Pierre HAFFNER (avatar)

Pierre HAFFNER

Blogueur russe.

Abonné·e de Mediapart

755 Billets

0 Édition

Billet de blog 25 mai 2016

Pierre HAFFNER (avatar)

Pierre HAFFNER

Blogueur russe.

Abonné·e de Mediapart

Nationaliste russe en prison.

Le parti nationaliste « Les Russes » a été interdit. Ses dirigeants, Alexanre Potkin alias Belov et Dmitry Demushkin sont emprisonnés. Ils ont refusé de soutenir la guerre contre l’Ukraine. Qui dirigera le mouvement nationaliste russe ? Poutine acceptera-t-il un concurrent sur ce terrain qui assure sa popularité ? Ceux qui s’apprêtent à lui entraver la route le payent toujours très cher.

Pierre HAFFNER (avatar)

Pierre HAFFNER

Blogueur russe.

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Illustration 1
Alexandre Potkin (Belov) © TASS

Natalia réside en Bulgarie. Elle est venue spécialement à Moscou pour assister au procès de son gendre Alexandre Potkin, plus connu sous le pseudonyme de Belov. J’ai rencontré Natalia dans la salle des pas perdus au tribunal. Après l’audience, elle m’a proposé de poursuivre notre conversation dans l’appartement de sa fille Olga, épouse d’Alexandre. Olga est venue à notre rencontre en voiture à la station de métro. Arrivé à son domicile, j’ai été frappé par la propreté absolue de l’appartement, petit certes, mais fort bien tenu. On jouait du piano dans une pièce. Deux fois par semaine, un professeur de musique vient donner des cours aux deux garçons âgés de treize et sept ans. Un professeur d’anglais vient également leur apprendre cette langue à domicile, m’a dit Olga. Nous nous sommes installés dans la cuisine. C’est une vieille habitude en Russie. C’est dans la cuisine que l’on se sent le plus libre pour s’entretenir discrètement. Lorsque je me suis mis à parler, trop fortement à son goût, Olga m’a fait un signe afin que j’abaisse la voix, me faisant comprendre que des micros peuvent être dissimulés ici.

L’emprisonnement d’Alexandre en octobre 2014 a bouleversé la vie de la famille. Le fils aîné apprend le chinois. Un professeur vient lui donner des cours particuliers à domicile. Il devait participer à un stage de langue en Chine. Pour quitter le territoire, il avait besoin d’une autorisation parentale que son père n’a jamais pu signer, étant en prison. Olga a insisté à outrance. Elle a enfin reçu l’autorisation signée par Alexandre, mais après le stage. L’enfant n’a pu y participer, bien sûr. Mais c’est la dernière perquisition qui a particulièrement traumatisé les enfants. Au petit matin, avant leur départ pour l’école, une vingtaine de policiers des forces spéciales munis de gilet pare-balles et de kalachnikov, casqués et masqués ont fait irruption dans ce modeste appartement. Qu’espérait-il trouver ici ? demande Olga.  Ici, il n’y a rien. Pas d’ordinateur, pas de papiers. La cour de l’immeuble était encombrée de véhicules militaires. Les deux enfants ne sont pas allés à l’école ce jour-là ni la semaine qui a suivi.

Dans un premier temps, accusé de délit économique, Alexandre a été assigné à domicile, ce chef d’inculpation n’exigeant pas l’incarcération. Malgré cela, il a été très rapidement emprisonné. L’enquête a été menée par l’officier de police Nicolas Budylo. Celui-ci apparaît sur la « liste Magnistky ». Elle désigne les responsables de l’emprisonnement, des mauvais traitements et de la mort de Sergueï Magnitski et du détournement de 5,4 milliards de roubles provenant du budget russe sous couvert de remboursement d’impôt. Dernièrement, une partie de ces fonds a été retrouvée sur le compte panaméen du violoncelliste Serguey Roldogin, ami de Poutine. Un groupe d’avocats avait dénoncé cette vaste escroquerie. Serguey Magnitsk voulait la divulguer. Cela lui a coûté la vie. Les États-Unis et l’Union européenne ont dressé la liste des personnes responsables de la mort de Serguey Magnistsky. L’enquêteur de police Nicolas Budylo en fait partie. C’est lui qui a été chargé de monter un dossier de délit économique à l’encontre d’Alexandre.

