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Le 30 avril 2019, Alexandre Miller de la Cerda est intervenu lors du IV Marathon du festival « De l’Atlantique à l’océan Pacifique ». Il s’est félicité que l’église russe orthodoxe de Pau ait rejoint le patriarcat de Moscou. Son bâtiment est bien entretenu, son iconostase est dans un état remarquable. Par contre, l’homme de lettres s’est ému du délabrement de celle de Biarritz. Des raisons géopolitiques en seraient la cause, selon lui. La décision de rattacher cette dernière au patriarcat de Moscou, prise majoritairement par le conseil paroissial en 2005, a été contestée devant les tribunaux par quelques-uns de ses membres sensibles à des sollicitations venues de grands alliés outre-Atlantique, suppose-t-il. Le jugement a ordonné la restitution de cette église au patriarcat de Constantinople et de même a provoqué l’arrêt des travaux engagés par Moscou. Voilà la faute ! L’orateur détaille les ruines de l’édifice dans lequel les offices religieux ne peuvent se poursuivre que grâce à un filet de protection installé en son temps par le patriarcat de Moscou pour protéger les fidèles de la chute de fragments de la voûte gangrénée par le climat océanique.
Bref, il suffirait de faire allégeance à Moscou pour trouver les fonds indispensables à l’impérieuse rénovation de l’église de Biarritz.
Dans cet affrontement séculaire entre l’Est et l’Ouest, le conflit des églises a toujours joué un rôle déterminant. En 1943, Joseph Staline comprit l’erreur que fut la destruction des églises quelques années plus tôt. Il ressuscita le patriarcat de Moscou en convoquant au Kremlin trois métropolites. Il leur confia la mission d’élire un patriarche de Moscou. Depuis, celui-ci est sous le contrôle exclusif de Lubyanka et de ses Tchékistes orthodoxes. Actuellement, le premier d’entre eux s’appelle Vladimir Poutine. Personne ne croira que le colonel du KGB soit dévot. On soupçonne sa bigoterie ostentatoire, car il se signe parfois à l’envers comme les catholiques. Deux autres Tchékistes orthodoxes et francophones sont Vladimir Yakounine et l’oligarque orthodoxe Konstantin Malofeev. Ce dernier a joué un rôle de premier plan dans le rapprochement du Front national et de la Russie.
Le 3 novembre 2019, les services secrets russes ont remporté une victoire historique sur le front religieux. Dans la resplendissante cathédrale du Christ-Sauveur, qui trône à Moscou, l’acte final d’adhésion de l’archevêché orthodoxe russe de Paris avec le Patriarcat de Moscou a été signé. L’église orthodoxe de la rue Daru et l’Institut de théologie Saint-Serge de la rue de Crimée historiquement toujours blancs, sont désormais contrôlés par Moscou. Il convient néanmoins de tempérer la victoire de Lubyanka. Début octobre 2019, l’archevêché de Paris comprenait 115 paroisses et monastères, dont 56 en France. Seulement 46 des 115, soit 40 %, ont annoncé leur transfert à Moscou. Pour la France, le tableau est légèrement différent : 30 des 56 communautés se sont ralliées à Moscou. Environ 30 % sont resté fidèle au Patriarcat de Constantinople. Une vingtaine de communautés dispersées dans différentes juridictions n’ont pas encore décidé. Contrairement aux grands titres de la presse russe, ce n’est pas un triomphe. Mais Lubyanka ne renonce jamais à sa proie. Elle ne laissera aucun répit aux paroisses rebelles dont celle de Biarritz. Cette dernière devra encore en découdre avec les déclarations de Monsieur le Consul honoraire, avec les oligarques implantés sur la côte basque, et l’immigration économique qui se rangera toujours, comme la plupart des commerçants biarrots, du côté le plus argenté.
Dans son intervention, Alexandre de la Cerda a regretté également l’attitude d’un président français qui avait refusé que l’on inscrivît les racines chrétiennes dans la constitution européenne. Et de citer le cardinal Jean-Louis Tauran : « les racines chrétiennes sont un fait parce que la première école, les premières universités ont été fondées par l’Église ». Faut-il rappeler à l’homme de culture que la première université de France a été créée en 1020 par les Arabes à Montpellier ? Le statut multicarte et mouvant d’Alexandre Miller de la Cerda le dispense de tout devoir de réserve, contrairement aux diplomates d’actives. Consul russe, citoyen français, basque, gascon, homme de lettres, historien, amateur de bon vin, sociable et mondain, il est l’agent d’influence idéal pour enchâsser les imaginaires de la puissance russe dans l’inconscient de milieux les plus divers de la population française. Seuls les russophones pourront constater que ses déclarations ne sont pas le fruit de son génie incontestable, mais une traduction de la propagande du Kremlin.
