En Syrie, dans la nuit du 7 au 8 février, l’aviation des États-Unis a bombardé des mercenaires russes qui tentaient de s’emparer d’une raffinerie et d’un champ pétrolier sur les rives de l’Euphrate.
L’agence Reuters rapporte que 300 personnes ont été tuées. L’ancien député à la Douma Viktor Alksnis a déclaré que 334 Russes sont décédés le 7 février sous les frappes américaines, selon des sources qu’il a recueillies auprès des familles de combattants en Syrie. Il a ajouté : « Je pense que ce chiffre n’est pas définitif ».
« Radio Liberté » a publié un enregistrement audio sur WhatsApp. Sur celui-ci, un mercenaire russe survivant raconte le combat près de Deir ez Zor. Il a également accepté de répondre aux questions des journalistes. Selon le soldat, trois compagnies de mercenaires russes partis prendre une usine pétrolière sont tombées sous le feu américain. 200 personnes ont été tuées dans la première, 20 dans la seconde, et 75 dans la troisième. Il décrit la bataille : les Russes ont été victimes de tirs d’artillerie lorsqu’ils se sont approchés à 400-500 mètres à l’usine. À la tombée de la nuit, les mercenaires ont essayé à plusieurs reprises de la prendre d’assaut. Ils ont été alors victimes de frappes d’hélicoptères américains.
Le mercenaire suppose qu’ils ont été trahis. Les soldats de l’armée d’Assad avaient des systèmes de missiles antiaériens portables « Igla ». Mais les Syriens ne les ont pas utilisés pour couvrir les Russes. Ce militaire a dit être allé plusieurs fois en Syrie. En 2014-2015, il était au Donbass « en tant qu’instructeur ».
Selon des sources de Reuters, les blessés ont été évacués de Syrie vers quatre hôpitaux militaires en Russie. Un médecin militaire, spécialiste dans le traitement des blessés et qui travaille dans un hôpital de Moscou, a déclaré que plus de 50 de ces patients sont arrivés le soir du 10 février dans son hôpital, dont environ 30 % dans un état grave.
Selon ce médecin, du 9 au 11 février au moins trois avions sanitaires sont arrivés à Moscou. Ce sont des avions spécialement équipés pour les blessés graves.
L’ataman cosaque Eugène Shaban, proche des mercenaires, a rendu visite aux blessés à l’hôpital militaire de Khimki, prés de Moscou. Il a déclaré avoir appris d’eux que deux unités militaires privées russes ont pris part à la bataille près de Deir-ez-Zor, soit en tout 550 personnes. Seules 200 n’ont pas été tuées ou blessées.
Jeudi, le représentant officiel du ministère russe des Affaires étrangères Maria Zakharova a dit que selon les données préliminaires seulement cinq citoyens russes ont été tués le 7 février à Deir ez-Zor et non pas des centaines. Sur son compte Twitter, elle écrit que le nombre surélevé des victimes est une « désinformation classique ». « Il est extrêmement difficile pour le ministère des Affaires étrangères de savoir ce que font les citoyens russes disséminés dans le monde, mais leur protection à l’étranger est l’une de ses principales tâches ».
Poutine avait fait voter une loi qui classifie « secret d’État » les pertes en temps de paix. Les enterrements des militaires et mercenaires russes tombés en mission en terre étrangère se font en catimini. Les familles perçoivent des compensations financières avec obligation de garder le silence. Mais cela n’empêche pas des informations de filtrer. Il est difficile de faire taire la colère qui gronde.
Poutine est un homme vigoureux. Il est en bonne santé et ne tombe jamais malade. Pour ceux qui en douteraient, il se fait photographier torse nu bronzant au soleil. Fait rarissime, il s’est enrhumé dès les premières nouvelles de cette hécatombe. Depuis, il est injoignable pour des raisons de santé. Il laisse à d’autres personnes le soin de commenter cette mauvaise affaire.
