Yaroslava m’a écrit : « Pierre, mon fiancé, Dima, est détenu à Moscou, au bloc C de la prison “Matrosskaya Tichina” avec les assassins et les terroristes. On va le déporter dans un camp de la région de Krasnoïarsk en Sibérie orientale. Il est au secret et je ne pourrais pas l’embrasser avant son départ. On voulait se marier. Au lieu du mariage, ce sera la prison ».
Dima, soit Dmitry Démushkin, a été condamné à deux ans de prison fermes. Il sera transporté vers ces contrées peu hospitalières dans un wagon carcéral conçu en 1908 et dénommé « Stolypine », nom du ministre tsariste. Les « wagons Stolypine » ont roulé sous Staline. Aleksandre Solzhenitsyna les a décrits dans « L’archipel du goulag » et Eugène Ginzburg dans ses mémoires. Sous Poutine, ils sont toujours en service. Le confort n’a pas changé. Cadres, étagères et banquettes de couchage sont en métal. Les cellules sont toujours minuscules. Une armature métallique recouvre leur paroi interne.
L’opposant Boris Nemtsov avait été assassiné quelques semaines avant que soit publié son rapport : « Guerre de Poutine en Ukraine ». Le nationaliste russe, Dmitry Démuskin, considère également que cette guerre est fratricide. Il a répondu « Non » à la proposition de Poutine d’envoyer ses nationalistes guerroyer dans le Donbass ukrainien. Démushkin lui a dit : « Vous pillez la Russie sans moi. Allez donc faire la guerre sans moi ! » Démushkin a été prévenu, il payera cher son refus.
Le 17 juillet, la condamnation en première instance de Dmitry Démushkin à deux ans de prison fermes a été confirmée en appel. Quelques jours auparavant, je m’étais présenté à l’entrée du tribunal pour assister à une audience. J’ai présenté mes papiers d’identité au garde, afin qu’il note mon entrée. Celui-ci m’a demandé : « Dans quelle salle ? » J’ai répondu « 204 ». Le vigile m’a alors refoulé en disant que l’audience sera à huis clos. J’ai prévenu les nouveaux arrivants et leur ai conseillé d’annoncer le numéro d’une autre salle. Ils ont pu rentrer dans le bâtiment, mais sont restés dans le couloir. La porte de la salle d’audience « 204 » a été verrouillée pendant ce procès. Personne n’a pu apercevoir Dmitry Démushkin. À vrai dire, j’étais préparé à cela, car toutes les audiences de première instance ont été également à huis clos. On nous avait néanmoins laissés rentrer dans le bâtiment. Stationnant dans le couloir, nous avions pu voir furtivement Dmitry Démushkin dans la salle.
Sous Staline, on était condamné pour une blague. La révolution numérique aidant, sous Poutine, c’est pour une image, ou pour une vidéo.
En 2014, Dmitry Démushkin avait republié sur ses pages du réseau social VK, une image ayant la légende « En Russie, pouvoir russe ». Ce slogan est celui des nationalistes russes. Il s’entend ainsi : « La nation russe est la base de la Fédération de Russie ». Il est flatteur pour les nationalistes russes d’attribuer la paternité de cette expression à l’empereur Alexandre III. Plus tard, l’hymne soviétique a chanté cette suprématie de la Russie : « L’Union indestructible des républiques libres a été réunie pour toujours par la grande Russie. Que vive, fruit de la volonté des peuples, l’unie, la puissante, Union soviétique ! » Selon l’hymne russe actuel, la Russie serait toujours le pasteur des peuples non slaves : « La Russie est une puissance sacrée », « alliance glorieuse de peuples frères ». (Lesquels ? Non russes, on suppose.)
Trouver des propos extrémistes dans cette seule image apparue tant de fois sur internet relevait de la gageure. Les arguties d’un soi-disant expert psycholinguistique recruté, on ne sait pourquoi en Tchouvachie, ne pouvaient convaincre personne. Le procès s’est déroulé à huis clos total. Voilà qui est bien étrange, dans une affaire qui ne concerne pas des mineurs, de secrets de Défense, ou qui n’entache pas la moralité de personnes, sauf celle du prévenu. Verdict : deux ans et demi de prison fermes confirmés en appel. Vraiment très lourd pour une image tangible.