Dans son allocution, Alexandre Miller de la Cerda entonne des accents néo-byzantins. Il qualifie Moscou de troisième Rome à qui le « souffle vivifiant de la Grèce antique » aurait été transmis. L’intellectuel donne une touche régionaliste à ce vaste tableau historique et géopolitique en y intégrant le Pays basque et la Gascogne. Les Russes ne bouderont pas Biarritz où ils sont si choyés. Le commerce jubile.
Ce forum intitulé « Dialogue eurasien » est placé sous le patronage de la Présidente du Conseil de la Fédération de Russie, Valentine Matvienko. Il s’agit d’une plate-forme de discussion du parlement russe au parlement européen. La verticale est évidente. Mais il y en a une seconde en arrière-plan. Son représentant est Konstantin Kosachev, chef de Rossotrudnichestvo. Il s’agit d’une agence pour la coopération internationale. Elle est supervisée par le ministère russe des Affaires étrangères, c’est à dire contrôlée par les Services du renseignement extérieur russe. Toutes ces organisations mixtes, qui ont des contacts avec des étrangers, sont entre les mains des services secrets. C’est une vieille tradition soviétique. Les associations de dialogue qui ont été fondées sur des thèmes divers sont destinées à produire de l’influence et à recruter des agents à cette fin. Lénine appelait ces derniers les « idiots utiles ». Ce sont des véridiques ou des pseudo-intellectuels qui se complairont à répéter à leur entourage des idées prémâchées en d’autres lieux. En informatique, on appelle cela des « proxy » ces serveurs qui agissent par procuration. En rétribution, certains se satisferont de réceptions grandioses flatteuses et de titre ronflant. Celui de consul honoraire est prestigieux. Les portes s’ouvrent devant lui. D’autres candidats seront plus exigeants. L’un deux s’appelaient Alexandre Benalla. Il était infiltré au palais de l’Élysée et rémunéré clandestinement sur un compte au Maroc. Les psychologues des Services du renseignement extérieur russe (CVR) savent négocier avec de tels postulants.
Malgré la séparation de l’Église et de l’État, qui prévaut encore en Fédération de Russie, le consul honoraire à Biarritz défend avec une même ardeur le patriarcat de Moscou. Dans le conflit qui oppose Constantinople et Moscou, il prend position en faveur de ce dernier. Il accuse le patriarcat de Constantinople d’être actionné et financé par les autorités et les dollars américains. Il accuse les USA et leurs affidés de l’Union européenne de mener une guerre contre l’Église Orthodoxe, plus particulièrement au Monténégro. « L’histoire indique que le Monténégro n’a jamais eu d’alliés plus proches que la Serbie et la Russie. Cependant, les puissances de l’OTAN ont investi pendant plusieurs années beaucoup d’argent et d’efforts pour démanteler ces liens et créer un Monténégro anti-Russe et anti-Serbe. Le “nouveau Monténégro” devait devenir un “porte-avions balkanique” dans la lutte contre Moscou et Belgrade ».
On n’entend de sa part aucun mot pour condamner la tentative de coup d’État au Monténégro par les services secrets russes en septembre 2016. Difficile d’être inféodé à une puissance et de la critiquer, au risque de perdre son titre de gloire.
Des Balkans, il passe à l’Ukraine pour accuser encore les atlantistes d’avoir œuvré pour inventer une église ukrainienne autocéphale, contre la volonté des fidèles, afin d’amoindrir l’influence du patriarcat de Moscou.
En 2014, Lubyanka a réussi l’exploit de coaliser et mobiliser en sa faveur une variété de personnalités ayant parfois des idées franchement adverses. Une pétition a alors réussi à collecter sous un même texte « Solidaires de Russie à l’heure de la tragédie ukrainienne » la signature d’adversaires anciens du régime soviétique. Elle fut publiée sur le site russky-most. On y retrouve des noms blancs les plus prestigieux comme Cheremetieff, Moussine Pouchkine et parmi eux, celui de Miller de la Cerda.
