En octobre 2016, Natacha avait commencé à militer à la ville de Kazan au « Mouvement des gens libres » et à « Artpodgotovka » de Viacheslav Maltsev. Avec ses compagnons, elle a imaginé la chaîne TV : « Les mauvaises nouvelles de Kazan » sur YouTube. Ce canal était devenu un endroit de discussion populaire. Y contribuaient des acteurs de la vie politique et sociale du Tatarstan ainsi que tout volontaire.
À l’initiative de Marc Galpérin, une plateforme avait été créée. Son but : effectuer une révolution démocratique en Russie. Des nationalistes, la Nouvelle opposition et « Artpodgotovka » de Viacheslav Maltsev l’ont rallié. Tous les dimanches, des marches « d’hommes libres » ont lieu dans toute la Russie. À Kazan, Natacha s’y joignait.
Le Kremlin a décidé de briser ce mouvement montant dans l’œuf. Les arrestations des marcheurs sont régulières. Le 14 janvier 2018, huit personnes ont encore été appréhendées à Moscou. Les contraintes à l’exil, à la clandestinité ou les privations de liberté, ont réduit considérablement le nombre des participants à ces marches, de quelques centaines à quelques dizaines. Marc Galpérin, aux arrêts à domicile, attend un procès qui devrait le condamner à des années de prison. Mais des irréductibles persistent.
Les personnes qui ont participé au rassemblement pacifique du 5 novembre 2017, à l’appel de Viacheslav Maltsev et de son mouvement « Artpogotovka », ne sont plus accusées simplement d’extrémisme, mais de terrorisme. La différence est de taille, puisque les peines maximales encourues ne sont plus de 5 ans de prison, mais de 20 ans. La perpétuité pour les organisateurs. « Artpogotovka » a été déclarée organisation terroriste.
Selon le FSB, Maltsev serait depuis l’étranger le commanditaire d’un incendie au centre de Moscou, qui ne s’est jamais enflammé. Le 5 novembre 2017, les « terroristes » auraient projeté de mettre le feu à quelques bottes de foin abandonnées sur le pavé de la Place du Manège après le Festival d’automne. Ils ont été accusés aussi de vouloir embraser les bâtiments voisins, et non des moindres : le théâtre Bolchoï, l’immense hôtel Métropole, le Musée historique, le GUM et plusieurs galeries marchandes. Cela aurait été une véritable première depuis l’invasion napoléonnienne de 1812. L’intention est punie comme l’acte. La préméditation est un crime.
Début novembre, le FSB a commencé à procéder à des arrestations. Le 5 novembre 2017, il a arrêté plus de 500 personnes. La plupart ont été condamnés à des amendes et à la prison. Les « meneurs » ont été interrogés à Lubyanka. Ceux qui ont été relâchés ont eu la sagesse de fuir immédiatement à l’étranger. Mais tous n’ont pas eu cette chance. Oleg Dmitriev, Sergei Ozerov, Yuri Korny, Andrei Keptya, Andrei Tolkachev, Sergey Ryzhov, Oleg Ivanov sont emprisonnés. Ils risquent 20 ans de prison.
Natacha a recherché des avocats pour les défendre. La profession boude dans son ensemble. Elle craint d’être accusée de prendre fait et cause pour des « terroristes » et refuse. Quiconque tente de venir en aide à ces prisonniers tombe dans le collimateur du FSB. Il peut être arrêté, lui aussi. Personne n’a eu le courage de venir à leur secours. Sauf Natacha ! Elle a pris l’initiative de rassembler des fonds pour aider ces prisonniers qui croupissent dans les geôles. Elle se doutait bien que cela lui procurerait des ennuis et certainement une arrestation. Malgré cela, elle a agi.
Le 18 décembre, elle a porté deux premiers colis : des vêtements chauds et de la nourriture. Le lendemain, elle est revenue à la prison Butirskaya à Moscou porter un troisième paquet. Ce sera le dernier. Le FSB y est allé pour l’arrêter. Arrivés à la prison une heure après son départ, les Tchékistes iront l’arrêter à domicile.
Amenée à Lubyanka, Natacha a été questionnée sous la contrainte. En fin de compte, Natacha s’est demandé quel était l’intérêt de cet interrogatoire, car le FSB savait tout sur elle. Il possède toute une documentation, des vidéos, des enregistrements audio, et surtout les témoignages des personnes arrêtées avant elle. Elles se mettent toutes à table. Le FSB voulait très certainement effrayer Natacha, et surtout obtenir d’elle des informations nouvelles concernant de tierces personnes. Elle a été relâchée avec l’obligation de se présenter la semaine suivante à Kazan pour y subir un nouvel interrogatoire.
Natacha est allée acheter un billet de chemin de fer Moscou-Kazan. En Russie, il faut présenter ses papiers d’identité pour acheter un billet de train. Voyant son nom, le caissier s’est absenté, puis est revenu. Natacha a compris que le FSB l’attendrait à la descente du train en gare de Kazan. Elle ne ressortira pas libre du prochain interrogatoire.
Natacha a décidé non seulement de ne pas aller à Kazan, mais de partir de Russie. Elle rassembla quelques affaires à son domicile et n’y retournera plus. Le soir même, elle est allée dormir à une autre adresse. La nuit, son téléphone portable était débranché. Néanmoins, il s’est mis à sonner. À l’autre bout, on lui a posé une question de routine. Natacha a compris que son interlocuteur n’était autre que le FSB qui s’inquiétait de sa disparition.
Très tôt, le lendemain, elle a pris la route de Minsk avec blablacar. Les douaniers biélorusses l’ont retenue 11 heures à la frontière ukrainienne, car Natacha avait emporté avec elle 6 pilules substituées à sa mère. Elle a été accusée de trafic de drogue. Les douaniers biélorusses l’ont menacée de trois ans de prison pour enfin la faire passer.
À Kiev, elle a été accueillie par les réfugiés politiques russes arrivés auparavant dans la capitale ukrainienne.

Agrandissement : Illustration 2

Natacha a tout abandonné précipitamment en Russie, son domicile, ses revenus de retraite, sa famille. Elle a emporté avec elle des dessins de son petit-fils et sa liberté, qu’elle conserve. Elle continue la lutte pour libérer la Russie de la dictature du KGBiste Poutine.
J’ai demandé à Natacha de me raconter son exode. Elle l’a fait sur cette vidéo que j’ai traduite et sous-titrée.