition de la Chine, l’Afrique du Sud a rejoint BRICS en 2010. L’Afrique du Sud, souffrant actuellement d’une forte baisse civilisationnelle, elle ne semblait pas pouvoir être l’objet d’une telle invitation, mais la République d’Afrique du Sud est le ticket d’entrée de la Chine en Afrique noire et de plus un pays incertain qui à tout moment peut être fomenté contre les Blancs.

NDB et l’ARC ont également une grande importance pour la Chine afin d’aplanir ses contradictions avec les autres économies en voie de développement. L’Inde et le Brésil, par exemple, se sont plaints que le yuan est sous-évalué (à noter que personne ne se soucie du cours du rouble). Dans le cadre de cette nouvelle version chinoise du FMI, cette contestation sera plus difficile.

Le NDB permettra à la Chine d’éviter les critiques lors d’investissements dans des pays en voie de développement. C’est une chose lorsque la Chine achète en Afrique. C’en est une tout'autre, lorsque les négociations sont menées par le neveu du président sud-africain Zuma, qui travaille au NDB.

Les fonctions de la banque NBD rappellent une autre banque, Asian Infrastructure Development Bank, créée par Pékin l’an dernier. Cinquante pays en sont membres. Sa fonction réelle est le financement des infrastructures en Asie centrale, à savoir la reconstruction d’une nouvelle « Route de la Soie », soit reconstituer l’influence géopolitique chinoise de la dynastie des Tang. Telle sera l’activité de la NDB, non seulement en Asie centrale et aussi en Afrique et en Amérique latine.

NDB et l’ARC, ce sont les nouvelles banques pour le nouvel ordre mondial chinois.

La Chine peut se le permettre. Sa stratégie n’est pas spirituelle (l’auteur ironise sur un discours de Poutine). Celle-ci ne repose pas sur la paranoïa gouvernementale et l’ignorance d’un peuple apeuré. Elle a pour fondement l’économie mondiale, une élite dirigeante, la plus rationnelle du monde, soucieuse de conserver son pouvoir sans obligation de payer un tribut pour acheter le « politiquement correct » et non contrainte au financement de programmes sociaux en faveur de son propre lumpenprolétariat.

Jim O’Neill, l’ancien dirigeant de « Goldman Sachs » qui a inventé le terme BRICS, a plaisanté l’an dernier. Il a dit que s’il devait imaginer une nouvelle abréviation pour cette organisation, il l’appellerait tout simplement « C », comme Chine.

 L’Inde et le Brésil sont des partenaires solides pour la Chine. Cela n’est pas le cas pour les autres membres de l’Union : la Russie et l’Afrique du Sud.

Permettez-moi de vous rappeler que le sommet d’Oufa a été précédé, au début de juin, du transfert à la Chine de 115 000 hectares de terres de la région de Trans-Baïkalie, avec présentation simultanée à la Douma d’État d’un projet de loi imposant, de facto, sur ces territoires la législation chinoise et non russe. En 2011, un accord similaire de type colonial a été signé entre la Chine et l’Iran. L’Iran a décidé, non seulement, de livrer l’exploitation de certains de ses gisements à la Chine, mais de plus, il a également signé un accord en vertu duquel la Chine doit assurer la protection de ces domaines pareillement comme s’ils étaient son propre territoire.
 115 000 hectares de terres, c’est très peu (pour la Russie), mais ce qui est important ici, c’est le principe. De facto, le Kremlin renonce à sa souveraineté sur ces territoires. Une souveraineté nationale, c’est une sphère à la surface de laquelle toute action a des répercussions en d’autres lieux de celle-ci. Elle a des propriétés particulières qui sont celles d’une bulle savonneuse. Si on la pique, la bulle éclate. Le Kremlin a déjà fait beaucoup d’inclusions dans notre sphère publique : la Tchétchénie, et maintenant la Chine.

La perte de la souveraineté est un signe flagrant de dépendance coloniale. À l’époque où la Chine était dominée par la Russie, les territoires chinois qui se situaient sur le tracé du chemin de fer russe dans l’Est chinois n’étaient pas soumis à la législation chinoise, mais russe. À présent, c’est le contraire : le pouvoir russe cède la Russie à la Chine.

Il est difficile de croire que cela est fait pour le bon développement économique de ces régions, car prenant en compte tout ce qui est fait en Russie depuis l’annexion de la Crimée, et même depuis l’arrestation de Khodorkovski, rien ne donne à penser que le Kremlin est préoccupé par l’économie. Le Kremlin ne se soucie que d’une chose : du pouvoir. Le Kremlin sait que l’Europe et les États-Unis sont guidés en politique étrangère par des principes et des lignes directrices qui ne permettent pas, sans sanctions, à des régimes autoritaires de mener une politique étrangère agressive et de plus, lorsque ceux-ci font porter leurs propres échecs économiques nationaux sur des ennemis extérieurs.

Quant à la Chine, elle est guidée, non pas par des principes, mais une stratégie. Elle est prête à protéger tous les régimes, même la Corée du Nord, s’ils se comportent selon son gré.

Il est significatif que le Kremlin rende hommage à la Chine, faisant référence au discours de Madeleine Albright. Celle-ci voulait accaparer un morceau de la Sibérie. Il est peu probable que la Russie veuille donner un morceau de territoire aux États-Unis et encore moins probable que les États-Unis veuillent le louer.

Il semble que le gouvernement russe affaibli recherche la suzeraineté de la Chine dans l’espoir que cette dernière l’aide à survivre, au prix de l’indépendance et de l’intégrité de la Russie elle-même.

Auteur : Julia Latynina. Publié par Novaya gazeta le 12/07/2012

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