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Billet de blog 20 novembre 2017

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Révolution russe: cent ans après, toujours l’exode

Alexandre Svichtshev et son épouse ont commémoré la révolution d’octobre de 1917 en s’exilant clandestinement de Russie. Cent ans après, la pratique demeure. Le pouvoir tchékiste, toujours au pouvoir, persécute les opposants. Après quinze jours d’errance, le couple a atterri ce matin enfin à Riga.

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Je connais Alexandre Svichtshev. Nous avons participé ensemble aux marches et manifestations de la Nouvelle opposition à Moscou. Le 5 novembre 2017, il a été arrêté sur la Place du Manège, alors qu’il participait au rassemblement organisé par « Artpodgotovka » de Viacheslav Maltsev. Il a été condamné à 5 jours de prison. Son domicile a été perquisitionné. Le 10 novembre, sa peine purgée, il a été libéré. Le même jour, il a été accusé de participation à une communauté terroriste. Les accusations sont absurdes. On l’accuse d’avoir voulu abattre un pylône de ligne à haute tension avec une simple scie à métaux en sciant les pieds métalliques. L’intention est punie au même titre que si le sabotage avait été exécuté. La peine est de 15 à 20 ans de prison.

Alexander Svichtchev libéré n’a pas pris la peine de retourner à son domicile moscovite. Il s’est enfui avec son épouse en Biélorussie, d’où il m’a appelé. Or, les agents des services secrets russes enlèvent quiconque en Biélorussie, avec l’aval des autorités biélorusses. Le lendemain, les fugitifs étaient en Ukraine. Mais, il est extrêmement hasardeux de rester en Ukraine pour les opposants russes, quels qu’ils soient. L’opposante Amina Okuev, le député Denis Voronenkov, le journaliste Cheremet ont été assassinés en pleine rue par la main de Moscou. Leonid Razvozzhayev, opposant russe et adjoint de l’ex-député de la Douma, Ilya Ponomarev, a été enlevé par des inconnus au centre de Kiev devant le bâtiment du Haut Commissariat des Nations Unies. Ramené à Moscou dans un jet privé des services secrets russes, il a été condamné à quatre ans et demi de prison. L’accusation de terrorisme permet aux autorités russes de lancer un avis de recherche international et de faire arrêter Alexandre à l’étranger. En l’attente d’une décision d’extradition éventuelle, prise par les autorités ukrainiennes, Alexandre pourrait rester longtemps en prison.

Il était impératif que Alexander Svichtchev et son épouse quittent l’Ukraine rapidement pour un pays plus sûr. Mais ils n’ont pas de visa Schengen. Leur intention n’était pas de quitter la Russie. Il fallait partir immédiatement, filer à l’anglaise. Surtout ne pas téléphoner pour rechercher de l’aide, car les services spéciaux russes écoutent les conversations. Il fallait partir sans tarder. Sans visa, la seule solution était de rejoindre l’Ukraine en passant par la Biélorussie.

Viacheslav Maltsev et son site « ArtPodgotovka », que l’on pourra traduire par « Préparation artistique » ou « Préparation d’artillerie » avait été déclaré extrémiste par le Kremlin. Ses partisans risquaient cinq ans de prison. Mais, après avoir appelé au rassemblement du 5 novembre sur la Place de Manège à Moscou, le chef d’accusation a changé. Ils ont été déclarés « terroristes » ». La peine encourue est de 20 ans de prison. La perpétuité pour Viacheslav Maltsev, qui appelle journellement ses concitoyens à faire une révolution en Russie, à renverser le régime de Poutine pour instaurer enfin un ordre constitutionnel, et 20 ans pour ses partisans.

Selon le FSB, Maltsev serait depuis l’étranger le commanditaire d’un incendie, qui n’a jamais eu lieu, de quelques bottes de foin abandonnées sur le pavé de la Place du Manège à Moscou après le Festival d’Automne. Qualifiées de terroristes par ces accusations outrancières, des personnes ont été arrêtées : Yuri Korny et Andrei Keptya. Ils risquent 20 ans de prison.

