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Billet de blog 29 juin 2015

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Maïdan arménien.

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Depuis 19 juin,des protestations massives contre l’augmentation des tarifs d’électricité se poursuivent à Erevan. Elles se sont propagées dans d’autres villes d’Arménie : Vanadzor, Gyumri... Dans un premier temps, seules des revendications économiques, réduction du coût de l’électricité, ont été avancées, mais après que la police eut dispersé la manifestation du 23 juin à l’aide de canon à eau, les revendications ont pris un caractère non-stop et plus politique : démission du Président Serge Sarkissian, slogans anti-russes, des drapeaux de l’UE et ukrainien sont apparus.

En octobre 2014, l’Arménie avait rejoint l’union économique euroasiatique créée en mai de la même année. La Biélorussie, le Kazakhstan et la Russie en étaient membres.  Cette adhésion devait garantir la stabilité de l’économie arménienne, au moins dans le domaine de l’énergie entièrement monopolisée par les sociétés du géant pétrolier et gazier russe. Paradoxe : l’initiateur de la hausse des tarifs électriques contestée est la société « Réseaux électriques d’Arménie » acquise en 2005 par le groupe russe « Inter RAO EES » de Igor Sechin, oligarque russe ami de Poutine et propriétaire, entre autres, de « ROS-NEFT ». Ainsi, les manifestants ont attribué la responsabilité de hausse des tarifs à la Russie, soumise aux sanctions occidentales, conséquence de l’annexion de la Crimée, et à l’union économique euroasiatique qui permet d’exporter la crise russe en Arménie, membre du même espace économique. Les manifestants estiment que les compagnies d’électricité arméniennes doivent être nationalisées.

Le spectre de Maïdan et d’une nouvelle révolution colorée plane. À Moscou, la presse russe réagit ainsi dans sa majorité: « Il n’y aura pas de scénario Maïdan en Arménie. »
Les motivations des manifestants arméniens semblent similaires à celles qui ont conduit au Maidan de Kiev : rejet du pouvoir corrompu, insatisfaction face aux groupes oligarchiques et inégalité sociale criante.

Poutine a tout fait pour empêcher les transformations démocratiques en Ukraine. Les milliards donnés à Yanoukovitch, l’arme du gaz, ses tireurs sur la foule de Maïdan et la déstabilisation du Donbass n’ont pas suffi. En dépit, il a annexé la Crimée.

L’exemple de  Maïdan se dresse à Kiev. Poutine a juré qu’il n’y en aura pas d’autres. Ses forces spéciales s’entraînent à combattre les révolutions colorées, mais sur l’avenue Bagramian à Erevan une nouvelle est en gestation. Les plus anciens se souviennent des manifestations de 1988 qui avaient eu lieu à Erevan. Elles avaient sonné le glas de l’URSS. Ces souvenirs alimentent l’espoir d’aujourd’hui.

Cependant, les situations arménienne et ukrainienne ne sont pas totalement similaires.  Les stratèges russes pensent que l’on pourra mater Erevan comme Budapest et Prague en 1956 et 1968, ou comme dernièrement la Tchétchénie. Le basculement de l’Arménie, alliée de Moscou, pourrait être un « déclencheur » de l’effondrement en spirale du système d’alliance militaire et économique mis en place par Poutine sur les ruines de l’ex-URSS.

Contrairement à l’ex-président ukrainien Yanoukovitch accusé de mou et d’indécis par le Kremlin, le président arménien, Serge Sarkissian, tout aussi corrompu, est un homme qui s’est endurci dans la crise militaire et politique du Haut-Karabakh où il a servi en tant que commandant les forces d’autodéfense. Il sait recourir à la force contre les opposants politiques et pour cela, il peut compter sur l’aide de Moscou. L’Arménie est frontalière avec l’Azerbaïdjan et la Turquie : pays adverses.  L’Europe et l’OTAN sont bien loin. Le conflit du Karabakh permet, devant la menace commune, de fidéliser l’armée afin de combattre les « défaitistes » qui proposeraient des transformations démocratiques aux prix d’abandons territoriaux.
La Russie possède des bases militaires en Arménie. Poutine pourrait donner l’ordre à son armée d’intervenir à partir de ces bases, comme cela avait été fait pour l’annexion de la Crimée. La présence de base militaire russe en Arménie peut transformer le conflit politique interne en simple annexion russe de toute l’Arménie.

 L’Arménie est membre du « Traité de sécurité collective » conclu avec la Russie et, si nécessaire, elle est en droit de recevoir toute l’aide et assistance des pays signataires de ce nouveau « Pacte de Varsovie » en cas d’évolution négative, selon Moscou,  de la situation sur son territoire. En clair : il s’agit de refaire le coup de Prague.

La Russie a compris tout l'intérêt qu'elle peut tirer du conflit du Nagorno-Karabakh. Elle livre des armes à l'Azerbaïdjan tout en prétendant protéger l'Arménie avec ses bases militaires en territoire arménien. Dans le cas d'un Maïdan victorieux à Erevan, elle pourra soutenir une offensive azérie au Nagorno-Karabakh afin de bloquer toute évolution du nouveau pouvoir arménien, soit utiliser le Karabakh contre Erevan comme elle utilise le Donbas contre Kiev. Les Arméniens pourraient être chassés de Russie comme l'avaient été les Géorgiens en 2008. La xénophobie actuelle à l'encontre des transcaucasiens à Moscou est de mauvais augure.
Le seul gazoduc alimentant l'Arménie arrive d'Iran et Moscou pourra utiliser son arme gazière en demandant à son allié iranien de fermer le robinet.

Le Kremlin  argumente sa présence en Arménie pour faire face aux islamistes dans le Caucase, mais dans ses valises il y a les oligarques et le régime mafieux de Serge Sarkissian dont les Arméniens ne veulent plus, issu du coup d’État qui a assassiné en 1999 le Premier ministre Vazgen Sarkissian et le Président du Parlement, Karen Demirtchian.  La véritable question posée aujourd’hui par les manifestants de l’avenue Bagramian est la démocratisation de l’Arménie. Cette même question est posée à Moscou par les forces démocratiques dont le leader Boris Nemtsov a été assassiné à 100 mètres du Kremlin. C’est à cette question qu’il faut répondre, à Erevan et à Moscou!

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