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Billet de blog 17 mars 2020

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Russie : Justice pour Asset et tous les autres.

La Russie, réintégrée au Conseil de l’Europe, protège les assassins. L’un d’eux est KAKIEV, chef des escadrons de la mort en Tchétchénie. Parmi les milliers de victimes de ces groupes militaires russes : la famille d’Asset. Elle a été contrainte de quitter la Russie. Elle demande à présent au Conseil de l’Europe de lui rendre justice et de condamner l’un de ses membres : la Russie.

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Illustration 1
Kharon et Dokou Bagayev © vayfond.com/

Asset : « La nuit du 19 au 20 mars 2000, des individus en treillis de camouflage, masqués et armés de fusils automatiques ont fait irruption dans notre domicile à Grozny. Ils ont tiré du lit mon fils Kharon, âgé de 18 ans et mon frère Dokou Bagayev (Vissayev) âgé de 40 ans. Ma mère a été repoussée dans sa chambre. J’ai reçu moi-même un coup violent à la tête. Lorsque j’ai repris connaissance, il n’y avait plus personne dans notre appartement, sauf ma mère allongée qui gémissait. Mon fils Kharon, qui venait juste de finir sa scolarité, et mon frère Dokou, père de trois enfants mineurs, ont disparu.

Le matin, je suis allée au commissariat du quartier. Le chef de la police m’a dit que c’était un coup de KAKIEV Saïd-Magamed alias Baïsangour, colonel des services du renseignement militaire russe. Il m’a affirmé qu’il ne pouvait rien faire, car il n’était pas assez puissant pour s’opposer à KAKIEV. La façade du commissariat avait été mitraillée plusieurs fois à titre d’avertissement. Le commissaire m’a conseillé de ne rien tenter contre lui, de ne rien écrire et de ne pas porter plainte.

Néanmoins, avec ma mère, nous nous sommes déplacées plusieurs fois pour rencontrer KAKIEV chez sa mère. Nous avons pu le voir qu’une seule fois. KAKIEV m’a alors personnellement promis de libérer mon fils Kharon. Mais il ne l’a jamais relâché. Nous sommes allées également au village natal de KAKIEV, à la mosquée. Ce fut vain. Je n’ai jamais pu revoir mon fils ni mon frère Dokou. Je n’ai jamais pu savoir ce qui leur était arrivé. »

Dès lors, Asset s’est adressé à toutes les instances de Fédération de Russie, administration présidentielle comprise et procureurs qui lui ont répondu que des enquêtes avaient été ordonnées. Bien qu’il ne soit pas difficile de l’interpeller, l’auteur de ces enlèvements n’a jamais été inquiété : il s’agit du colonel KAKIEV, que même le procureur général militaire de Fédération de Russie semble ignorer. Ce dernier a répondu à Asset : « La vérification effectuée a permis d’établir que le Colonel KAKIEV ne sert pas dans les structures du renseignement militaire et que, dans la nuit du 19 au 20 mars 2000, aucune opération spéciale n’a été menée dans votre district par ces forces ».

Le procureur ment. KAKIEV, Saïd-Magomed, né le 22 février 1970, est passé dès 1992 aux services des Russes. Il était à leur côté lors de la première et deuxième guerre de Tchétchénie. KAKIEV dirigeait les « escadrons de la mort » chargés d’enlever et d’assassiner les opposants à l’intervention militaire russe. Par décret de Poutine, KAKIEV a reçu le titre de Héros pour ses états de service au Caucase du Nord.

Illustration 2
Anna Politkovskaïa © Novaya Gazeta

Dans son dernier article avant d’être assassinée, la journaliste Anna Politkovskaïa avait dénoncé ces groupes, dont celui de KAKIEV. On leur reproche l’enlèvement et l’assassinat de milliers de personnes. De 2 500 à 8 000 selon les sources. Parmi elles, Kharon et Dokou Bagayev. De peur de représailles, peu de familles portent plainte. Asset a osé. Elle n’abandonnera jamais.

Pourtant la famille a subi de sérieux avertissements pour lui faire comprendre qu’il fallait renoncer. En 2008, son second fils Mouslim a été enlevé en plein jour par les hommes de KAKIEV. Son grand-père a négocié et payé une rançon pour le faire libérer. En août de la même année, ce fut au tour d’Asset d’être enlevée. Elle a été violemment battue et abandonnée en plein champ en espérant qu’elle y meure. Un certificat médical décrit les cicatrices provoquées par un objet tranchant (couteau) sur le corps d’Asset. Lorsqu’elle est allée se plaindre, il lui a été répondu : « Vous êtes encore vivante. Ne vous plaignez pas. Ce pourrait être pire. »

Toutes les démarches effectuées en Russie par Asset ont été vaines. Pire, elles se sont avérées dangereuses pour Asset et les siens. Asset a décidé de quitter la Russie. Elle est arrivée en France où elle a obtenu l’asile politique. Elle entend poursuivre son combat. Son fils Mouslim l’a rejoint.

Fin 2007, le colonel des services de renseignement militaire russe, KAKIEV, a été nommé commissaire militaire adjoint de Tchétchénie pour l’éducation militaro-patriotique des jeunes. Chacun peut deviner quel genre d’éducation il va professer.

La Russie, qui a été réintégrée avec tous ses droits au conseil de l’Europe, ne peut pas continuer à protéger les assassins sur son territoire. Asset est déterminée à porter l’affaire devant la Cour européenne des Droits de l’Homme et à faire condamner l’État russe, au nom de son fils et de milliers d’autres victimes.

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