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Billet de blog 26 avril 2017

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Russie: 2,5 années de prison pour une image

Dmitry Demushkine a été condamné à 2,5 ans de prison pour avoir publié une photo comportant l’inscription : « En Russie, pouvoir russe ». Certains ironisent ainsi : sous Staline, on allait au Goulag pour une anecdote. Sous Poutine, c’est pour une image.

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Illustration 1
Dmitry Demuchkine © Russkie

Cette condamnation interdit à l’opposant de se présenter face à Poutine aux prochaines élections présidentielles alors que Vyatcheslav Maltsev est en prison à l’heure où ces lignes sont écrites et qu’une condamnation à 4,5 années de prison avec sursis menace Alexey Navalny d’inéligibilité.

Le nationaliste russe Dmitry Demushkin avait publié en 2014, sur ses pages du réseau social VK, une image ayant la légende « En Russie, pouvoir russe ». Il s’agit du mot d’ordre principal des nationalistes exprimé lors de leur manifestation « Marche russe » qui se déroule tous les 4 novembre.

Cette expression a une longue histoire. Elle est attribuée à l’empereur Alexandre III. Ce slogan est repris aujourd’hui par des nationalistes russes. Il se déchiffrerait ainsi : nécessité de se conformer à la primauté de la nation russe comme principe de formation de la Fédération de Russie. Il est flatteur pour les nationalistes russes d’attribuer la paternité de cette expression à l’empereur Alexandre III. Mais l’impérialisme tsariste n’est pas mort avec la révolution d’octobre. Bien au contraire. Il a refleuri dans toute sa magnificence avec le régime communiste. Sa capitale s’est déplacée de Saint-Pétersbourg à Moscou. Cet engouement s’exprimait dès le premier couplet olympien de l’hymne soviétique :

L’Union indestructible des républiques libres
A été réunie pour toujours par la grande Russie.
Que vive, fruit de la volonté des peuples,
L’unie, la puissante, Union soviétique !

Aujourd’hui, la musique de l’hymne de l’URSS composé par A. Alexandrov persiste. Certes, les paroles ont été modifiées, mais leur sens régalien est tenace. L’hymne actuel affirme toujours que la « Russie est une puissance sacrée », « alliance glorieuse de peuples frères ». Lesquels ? Cela n’est pas précisé.

Qui donc pourra reprocher à Dmitry Demushkin d’avoir un sentiment « grand-russe » ? Ne devrait-il pas s’inquiéter du sort de la Russie actuelle après l’écroulement de ses deux empires précédents, tsariste et soviétique, et du désastre inévitable vers lequel Poutine la conduit à nouveau, selon lui ?

Doit-on emprisonner Demushkin pour une image, qui a été publiée et republiée sur internet par des centaines de personnes ? À ce jour, aucune d’elles n’a été inquiétée, sauf lui. Cette affiche a été arborée chaque année lors des manifestations « Marche russe ». La police russe vérifie toutes les banderoles avant chaque manifestation et n’autorise que celles jugées légales. « En Russie, pouvoir russe » n’a jamais été interdit.

Malgré cela, Dmitry Demushkin a été accusé d’incitation à la haine et à l’hostilité envers un groupe particulier de personnes selon les conclusions d’un étrange expert psycholinguistique tchouvache. Il semble qu’à Moscou on n’ait pu trouver d’expert compétent. Il s’agit d’une louange surlignée du peuple russe, selon l’expert. Cet excès porte préjudice aux non-Russes. Verdict : deux ans et demi de prison fermes dans des contrées au climat peu hospitalier.

Illustration 2
En Russie, pouvoir russe © Russkye

Dmitry Démushkine est resté assigné à domicile tout le temps de son procès. L’accès à internet lui était interdit. Le pouvoir veut réprimer le nationaliste en catimini. Le procès a eu lieu à huis clos. Cette décision est tout à fait étrange, puisqu’aucun mineur n’est impliqué dans cette affaire, il n’existe pas d’information constituant un secret d’État ou de Défense, il n’y a aucune affaire de mœurs pouvant altérer la réputation de personnes.

Chacun devrait se mettre à trembler dès à présent en s’asseyant devant son ordinateur. Le but de cette condamnation est de créer une atmosphère de panique générale. Sur le principe de la sélection aléatoire, on peut se retrouver emprisonné pour un message ou un simple clip sur les réseaux sociaux. Les peines d’emprisonnement sont très lourdes, même avec un casier judiciaire vierge.

En réalité, cette condamnation a une autre motivation, bien politique. Poutine dégage le terrain nationaliste russe, qu’il veut contrôler lui même. Il le débarrasse au bulldozer et en silence. C’est le sens du huis clos. Poutine a interdit successivement les partis « Union slave », « Force slave », et « Les Russes » fondés par Dmitry Démushkine et ses partisans. Leur compagnon Alexandre (Potkin) Belov a été condamné à trois ans et demi en appel. À qui le tour ? Les nationalistes russes disent que Poutine est antinational. Ils payeront cet outrage.

Mais, l’apport nationaliste, le vrai, pourrait être décisif pour déclencher un Maïdan russe. Cette union pourrait déclencher un effet synergique, être catalyseur d’un raz de marée qui balayera le pouvoir comme en Ukraine. La détérioration des conditions de vie a répandu un mécontentement sourd dans la population, qui n’attend qu’un signal pour s’exprimer. Il a été entendu le 26 mars 2017. À l’appel d’Alexey Navalny, 70.000 personnes sont descendues dans la rue dans toute la Russie contre le pouvoir corrompu. Le Kremlin tente de faire avorter la fronde qui grogne. Il faut faire tomber des têtes, effrayer les masses. En emprisonnant des dizaines, on pourrait en faire taire des millions.

Après l’énoncé du verdict, Marc Israëlovitch Galpérin, membre de la « Nouvelle opposition », a appelé à l’union de tous sans exception, afin de mettre fin au régime dictatorial de Poutine. La lutte pour la liberté doit nous unir tous, sans exemptions.

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