866 arrestations à Moscou
- 13 juin 2017
- Par Pierre HAFFNER
- Blog : Chronique de Russie.
En Russie, c’est non seulement très compliqué, mais aussi très dangereux d’organiser une manifestation contre le régime. Alors que circulaient sur son compte des propos les plus troublants, impassible, le Premier ministre Dmitry Medvedev est allé faire du ski. Afin de démontrer qu’il lui accordait encore toute sa confiance, Poutine avait fait un voyage avec lui dans l’Arctique pour s’inquiéter de stratégie géopolitique. Le procureur général de Russie, Tchaïka, à qui s’était adressé Alexey Navalny, était tout aussi muet que ses supérieurs. Pour exiger une réponse, Alexey Navalny avait appelé à manifester dans toutes les villes de Russie le 26 mars. À Moscou et dans beaucoup d’autres villes, le pouvoir avait interdit ces manifestations. « Les corruptibles interdisent de manifester contre la corruption, c’est normal » dira Navalny. « Nous manifesterons sans leur permission, car ils ne nous la donneront jamais. » Le rassemblement interdit avait eu lieu à Moscou sur l’avenue centrale Tverskaya. 1165 personnes avaient été arrêtées dans la capitale, 1600 dans toute la Russie. Des centaines avaient été condamnées par les tribunaux du régime. Certaines, à des mois et des années de prison. Alexey Navalny à 15 jours fermes. Les locaux du Fond de lutte contre la corruption ont été investis par la police et saisis tous les ordinateurs et moyens de communication.
Malgré cela, on n’avait pas encore entendu d’explications sur l’origine contestée de la fortune de Dmitry Medvedev. L’oligarque Alicher Usmanov avait tenté une escarmouche par vidéo interposée avec Alexey Navalny afin de défendre son honneur et celui du Premier ministre. Navalny l’avait accusé d’avoir fait don d’une propriété à Dmitry Medvedev. Il s’agissait d’un pot de vin, l’opposant affirma. De la part d’Usmanov, on n’entendra aucune explication plausible de cette empoignade médiatisée, sauf un « tfu.. ! » chargé de postillons prononcé par l’oligarque. Chacun traduira : « Je te crache dessus ».
Mais, Navalny est obstiné. Pour exiger une réponse, il avait fixé une nouvelle manifestation le 12 juin, jour férié en Russie. Le pouvoir a dans un premier temps interdit cette manifestation, puis il l’a autorisée sur l’avenue Sakharov. Navalny a tout d’abord refusé cette proposition, car elle éloigne les manifestants du centre-ville. Son parcours est de 650 mètres seulement, et l’espace situé au-devant de la scène est courbé. En définitive, Alexey Navalny accepta. En sus du « Fond de lutte contre la corruption », d’autres organisations ont voulu profiter de cette occasion pour manifester le 12 juin sur l’avenue Skharov. Il s’agit du Front de Gauche, des propriétaires expropriés, de la Nouvelle Opposition, des routiers en grève et en général de toutes les victimes de la récession économique qui sévit en Russie. Certes, ils participeront à cette manifestation, mais dans des groupes distincts pour affirmer leur différence avec Navalny. Ce dernier s’est déjà déclaré candidat aux présidentielles de 2018. (En théorie, Alexey Navalny ne pourra pas être candidat à ces élections, car il est sous le coût d’une condamnation de 4,5 années de prison avec sursis pour l’affaire de Kirov-Les.)
Mais, le 11 juin, Alexey Navalny a appris qu’il n’y aura pas de sonorisation et de scène à son meeting du lendemain. Les entreprises chargées d’effectuer ces travaux ont été prévenues que si elles acceptent de travailler pour Navalny, elles ne pourront jamais plus travailler dans la région de Moscou.

À Tverskoy, ce ne fut pas mieux. J’étais sur la place Pouchkine. Le centre-ville était totalement verrouillé par les forces antiémeutes. Il y avait des blindés de la garde nationale. Autour de moi, sur cette place, des milliers de jeunes venus à l’appel de Navalny. Ils ont chanté l’hymne russe, proclamé « Liberté de parole », « Liberté d’internet », « La Russie sera libre » et « Poutine voleur ». Chaque fois qu’ils ont entonné ce dernier slogan, les forces de police sont intervenues avec la plus grande violence, tirant les femmes par les cheveux, traînant les personnes au sol, frappant à coups de matraque et à coup de poing ces jeunes. Les fourgons cellulaires se succédaient pour charger les personnes arrêtées et les livrer vers les lieux de détention. Les premières condamnations ont commencé à tomber. Alexey Navalny, arrêté au pied de son immeuble au moment de sortir de chez lui, a été condamné à 30 jours de prison selon « OVD-info ». Ce site qui tient la chronique des arrestations. On s’attend à des condamnations très lourdes, à des années de prison comme cela fut le cas lors des arrestations du 6 mai 2012 et du 26 mars 2017.
La résistance, le dynamisme et la jovialité de cette jeunesse que j’ai vue sur la Place Pouchkine, pourtant si sévèrement réprimée, m’ont surpris et m’ont rempli d’espoir : « La Russie sera libre ! » Elle mérite notre soutien.
Je conclurait cet article avec ces vers écris en lettre d'or sur cette même place:
И долго буду тем любезен я народу,
Что чувства добрые я лирой пробуждал,
Что в мой жестокий век восславил я свободу
И милость к падшим призывал.
Пушкин, Александр Сергеевич
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