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Billet de blog 21 juin 2018

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Après le football, la guerre !

Les spectacles sportifs servent à camoufler des préparatifs guerriers. La Russie a transféré une partie de sa flottille de Caspienne en mer d’Azov, où un affrontement naval a déjà commencé. Qui contrôlera cette mer intérieure russo-ukrainienne ? Quels en sont les enjeux ?

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La Coupe du monde de football, qui se déroule actuellement en Russie, nous rappelle de tristes événements. En 2014, sur fond de Jeux olympiques d’hiver à Sotchi, Poutine a entrepris l’annexion de la Crimée. L’intervention des troupes russes s’est poursuivie au Donbass. Cette guerre a déjà fait plus de dix mille victimes. Elle se poursuit encore aujourd’hui et pourrait prendre une nouvelle tournure.

Illustration 1
Pont de Kertch © Lenta.ru

La construction du pont de Kertch, qui relie la Russie continentale à la Crimée annexée, viole la liberté de navigation. Sa hauteur est de 36 mètres et non de 50 mètres comme il le fallait. Ce pont limite à 31 mètres la hauteur des navires pouvant atteindre les ports ukrainiens de Berdyansk et Marioupol. 30 % de la flotte marchande qui commerçait avec ces ports est désormais interdite de navigation en mer d’Azov. La Russie agit comme si la mer d’Azov était sa mer intérieure. Elle en contrôle l’accès et arraisonne à Kertch tout bâtiment. Le 30 avril, elle a commencé à inspecter tous les navires. Il s’agit d’une violation flagrante de la Convention sur le droit de la mer.

Illustration 2
Mer d'Azov © republic.com.ua

La Russie a concentré en mer d'Azov une quarantaine d’unités de sa flotte. Il s’agit de vedettes rapides, patrouilleurs et navires à faible tirant d’eau. Ils sont dotés de missiles de croisière « Calibre ». Ces derniers sont capables d’atteindre une cible à 1.400 kilomètres, alors que la longueur de la mer d’Azov n’est que de 343 km et sa largeur de 231 km. Le Kremlin a transféré des bâtiments de sa flottille de Caspienne en mer d’Azov. Il s’agit de navires blindés dotés d’artillerie et de six bateaux de débarquement. Ils pourraient bien apporter sur les rivages ukrainiens des hommes verts sans insigne distinctif, du genre des « milices locales » qui sont intervenues en Crimée ou au Donbass. La Russie met en œuvre le blocus économique des ports de Marioupol et Berdyansk en interdisant les communications maritimes avec la mer Noire. On s’attend à un mécontentement de la population qui sera privée de ressources. Ces soldats anonymes pourraient venir à son secours.

Un scénario semblable à l’invasion de la Crimée se dessine. La situation est ambiguë. Certains experts estiment que la Russie se prépare à une offensive navale à laquelle l’Ukraine ne peut faire face. Elle n’a qu’un bâtiment doté d’artillerie et quelques vedettes garde-cotes en mer d’Azov. Le Kremlin a entrepris des manœuvres navales. L’on craint particulièrement ces exercices lors d’événements sportifs retentissants, comme le Mondial.

Illustration 3
Canal du Dniepr en Crimée © 24tv.ua

Isolée du continent, la Crimée était une valise sans poignée, selon l’expression des opposants russes. Poutine a fait construire le pont de Kertch pour la relier à la Russie. Mais le problème n° 1 en Crimée est celui de l’eau. Le canal venant d’Ukraine est à sec. Il amenait en Crimée les eaux du Dniepr. Les Ukrainiens ont fermé les écluses. En Crimée, les réservoirs sont secs. Les sols non irrigués se salent inexorablement. Ils deviennent incultes. Les eaux de pluie et phréatiques ne suffisent qu’à l’arrosage des potagers. Actuellement, il n’y a l’eau courante à domicile que quelques heures par jour. Il est fortement conseillé de ne pas la boire. C’est une catastrophe écologique que n’avait pas prévue le stratège Poutine. Il y a une solution militaire : ouvrir un corridor terrestre, au travers de Marioupol. Il reliera la Crimée avec la Russie et avec les eaux du Dniepr. Poutine tient ce projet sous le coude. Les « Ultras » comme Igor Girkin lui en veulent d’avoir fait preuve de retenue en 2014. On aurait dû régler le problème alors, selon eux.

Après le Mondial, en Russie on reparlera de réalités. L’âge de départ en retraite a été reporté de 60 à 65 ans pour les hommes. Leur moyenne de vie est de 67 ans. Dans beaucoup de régions, elle n’atteint pas 60 ans. Celui des femmes a été repoussé de huit ans, de 55 à 63 ans. Elles vivent 15 ans de plus que leurs conjoints. La TVA passe de 18 à 20 %. Le prix des carburants a été porté à 45 roubles. Il est aussi cher qu’aux USA. On s’attend à des protestations de masse semblables à celles qui avaient eu lieu en 2005, lorsque les avantages sociaux ont été « monétisés », c’est à dire supprimés.

Illustration 4
Cote de Poutine © Lavaba

Pour le moment les Russes sont à la datcha. Avec les froids, ils reviendront en ville et les troubles commenceront. D’ici là, Poutine peut faire ce qui lui a toujours réussi : une guerre. Elle divisera l’opposition, désignera un ennemi et permettra de verrouiller encore plus le régime. Une provocation donnera son signal. Ce pourrait être un attentat contre le pont de Kerch. Il justifierait l’ouverture d’une voie terrestre de communication avec la Crimée, c’est-à-dire une offensive sur Marioupol. La tension qui se déploie actuellement en mer d’Azov est indispensable pour cela.

Comment réagiront les puissances occidentales ? Macron vient d’appeler Poutine « Cher Vladimir » et le tutoie. Les députés européens proches du FN et de la France insoumise ont voté contre la libération du prisonnier politique Oleg Sentsov. Tramp a proposé que la Russie réintègre le G8. L’Allemagne deviendra la succursale de revente du gaz russe en Europe avec la construction du gazoduc en Baltique.

On n’avait pas voulu mourir pour Dantzig en 1938. Qui voudra mourir pour Marioupol ?

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