Mais, le FSB (ex-KGB) est intervenu affirmant qu’Alexandre est un terroriste qui incite la population à accomplir des actions illégales. Il ne se soumet pas aux représentants du pouvoir. Il est responsable de tous ces événements effroyables qui se produisent Ukraine (Maïdan). Il se prépare à se réfugier dans ce pays pour participer à la lutte côté ukrainien contre la Russie. Il a l’intention de poursuivre là-bas ses activités criminelles. Ces accusations de terrorisme lui ont été signifiées un an après son emprisonnement. Elles ont permis de justifier et de prolonger son incarcération, les allégations de délits économiques étant ineffectives et caduques. Alexandre avait un domicile et un travail. Rien ne pouvait s’opposer à sa libération. On lui a dit d’une manière très claire : « Nous ne pouvons pas te libérer. Pour cette raison, nous allons t’accabler de délits plus graves ». On l’a accusé d’avoir fondé une association extrémiste. Pour prouver cela, il suffit de trouver une seule autre personne puisqu’en Russie, deux personnes, c’est déjà une association. Piotr Milosserdov, ancien collègue de travail, a été désigné son complice. Ce dernier a eu la sagesse de quitter précipitamment la Russie lorsqu’il a appris que le FSB s’intéressait à lui.

Selon l’accusation, l’ancien propriétaire de la banque BTA, l’homme d’affaires kazakh Mukhtar Ablyazov, désirait violer l’ordre constitutionnel au Kazakhstan. Il aurait proposé à Alexandre de créer une communauté extrémiste qu’il aurait lui-même financée afin de déstabiliser la situation politique dans ce pays. Il est reproché à Alexandre aussi des voyages en Ukraine et des rencontres avec des opposants à la politique de Poutine dans ces pays.

Akexandre a été effectivement au Kazakhstan afin d’échanger ses expériences de luttes politiques avec l’opposition kazakh. Il n’y a rien de criminel en cela. À Moscou, on ne pense pas ainsi. Alexandre avait l’intention de détruire l’alliance euroasiatique, affirme-t-on au Kremlin. Cette alliance est le revirement stratégique imaginé par Poutine afin de suppléer au divorce de la Russie avec l’Occident, car l’annexion russe de la Crimée a isolé la Russie sur la scène internationale. La pièce maîtresse de cette volte-face est la solidarité avec le dictateur Nazarbaev, qui règne en maître depuis 26 ans au Kazakhstan. Attenter au despote ami, voilà l’extrémisme !

Le 24 mai 2016, je suis allé au tribunal de Moscou assister à une nouvelle audience. Alexandre y a été mené menotté et placé dans la cage des accusés. Une Kazakhe qui aurait été manigancée par Alexandre  dans son pays devait témoigner par vidéoconférence. À la question du juge, reconnaissez-vous cette personne, le témoin a répondu « non ». Le juge a demandé à Alexandre de se lever pour être mieux vu. L’huissier a déplacé la caméra pour faire un gros plan. Le témoin a confirmé « non ». Néamoins l’interrogatoire a continué. Les questions du procureur au témoin ont été directes : « Quelles sont ses positions politiques ? » « Combien de réunions avez-vous faites avec lui ? Combien de personnes y avait-il ? » (Sous-entendu, si c’est bien lui que vous avez rencontré.)

Poutine a décidé de verrouiller l’espace postsoviétique encore fidèle au Kremlin. Certes, après Maïdan, celui-ci se restreint comme une peau de chagrin. L’ex-membre du Parti communiste de l’URSS et l’ex-agent du KGB ressort les mêmes recettes qui ont magnifiquement échoué par le passé : répression, militarisme et interventions armées. A-t-il tiré les leçons des débâcles lamentables de feu-URSS et feu Pacte de Varsovie ? Vraisemblablement pas. Il serait étonnant que les mêmes méthodes provoquent des effets différents.