En 2014, violant tous les traités internationaux, y compris ceux signés par Poutine lui-même, la Russie agressait l’Ukraine et annexait une partie de son territoire. Une répétition de toutes les annexions de feu Union soviétique honnie. Héritière de l’URSS, la Fédération de Russie agit selon les mêmes scénarios d’antan. Rappelons les faits : c’est la Russie qui a agressé l’Ukraine et non le contraire. Transformés en « idiots utiles », ces intellectuels ont été solidaires avec l’agresseur néo-soviétique. Ils ont vu dans les trolls du Kremlin des « milices arborant une symbolique nazie en Ukraine ».
Moi, je suis allé à plusieurs reprises en Ukraine et je n’y ai jamais vu de nazi ni de fasciste, sinon tout le contraire. Des antifascistes russes, tatars, tchétchènes se sont réfugiés en Ukraine après avoir fui le régime criminel et dictatorial de Poutine et de son fils adoptif Ramzan Kadyrov dont Alexandre Miller de la Cerda est le représentant honoraire à Biarritz. Qu’est devenue son éloquence ?
Aujourd’hui, les grandes puissances ne s’affrontent plus militairement. Elles continuent néanmoins à avoir des intérêts et des ambitions contradictoires, parfois inconciliables. Elles s’affrontent selon un type de guerre nouveau. Les Anglais appellent cela « Soft Power », les Russes, « guerre hybride ». Il s’agit de moyens non militaires, qui s’inscrivent toutefois dans une stratégie guerrière sous les ordres des états-majors respectifs. En Russie, cette stratégie porte le nom du généralissime russe actuel : « Gerassimov ». Le rôle des militaires, des réseaux d’influence, des hackers, des médias, du personnel diplomatique, consul honoraire à Biarritz compris, est de mettre en œuvre cette stratégie, idéologiquement préparer le terrain à une nouvelle agression.
L’Eurasisme.
Ce forum avait pour titre « Dialogue eurasien ». J’ai eu le privilége d’apprendre le russe à Paris dans les années 1980. J’avais accès à toute une littérature interdite en URSS. C’est ainsi qu’un jour, j’ai découvert « La vielle Russie et la grande steppe », dont l’auteur est Lev Goumiliov. L’ouvrage de présentation sobre est une véritable encyclopédie. Il m’a passionné. J’ai lu ensuite toutes les œuvres de Lev Goumiliov. L’auteur, fils des poètes Nicolas Goumiliov et Anna Akhmatova, a habité toute sa vie dans un appartement communautaire à Saint-Pétersbourg. Il a été arrêté trois fois par les autorités soviétiques. Il ne s’est jamais mis au service du pouvoir, mais seulement de la vérité historique qu’il a recherchée toute sa vie. Il a consolidé « L’Eurasisme », théorie conçue à Paris par les émigrés blancs dans les années 1930. Elle confirme que l’homme est un élément de la biosphère selon le naturaliste Vernadski. Le Russe est une créature de l’Eurasie. Les civilisations et leur histoire sont liées à la biosphère. Aujourd’hui, le changement climatique nous a convaincus.
L’unité du continent euroasiatique est matérialisée par la steppe. Cette dernière a deux limites : à l’est, la grande muraille de Chine ; à l’ouest les Carpates. La démarcation occidentale peut se définir également par la ligne de l’isotherme 0° en janvier. Elle se situe en Pologne. La persistance du manteau neigeux en hiver et ses variations sont un facteur déterminant pour la survie du bétail, donc celle de l’homme. Elle régule son histoire. Le peuple dominant en Eurasie actuellement est le russe dont l’État centralisé est à Moscou. Ce peuple est une alliance du Ruslan (russes) et du Turan (Turcs). L’ancienne capitale de l’Eurasie Karakorum a été transférée de Sibérie à Moscou. Le Khan des steppes ne fut plus Gengis-khan, mais le tsar moscovite et ses successeurs : empereurs et secrétaires généraux communistes. Aujourd’hui, c’est Poutine. (Lev Goumiliov étant décédé en 1989, ce dernier point est ma seule interprétation.