Nadezhda Petrova, et Andrei Tolkachev ont été également emprisonnés. Ils sont accusés d’avoir voulu incendier les bâtiments voisins de la Place Rouge. Nadezhda Petrova devait incendier toute seule des bâtiments, et non des moindres : le Bochoï théâtre, les galeries marchandes dont le GUM, de la Place du Manège, l’Hotel métropole, etc. Nadezhda Petrova, et Andrei Tolkachev sont passibles de 20 ans de prison. Dans 99,50 % des cas, les tribunaux russes confirment les accusations. Autant dire qu’ils seront condamnés.

Alexandre Svechtshik et son épouse devaient se mettre hors de portée de la main de Moscou en franchissant des frontières plus sûres. Ils ont essayé en vain de s’embarquer à Kiev dans un avion en direction de l’Europe. En vain ! Sans visa, on ne leur a pas permis de monter à bord. Ils ont donc repris leur transhumance au travers de pays n’exigeant pas de visa d’entrée pour les citoyens russes : Turquie, Gérorgie.

Enfin, ce matin très tôt, ils ont atteint la Lettonie.

Les purges staliniennes de 1937 sont encore présentes dans les mémoires. Beaucoup craignent leur retour. Le voilà !

La dernière vague répressive, dénommée « Affaire bolotnoe », date de 2012. Le 6 mai 2012, les forces de répression avaient inopinément barré le parcours de l’opposition unie qui contestait la constitutionnalité de la réélection de Poutine pour un troisième mandat présidentiel. La Cour constitutionnelle avait arrêté le 5 novembre 1998 que deux mandats présidentiels consécutifs constituent une limite extrême autorisée par la constitution (Конституционный предел). Cela n’a pas empêché Poutine d’effectuer un troisième mandat, qui était en réalité un quatrième, puisqu’il avait rocqué avec son ami Medvedev lors du tour précédent. Il s’apprête à briguer un quatrième, qui sera en réalité un cinquième. La répression de 2012 avait envoyé nombre d’opposants politiques en prison. Les peines étaient en moyenne de quatre ou cinq ans. D’autres ont pu fuir à temps afin d’éviter la prison : Gary Kasparov, Olga Kurnosova, Eugènie Tchirikova, et bien d’autres.

Pour mater l’opposition qui relève la tête, une nouvelle vague répressive s’abat sur la Russie. Aujourd’hui, les peines encourues ne sont plus de cinq ans de prison, mais de vingt ans comme en Crimée et en Tchétchénie. Ces deux régions étaient les terrains d’expérimentation du FSB. Les méthodes qui y ont été rodées à l’encontre des Tatars de Crimée et des Tchétchènes s’appliquent à la population russe elle-même aujourd’hui.

L’année terrible 1937 resurgit. Le KGB, en la personne de Vladimir Poutine, son ancien directeur, est revenu au pouvoir en Russie. La peur s’installe à nouveau en Russie. Pour survivre, il faut se soumettre ou fuir.

On aurait pu croire que cent ans après, on ne reverrait plus cet horrible passé répressif réapparaître. Hélas non ! A quoi sert une commémoration, si l’on ne doit pas tirer les leçons des erreurs du passé ?

Rendons ici hommage à Marc Galpérin. Accusé d’extrémisme, il est actuellement aux arrêts à domicile. Il risque cinq ans de prison. Il a décidé de rester en Russie. Il est prêt à aller en prison pour montrer l’exemple à tous. Marc Galpérin clame : « Nous ne devons pas avoir peur de Poutine. C’est lui qui doit être effrayé et fuir, chassé par notre détermination. Nous n’avons peur de rien. Ni de la prison ni de la mort ! Nous vaincrons ! »

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