Journée noire pour la culture russe
- 15 mars 2017
- Par Pierre HAFFNER
- Blog : Chronique de Russie.

« Aucun oukase ne peuvent créer ou protéger la culture si le public lui est indifférent et passif. La culture est l’expression de tout un peuple. Sa protection et sa diffusion sont une responsabilité nationale ». Nicolas Rerikh (aux amis de la Paix, 1947).
Moscou, le 7 mars 2017. Il n’est pas exagéré d’appeler cette journée « Jour noir de la culture russe ». Ce jour-là, tôt le matin, une soixantaine de personnes lourdement armées et le visage masqué ont défoncé à coups de hache les portes d’entrée du Musée « Centre International Rerikh » à Moscou. Se prévalant d’une réquisition du procureur russe, ils devaient enquêter dans le cadre d’une instruction judiciaire concernant M. Bulotchnik, ancien gestionnaire de Masterbank.

Prévenus, les collaborateurs du musée sont venus. Ils sont restés sur les lieux jusqu’au lendemain, 8 mars à 5 heures du matin, afin d’observer les événements. Des amis du musée et de la culture ont afflué également. Ils ont été témoin de la rotation des camions emportant les objets de collection. Ils ont été tenus à l’écart derrière les grilles du musée fermées par des encagoulés en armes. Environ 40 peintures et 150 dessins ont été confisqués. Les hommes des forces spéciales n’ont absolument pas réagi à la demande de retirer leur tenue extérieure et de la déposer à la garde-robe, comme il en est la règle dans les musées en Russie. Ils ont mangé et bu dans le musée lui-même. Ils se sont adressés grossièrement aux collaborateurs culturels. Les tableaux enlevés sont des œuvres anciennes et fragiles. Ils ont été manipulés et transportés en l’absence de spécialiste. Le conservateur craint leur altération.
Cette opération policière s’est transformée en confiscation d’œuvres appartenant au musée d’art Nicolas Rerikh et de ses fils Sviatoslav et Youri. Les peintures du grand artiste russe Nicholas Rerikh avaient été offertes au musée par son fils Sviatoslav Rerikh à l’époque de la perestroïka en 1989. À l’heure actuelle, la valeur du patrimoine culturel du musée Rerikh est estimée à un milliard de dollars.
Cela n’a pas manqué d’ouvrir des appétits. Les pressions et les tracasseries à l’encontre du musée Rerikh ont commencé à se multiplier dernièrement. Il a été soumis à des contrôles par l’administration fiscale. Elle lui a imposé un redressement de 52 millions de roubles d’impôts, en dépit du fait que le musée avait investi environ 2 milliards de roubles dans la rénovation de ses locaux. Il a été vérifié que le musée ne diffusait pas de messages extrémistes.
Oeuvre © Nicolas Rerikh
Le directeur du musée Rerikh estime que cette modalité d’agir relève du hold-up.
L’opération militaire à l’encontre du musée Rerikh a été médiatisée. Les journalistes du canal propagandiste NTV étaient présents. Il s’agit de créer parmi la population une image négative du musée pouvant permettre de justifier sa spoliation et sa liquidation totale ainsi que l’expulsion de locaux très convoités.
La décision d’en finir avec ce musée a été prise par les plus hautes autorités de l’État. Ces pratiques guerrières sont communes lors des conflits commerciaux ou industriels en Russie. Elles ont émaillé le processus de privatisation. Mais actuellement, les hommes de culture commencent à en être victimes. Le transfert du musée Isaac de Saint-Pétersbourg à l’Église orthodoxe russe et la liquidation de la Bibliothéque de littérature internationale à Moscou sont des précédents.
La culture russe fait partie de la culture européenne et mondiale dont les communautés ne peuvent rester indifférentes à ce démantèlement.

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