Des militaires russes affirment : « On a envoyé ces citoyens russes à l’abattoir. Nous n’avons absolument pas été consultés. Cette opération a été menée par des dilettantes. Son but n’avait aucun intérêt pour l’État, sinon des intérêts privés ». Elle a été engagée pour prendre possession des gisements pétroliers situés à l’est de Deir ez-Zor, actuellement sous contrôle kurde. Il était notoire qu’il y avait un accord tacite entre les parties pour définir une frontière qu’il ne fallait pas franchir.
Des militaires russes affirment que le groupe Wagner a engagé cette offensive sans renseignements préalables. Normal : Wagner ne possède pas de tels services. Il était évident que les États-Unis interviendraient pour stopper l’offensive avec leurs hélicoptères et leurs bombardiers lourds, puisque des B-52 ont été mis en action. Les radars militaires russes les ont bien sûr repérés. Ils n’ont pas prévenu les colonnes de mercenaires russes pour leur demander de stopper ou de se disperser. L’État-major russe n’a pas pris contact avec son homologue américain pour prévenir le carnage. Bref, ces gars ont été envoyés à l’abattoir. Ils ne restent qu’aux veuves et orphelins de pleurer.
Ces faits accroissent les discordances qui existent non seulement entre les nationalistes militaires russes et le Kremlin, mais aussi avec l’ensemble de la population. On ne comprend pas pourquoi il faudrait mourir pour la Syrie. On dit sous cape que le ministre de la Défense Serguey Chaïgou n’a pas servi un seul jour sous les drapeaux. Les mercenaires du Donbass, comme Igor Girkin, mènent une fronde renaissante. Il existe un conflit latent entre Poutine et l’armée. On se rappelle que nombre de généraux russes sont décédés dans des circonstances énigmatiques. Parmi les disparus, les populaires généraux Lebed et Rokhline ou le procureur militaire Victor Ilioukhine. Ce dernier voulait traîner Poutine devant un tribunal militaire pour trahison. Il est mort subitement en 2011.
La stratégie militaire de faire la guerre sans la déclarer a pris le nom de son concepteur, le chef d’État major des forces armées russes, le général Gérassimov. Elle permet d’éviter les inconvénients de la guerre, tout en profitant des avantages de ne pas la déclarer. En russe on appelle cela : « Ikh Tam Net ». Cela veut dire « Ils (les nôtres) ne sont pas là ». En fait ils y sont. Ce sont les « Hommes verts ». Ces militaires russes sans signe distinctif que Poutine a envoyés en Crimée, au Donbass, ou les mercenaires actuels de la société paramilitaire Wagner en Syrie.
Son fondateur est Dimitri Outkine, ex-lieutenant-colonel des « Spetsnaz » (unités spéciales). Il a adopté lui-même le surnom de Wagner en hommage au compositeur allemand Richard Wagner et baptise son groupe du même nom. Outkine est également un néonazi admirateur du Troisième Reich.
Mais, cette stratégie Guérassimov a un inconvénient. Toutes les guerres, même les non déclarés, font des victimes. Leurs cadavres sont encombrants. On les cache sous l’appellation « Gruz-200 », soit « Colis-200 ». Il s’agit du nom de code utilisé à l’époque soviétique pour désigner les cercueils revenant d’Afghanistan. Le syndrome afghan est toujours présent dans les mémoires. Il se ravive.
Le symptôme de « l’Empire outragé » hante les consciences aujourd’hui en Russie. Sitôt remis de sa défaite désastreuse de la Première Guerre froide, le sentiment néo-impérial suscite un désir de revanche que Poutine sait exploiter. Ce ricochet du soviétisme s’accompagne d’une nouvelle crise économique et du retour en cercueils.
Cet affrontement belliqueux entre les États-Unis et la Russie est le premier qui survient au cours de cette deuxième nouvelle guerre froide. Il a eu lieu sur le sol syrien.
Les victoires militaires font la gloire des césars. Mais les défaites les détrônent impitoyablement. Poutine a déjà deux fois annoncé le retrait de ses troupes du bourbier syrien. Elles y sont toujours.