Mais l’affaire « Alexandre » permet de comprendre plus profondément le machiavélisme psychopathe du maître du Kremlin qui s’empêtre à démêler des écheveaux qu’il a lui-même embrouillés. La guerre qu’il a déclenchée contre l’Ukraine, en annexant la Crimée, se poursuit actuellement au Donbass. Non seulement, elle n’a pas unifié le monde russe, comme il le prétendait, mais l’a profondément divisé. Il s’agit d’une guerre fratricide inter-slave et inte-rrusse. Alexandre et son compagnon exilé, Piotr Milosserdov, sont anciens collaborateurs à des degrés divers de Rogozine, ex-président du parti « Rodina » (la patrie), ex-ambassadeur de la Fédération de Russie auprès de l’OTAN et actuellement vice-premier ministre. Lorsqu’elle parle de lui, Olga le nomme respectueusement Dimitry Olegovitch. Poutine et Rogozine ont une conception du nationalisme semblable à celle d’Hitler. Être nationaliste serait, selon eux, agresser les autres peuples. Alexandre en a une conception tout à fait différente. Il s’agit tout d’abord de garantir le bien-être et la paix à son peuple. Alexandre condamne la guerre de Poutine en Ukraine. Avec un autre militant nationaliste russe, Dmitry Demushkin, ils ont fondé le parti nationaliste « Les Russes ». Cette organisation s’est déclarée contre la guerre en Ukraine. Voilà qui encombrait le créneau nationaliste sur lequel Poutine désirait régner en maître. Il a décidé de déblayer ce courant nationaliste pour y placer le sien. Le 28 octobre 2014, peu de jours après l’arrestation d’Alexandre, cette organisation a été interdite et ses deux fondateurs Dmitry Demushkin et Alexandre emprisonnés. Le terrain est libre pour le nationalisme agressif dirigé par les terroristes russes rentrés d'Ukraine où ils ont fait la guerre contre leurs frères slaves. Ils paradent à Moscou, arborant  leurs médailles méritées sur le front au Donbass. Ils agressent régulièrement et impunément les opposants à Poutine. Leur dernière victime est Alexey Navalny à l’aéroport d’Anapa.

Le dictateur kazakh, Noursoultan Nazarbaïev, tente de récupérer le milliardaire kazakh Mukhtar Ablyazov détenu actuellement en France. Ce dernier est accusé du détournement de 5,4 milliards de dollars entre 2005 et 2009, alors qu’il était à la tête de la banque BTA. Il n’existe pas de convention d’extradition entre le Kazakhstan. Par contre un tel accord existe entre la France et la Russie. Le procureur général russe, Ygor Tchaïka, mafieux notoire dénoncé par le fonds de lutte contre la corruption d’Alexey Navalny, gère totalement les demandes d’extradition. Ami de Poutine, dormez tranquille à l’étranger ! Ennemis, soyez certains que l’on demandera votre extradition ! En Russie, on accuse Mukhtar Ablyazov de financer les activités jugées extrémistes d’Alexandre. Cela permettrait de consolider le dossier à l’instruction contre les deux hommes et d’argumenter la demande d’extradition de l’oligarque actuellement retenu dans les prisons françaises. Extradé, il se retrouvera rapidement dans les geôles kazakhes, via la case « Russie ».

On aperçoit toute la signification politique du procès instruit contre Alexandre. Poutine entend contrôler le nationalisme russe. L’élimination du courant dirigé par Alexandre est vitale pour lui.

En 2016, il a été décidé de faire en Russie des primaires pour désigner les candidats aux futures élections de la Douma d’État. Alexandre n’a pas été encore jugé. Il n’est donc pas encore privé de ses droits civiques. La Commission de la coalition démocratique l’a désigné candidat à ces primaires qui ont lieu actuellement.

Mais on est inquiet pour la vie d’Alexandre. Lorsque Poutine a décidé d’éliminer un opposant, il le fait. Si l’intimidation, la prison ne suffisent pas, en dernier recours, il le tue. En Russie, le moyen le plus discret d’assassiner une personne est de le mettre tout d’abord en prison. Officiellement, on n’applique pas la peine de mort en Russie. La réalité est toute autre. 4000 personnes meurent dans les prisons russes chaque année selon l’administration. Le chiffre réel des décès est supérieur. Le cas de Serguey Magnitsky en est un parmi tant d’autres. Ce dernier n’a eu droit à aucune autopsie, enquête, ni recherche de responsabilité. Alexandre a reçu des menaces qui inquiètent sa famille. Son avocat Ivan Mironov affirme que l’enquêteur lui a envoyé un SMS disant que si Alexandre ne signe pas le procès-verbal No 217 du Code de procédure pénale, il lui donnera un coup de tournevis dans l’œil.
Alexandre a confirmé lui-même les affirmations de son avocat. Ce dernier a transmis à la cour les photocopies du procureur et le SMS de correspondance. La juge Marina Syrova a demandé à l’enquêteur responsable, est-ce bien de son numéro de téléphone que le SMS a été envoyé? Celui-ci a répondu : « Oui, mais je pense qu’il s’agit d’une provocation. Certainement, une fausse carte SIM avec mon numéro a été fabriquée pour envoyer ce message ».

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.