En 1992, j’avais mes bureaux près de la place biélorusse à Moscou. Le soir, je rentrais à pied par l’avenue Tverskoy jusqu’à Théatralnaya où je prenais le métro. En face de l’hôtel Minsk, le géopoliticien Alexandre Douguine tenait un magasin dans lequel il vendait ses livres et autres breloques. Alexandre Douguine se définissait comme euroasiatique. J’ai compris rapidement que Douguine n’était pas un euroasiatique, mais un entrepreneur qui accommodait des idéologies pour en faire commerce. Son projet était prometteur, car l’État russe s’est retrouvé sans idéologie, orphelin après la chute du communisme. Il était en quête d’idéologies [J’insiste sur le pluriel]. Des créneaux étaient à prendre. Alexandre Douguine s’est engouffré dans l’un d’eux. Douguine a repris le titre Euro-Asie, mais l’a adapté avec une mouture de sa composition adaptée à la situation. Il a déclaré que l’euroasiatisme serait une alliance entre la Russie et l’Allemagne dont le modèle serait le Pacte de Ribbentrop-Molotov. Douguine a fermé son magasin et est allé se mettre au service des politiques au pouvoir. Le projet a plu à Poutine qui parle allemand. Les accords gaziers et les gazoducs étendus sous la Baltique entre la Russie et l’Allemagne ont concrétisé cette alliance russo-allemande. Dougine a acquis une notoriété. Lev Goumiliov avait connu la prison.
Pour paraître érudits, mes amis russes m’ont affirmé souvent avoir lu les œuvres de Lev Goumiliov, bien qu’il fût interdit en URSS. Après quelques minutes de discussion, j’ai compris qu’ils se vantaient. Par contre, ils connaissent tous Alexandre Douguine, idéologue officiel du Kremlin. L’Eurasisme falsifié de Douguine est une arme offensive dans la guerre idéologique entreprise par le néo-impérialisme moscovite revanchard. Il s’agit toutefois d’une idéologie à géométrie variable. On ne dit pas la même chose à un public français ou russe. En Russie, on affirme que l’Europe occidentale est décadente. Les images des correspondants de RT assènent cette vérité régulièrement sur les écrans russes. Monsieur le Consul honoraire de Russie à Biarritz ne vous dira jamais une telle chose. Ici, on préfère dire que les pays déliquescents sont ceux d’Europe orientale frontaliers avec la Russie. Les nazis auraient accaparé une bande qui s’étend de la Baltique à la mer Noire, Ukraine comprise. Cette propagande prépare l’opinion à une nouvelle agression russe contre ses voisins. Pour la vérité historique, précisons que le fascisme a été importé en Ukraine d’Allemagne nazie, de la Russie stalinienne et aujourd’hui de celle de Poutine en Crimée et au Donbass.
La quatrième guerre mondiale hybride a commencé.
Il y a eu deux guerres mondiales qui se sont terminées en 1917 et 1945, une troisième qui s’est achevée en 1991 et une quatrième qui a commencé en août 2008 avec l’agression russe en Géorgie. En 2020, elle se poursuit contre l’Ukraine. Nous qualifierons ce dernier conflit de guerre hybride, car les moyens employés ne sont plus essentiellement militaires. Quand et comment s’achèvera cette nouvelle guerre en Europe ? Personne ne le sait. À la différence des précédentes, le pays agresseur est une puissance nucléaire : la Russie. C’est dans ce cadre qu’il faut apprécier les déclarations d’Alexandre Miller de la Cerda, consul honoraire à Biarritz du pays agresseur : la Russie.
La dissymétrie des moyens dans cette guerre hybride permet à Moscou d’être offensif chez l’adversaire et tout en interdisant des comportements identiques sur son territoire. Simple blogueur, j’aurais été heureux de jouir en Russie de la même liberté dont profite Russian Today en France [sans parler des moyens] ou Alexandre de la Cerda Cerda à Biarritz. À Moscou, parce que je filmais des opposants avec mon modeste smartphone, j’ai été arrêté trois fois. Je fus également projeté et étendu par une nuit de décembre sur une voie de circulation par un agent du FSB. Les hommes du Kremlin ont pu poursuivre pour diffamation en France la professeure Cécile Vassié pour son remarquable livre « Les réseaux de Poutine en France ». Par contre, je n’ai jamais pu obtenir la moindre poursuite contre l’agent du FSB, Eugène Platov qui avait attenté à ma vie à Moscou.
Tout Français qui se comporterait en Russie comme le Consul honoraire de Russie à Biarritz ne resterait pas libre, en bonne santé ou vivant bien longtemps. Cela dit, je souhaite à Monsieur le Consul honoraire de Russie à Biarritz liberté, prospérité, santé et longue vie. Ses déclarations et les réponses que l’on peut lui faire permettent d’enrichir le débat. Qu’il en soit remercié.