Cette condamnation interdit à Dmitry Demushkin de se présenter face à Poutine aux prochaines élections présidentielles. Elle sème la terreur parmi tous ceux qui surfent sur internet dans l’intimité de leur appartement. Mais surtout, elle fait tomber une première tête parmi cette coalition nouvelle qui monte : la « Nouvelle opposition ». Cette dernière organise tous les dimanches une marche sur l’avenue Tverskaya et occupe le week-end la Place du Manège au centre de Moscou. Ses partisans disent qu’il n’y aura pas de « Maïdan » à Moscou, car en Russie, ce dernier s’appellera « Manège ! » Le nom de la place deviendra celui de la révolution démocratique qu’ils préparent ici sous les tours du Kremlin.
Agrandissement : Illustration 2
Compagnon de Dmitry Demushkin, un autre nationaliste a été arrêté et accusé d’incitation à l’extrémisme. Il s’agit de Youri Gorsky. Le pouvoir russe lui reproche d’avoir clamé lors de la manifestation du 1er mai à Moscou : « Maïdan – Manège » et « Pneus — barricades — feu ! » Il est vrai que cette image de pneumatiques en flamme peut ébranler Poutine. Les révolutionnaires de Maïdan avaient confectionné des barricades avec des pneus, puis les ont enflammés pour chasser son poulain Yanukovitch. Cette association « Maïdan — Manège » a valu à Youry Gorsky d’être inculpé d’appel public à l’extrémisme. Ce délit est passible de cinq ans de prison selon l’article 280 du Code pénal.
Le vendredi 7 juillet, je suis allé assister à Moscou au jugement qui devait déterminer le statut de Youri Gorsky. J’ai rencontré Youri menotté. Deux policiers le menaient dans le couloir. Il a assisté à l’audience dans la cage métallique qui orne toutes les salles d’audience de Russie. L’avocat a plaidé l’assignation à domicile en attente du procès. Étant orthodoxe, Youri Gorsky a demandé la permission d’assister à l’office le samedi. Le procureur n’ayant permis que 10 minutes, Youri a fait valoir que l’office durait deux heures. Le procureur s’est incliné. Youri a-t-il assisté à la messe orthodoxe le lendemain, samedi 8 juillet ? On ne le sait pas. Mais dimanche matin 9 juillet, Youri Gorsky a envoyé un SMS à ses amis pour les informer qu’il s’était réfugié en Lituanie. Sitôt informé, je l’ai félicité.
La frontière avec les pays baltes et la Finlande est la plus surveillée de toute la Russie. J’ai appris cela par hasard, lorsque je me trouvais dans la voiture de Vyatsheslav Maltsev. Nous allions dans ses studios de sa chaîne TV, « Préparation d’artillerie » à laquelle je devais participer. Dans le véhicule, plusieurs personnes exprimaient leur opinion sur la manière de passer clandestinement la frontière russe. Ces derniers temps, Poutine a quelque peu brouillé ses relations avec Lukashenko, président de Biélorussie. Autrefois libre, cette frontière permettait de quitter la Russie furtivement. Depuis, des postes ont été installés à la frontière, mais ils sont encore clairsemés. On peut passer entre les mailles. Il m’a fallu attendre un mois pour comprendre les raisons de cette conversation. Le 4 juillet 2017, Vyatsheslav Maltsev a quitté clandestinement la Russie en passant par la Biélorussie. Il est vrai que ça commençait à sentir le roussi pour lui. Il avait subi maintes arrestations, emprisonnements, perquisitions et découpage par le FSB de la porte d’entrée de son appartement à Saratov. Une affaire d’extrémisme était en cours de préparation contre celui qui clame que la révolution aura lieu le 5 novembre 2017 et qu’il faut s’y préparer.
Le 13 juillet 2017, Youri Gorsky et Vyatshesla v Maltsev ont été inscrits dans la liste officielle des extrémistes et terroristes en Russie. Gorsky sous le n° 2166 et Maltsev n° 4267.
À l’époque soviétique, le KGB donnait le choix à certains dissidents : l’exil en Occident ou la déportation en Sibérie. Actuellement, le FSB exerce des pressions sur certains opposants pour les voir fuir, leur exil étant moins nocif pour le régime que leur internement. Cela leur est parfois dit ouvertement : « Fuis ou tu iras en prison ! » Subtilement, le FSB peut provoquer ou faciliter un exil. La fuite d’un dirigeant peut démobiliser ses partisans, voire les encourager à s’exiler eux aussi.
