Un Français condamné à 15 ans de prison en Russie

Poutine prend des otages qui lui servent de monnaie d’échange pour sa politique étrangère. Les Ukrainiens en font cruellement l’expérience. Après l’Ukrainienne Nadejda Savtchenko, condamnée à 20 ans de prison en Russie et troquée contre deux militaires russes faits prisonniers par les forces ukrainiennes au Donbass, Poutine a fait une nouvelle provision d’otages ukrainiens pour ses négociations futures, dont le cinéaste Oleg Centsov qu’il a fait condamné à 22 ans de prison.

Yoann Barbereau avait été arrêté en février 2015. Il a passé 71 jours en prison, puis a été transféré en détention à domicile. Les poursuites ont été initiées contre lui en vertu de l’alinéa n° 4 de l’article 132 du Code criminel (agression sexuelle contre un mineur) et des alinéas n° 2 et 3 de l’article 242 du Code criminel (pornographie).

L’affaire au tribunal a commencé à être examinée en juin 2016. Le procès a eu lieu à huis clos.

Assigné à résidence, le 11 septembre 2016, Yoann Barbereau s’est évadé. Le bracelet électronique muni d’un système de géolocalisation a fonctionné un certain temps transmettant des signaux au centre d’Irkoutsk, puis a cessé d’émettre. Le 16 septembre, la police a lancé un avis de recherche. Le 21 septembre, Yoann Barbereau a transmis sur les réseaux sociaux un message disant qu’il est sécurisé.

Yoann Barbereau est employé du ministère des Affaires étrangères de la France. Il dirige le centre de langue et culture française à Irkoust. Toutefois, il ne jouit pas de l’immunité diplomatique. Il a été accusé après la publication sur le forum des parents d’Irkutsk une photo de sa fille nue et une vidéo où ils sont tous les deux.

« Tu veux que papa rentre à la maison ? Dis oui. »
En juin 2015, sa femme Daria Barbereau a fait une déclaration affirmant que son témoignage et celui de sa fille ont été obtenus sous la contrainte. « On m’a fait noircir mon mari et on m’a fait dire qu’il est dangereux pour moi et ma fille, en échange de ma liberté ». Elle affirme également que les enquêteurs ont manipulé sa fille âgée de cinq ans au cours de son interrogatoire. Les enquêteurs lui ont dit qu’en répondant comme ils lui demandent, elle contribuera à faire libérer son papa au plus vite. Plus tard, un psychologue a confirmé que les réponses de la jeune fille ont été obtenues sous la pression et qu’elles sont fausses.
Il est à noter que l’image présumée n’est autre qu’une scène habituelle de la vie familiale. Il est également à souligner que parmi plus de trois mille photos de sa fille, qui ont été saisies, une seule a pu être utilisée pour monter à l’encontre de Yoann Barbero une affaire de pédophile.

L’avocat Olivier Arnod note pour sa part qu’en France, la nudité est « perçue de façon variable selon les familles », ajoutant qu’il est assez courant que les enfants en bas âge voient leurs parents nus. « Si un papa s’occupe de sa petite fille, s’il la change, la douche, il est naturel que les deux soient nus. Mon client est victime d’une accusation fantaisiste, sans fondement depuis le début », affirme-t-il.

À Nantes, d’où Yoann Barbereau est originaire, un comité pour sa défense s’est organisé. Il considère que les charges à l’encontre de Yoann Barbero sont fictives et fondées sur de faux documents et des preuves fabriquées.

Les avocats russe et français de Yoann Barbereau dénoncent par ailleurs de nombreux vices de procédure au cours de l’enquête. Le 23 octobre 2015, un tribunal d’Irkoutsk a ordonné la levée de la détention préventive de Yoann Barbereau, en mettant en avant l’insuffisance des motifs et la durée abusive de sa privation de liberté. Mais le 27 octobre, cette décision a été annulée par un tribunal de la région d’Irkoutsk. « La décision de levée de détention a été prise un vendredi, avec un délai de trois jours pour faire appel, rappelle l’avocat. Mais elle a été annulée dès le mardi d’après par un autre tribunal, alors que le dossier n’aurait pas dû bouger. Nous n’avons pas eu le temps de réagir. »
En juin 2015, Yoann Barbereau a subi une expertise psychiatrique de deux semaines, afin d’évaluer son comportement sexuel. Le rapport a conclu à une sexualité normale et sans trouble concernant les préférences sexuelles.

Tous ces faits n’ont été rendus publics qu’en mai 2016. « Jusqu’à présent, nous avions l’espoir et le souhait que les choses se règlent de façon diplomatique et judiciaire, et que nous puissions obtenir un non-lieu, explique Olivier Arno. Mais à notre grande surprise, l’affaire a été renvoyée devant un tribunal d’arrondissement. Dès lors, nous n’avions plus d’autre choix que d’en parler. C’est nous qui avons choisi de rompre le silence. »

« Des accusations à caractère politique »
Irina en est certaine : quelqu’un a monté l’affaire de toutes pièces. « Mais je ne parviens pas à comprendre qui Yoann pouvait déranger ! Nous avions le projet d’ouvrir un commerce, un réseau de boulangeries-pâtisseries à Irkoutsk. Peut-être que ce n’était pas du goût de certains hommes d’affaires locaux… Mais pourquoi a-t-il fallu le traiter de pédophile ? », explique-t-elle. À en croire la jeune femme, il s’agit d’un « avertissement » pour tous les étrangers travaillant en Russie : les autorités ont eu besoin d’un souffre-douleur, et Yoann Barbereau s’est avéré, à ses dépens, être le bon candidat.

Yoann Barbereau avait beaucoup de contacts influents à Irkoutsk du fait de son métier, y compris avec des responsables politiques. Pour Irina, ce genre de personnalités en vue attirent l’attention. Un comité de soutien à Yoann Barbereau, présidé par le journaliste nantais Thierry Guidet, souligne de son côté que cette arrestation a eu lieu sur fond de tensions politiques entre la France et la Russie. Yoann Barbereau paierait-il – très cher – le prix de la dégradation des relations russo-européennes ?

Cette condamnation à l’encontre de Yoann Barbereau comporte un caractère politique. Il s’agit d’un message des autorités fédérales russes à tous les ressortissants français vivants en Russie. Ici, ils ne jouissent pas des mêmes libertés et droits que les résidents russes en France. Il peuvent être pris en otage pour servir de négoce sur fond de différends diplomatiques.