C’est en Russie qu’il faut se battre !
Mais certains affirment : « C’est en Russie que l’on renversera Poutine. Et non depuis l’étranger. »
Ils ont fait le choix de rester en Russie. Ils sont prêts à affronter toutes les souffrances, la perte de la liberté, de la santé et même de la vie. Parmi l’un de ceux-ci : Marc Israëlovitch Galpérin.
Agrandissement : Illustration 4
Marc Galpérin avait déjà été arrêté, condamné à des amendes et à la prison maintes fois. Malgré cela, obstiné, il ne cède pas. Figure fondatrice de la « Nouvelle opposition », il se sent une responsabilité. Il a pour objectif de rassembler pour faire une révolution démocratique, soit établir un ordre constitutionnel en Russie. Ce qui a été possible en 1991, lorsqu’un million de Moscovites ont manifesté leur volonté de changement démocratique, l’est à nouveau aujourd’hui. Les révolutions de velours en Europe et colorées en Ukraine et Géorgie démontrent que nous ne sommes pas condamnés éternellement à la dictature. Seul un mouvement populaire massif et déterminé permettra de renverser la dictature de Poutine. Marc Galpérin déclare cela régulièrement sur la Place Rouge, devant le mur du Kremlin. Ces interventions sont filmées et postées sur internet par Olga Sapronova de Gradus.TV. Voilà qui en était trop pour le pouvoir. Il a décidé d’éliminer ce leader, sa quatrième victime parmi la « Nouvelle opposition ». Il l’accuse lui aussi d’extrémisme. Quelles sont ces accusations ? Nous ne le saurons pas, car la police a fait signer à Marc Galpérin et à ses avocats une obligation de non-divulgation. En cas de violation, le régime d’assignation à domicile de Marc Galpérin sera transformé automatiquement en emprisonnement. L’accusé ne peut se défendre, puisqu’il lui est interdit de dire de quoi on l’accuse, et par conséquent de répondre à ces accusations. Il en est de même de ses avocats qui se retrouveraient immédiatement inculpé s’ils parlaient de cette affaire. Les audiences du procès seront à huis clos comme pour Dmitry Demuskin qui a le premier à son corps défendant étrenné cette procédure.
J’ai envoyé par Western-union à deux reprises des sommes d’argent à Marc Galpérine afin de l’aider à survivre en attente de son procès, car bien sûr, il ne peut plus travailler et ne reçoit plus de salaire. Le FSB a perçu ces sommes à la place de Marc Galpérin. Western-Union m’a confirmé qu’il a remis ces sommes à une personne qui n’est pas leur destinataire. Il ne reste plus à Marc Galpérin de mourir de faim dans son appartement en attente de sa condamnation.
Bien sûr que non ! Nous le soutiendrons ! Par son exemple, Marc génère les passions qui soulèvent les foules et font les révolutions.
Agrandissement : Illustration 5
Le FSB suit la correspondance. Actuellement, mes amis de l’opposition passent sur la messagerie « télégramme » depuis que celle-ci a refusé de transmettre ses codes de décryptage aux autorités russes. Derrière soi, on a toujours un agent du FSB qui vous filme, vous écoute et vous lit en Russie. Voici en photo quelques personnages que j’ai surpris dans mon dos.
PS Je conseille aux lecteurs de ne pas utiliser les services de Western-union pour envoyer de l’argent en Russie.
Actualisation:
Aujourd’hui, 19 juillet à14h30, un lieutenant-colonel du FSB est venu voir le secrétaire de presse de la « nouvelle opposition » Roman Kovalev pour le convoquer demain à 10 h à la Loubianka pour l’interroger sur Yuri Gorsky, membre de la Nouvelle opposition, accusé d’extrémisme et qui s’est réfugié en Lituanie. Cet officier du FSB lui a dit à voix basse : « Roman, je vous recommande de prendre un maximum de nourriture avec vous, parce que je ferai de mon mieux pour vous relâcher le plus tard possible. »
Aujourd’hui, la mère de Roman Kovalev fête ses 55 ans.
Joyeux anniversaire, Olga Pavlovna !
https://www.facebook.com/novayaoppositcia/videos/260913877727546/
Pierre HAFFNER