Le 22 septembre 2016, devant la Cour constitutionnelle de la Fédération de Russie, des piquets de protestation ont eu lieu afin de soutenir le recours de Ildar Dadin devant la Cour constitutionnelle. Cette action avait pour but de contester l’inconstitutionnalité de l’article 212.1 du Code pénal qui rend passibles de cinq ans de prison plus de trois participations à des piquets de protestation pacifiques. L’action s’est terminée rapidement par des arrestations.
Il y avait beaucoup de policiers, dit Olga Sonina. C’était évident que l’on nous attendait. Seuls Masha Ryabikov et moi-même avons pu poser avec notre affiche. Masha fut la première. Un policier s’est approché d’elle et a recopié les données de son passeport. Elle posa environ 10 minutes avec son affiche, puis elle la plia et se retira. Ensuite, ce fut à mon tour de déplier mon affiche et de poser. Au bout de deux minutes, un policier s’est approché. Il m’a dit que pour participation à un piquet non autorisé je devais être arrêtée. Il affirma que j’étais en infraction, car deux personnes posaient, selon lui, au même moment en tenant une affiche. Il m’ordonna de le suivre. J’ai tenté de lui dire que cela était faux, car il n’y avait aucun autre piquet à côté de moi. Étant seule, aucune autorisation administrative préalable n’était nécessaire. Mais le policier était résolu. Un deuxième policier est arrivé et ils m’ont conduit au fourgon cellulaire. À cet instant, j’ai vu que Masha Ryabikova était également arrêtée. Ils nous ont emmené au poste de police central « Kitaï-gorod ». Deux heures, après la rédaction d’un procès-verbal nous accusant d’avoir violé l’article 20.2, du Code pénal, ils nous ont relâchées.
Maintenant, quelques détails.
Pourquoi ai-je décidé de participer à la campagne de soutien pour la libération de Ildar Dadin ? Parce que je connais personnellement Ildar. C’est un homme sincère et honnête. C’est un opposant courageux et déterminé. Jusqu’à l’automne de 2015, je ne venais que très rarement aux piquets de protestations qui se tenaient sur la Place du Manège à Moscou. Un jour, Ildar m’a dit : « Je ne vous connais pas, mais si vous venez ici, cela veut dire que vous êtes une personne digne de respect». Il est vrai que tous les six du mois je prenais part aux piquets de soutien aux « prisonniers du 6 mai », emprisonnés et condamnés à de lourdes peines pour s’être opposé à la réélection inconstitutionnelle de Poutine. Je me rappelle ces manifestations en hiver par fort gel au métro « Tretyakovskaya ». Nous chantions ensemble la célèbre chanson de Arkady Kots « Détruisons cette prison, ces murs doivent disparaître d’ici, ils sont pourris. Qu’ils s’écroulent ! » Ildar se tenait au centre et menait le cœur. Il savait mieux que tout autre les paroles de cette chanson merveilleuse.
Ildar avait demandé aux policiers de se conformer à la loi « sur la police ». C’est pour cela qu’ils l’ont battu. Début de décembre 2015, Ildar a décrit au tribunal les mauvais traitements que les policiers lui ont fait subir. Ils lui ont relié les mains avec les pieds derrière le dos et l’ont ainsi suspendu. Les articulations des épaules se sont démises. À son procès, il a exigé le respect de la Constitution. La seule chose qu’il a obtenue, c’est une condamnation. Il a prononcé des appels contre la guerre en Ukraine lors de sa dernière intervention au procès : « Nous sommes le peuple et nous devons clamer : « Arrêtez de tuer ! » Et un tel homme, épris de paix, de justice, exigeant la primauté du droit de la personne, a été condamné à trois ans de prison fermes, en vertu de l’article liberticide n° 212.1 du Code pénal de Poutine ! En appel, la peine a été réduite à deux ans et demi fermes.
Le contenu de nos affiches était pertinent. Masha Ryabikova avait écrit sur la sienne : « Poutine est là, on n’a pas besoin de Justice !» Moi-même, je tenais une affiche : « Annulez l’article 212.1 inconstitutionnel du Code pénal de la Fédération de Russie ! Mettez fin aux persécutions à l’encontre des porteurs d’affiches ! Libérez Ildar Dadin, défenseur intrépide de notre Constitution, condamné à 2,5 ans de prison selon l’art. 212.1 du Code pénal ! »
Au poste de police « Kitaï-gorod », les policiers ont noté dans le procès-verbal d’infraction le contenu d’une affiche ancienne que je n’avais pas sortie de mon sac. Elle disait : « Article 212.1 : coup dur à la Constitution ! Le coupable peut maintenant être toute personne qui exprime ouvertement son opinion ».
Lorsque le policier m’a montré le procès-verbal, je lui ai dit que ce n’était pas le texte de l’affiche que je tenais. Il m’a répondu : « Cela n’a pas d’importance ». Maintenant, je regrette de n’avoir pas insisté pour exiger la réécriture du procès verbal. J’y ai noté que je n’étais pas d’accord avec l’affirmation qu’il s’agissait d’une protestation de masse avec participation de deux personnes. J’ai écrit que les piquets étaient individuels et que nous nous relayions.
Le policier de faction a fait une autre violation du droit. Lors de la fouille, il m’a demandé de retirer mes lunettes et de les déposer dans un paquet avec le téléphone, les clés, etc., en m’expliquant qu’il n’a pas le droit de m’enfermer avec mes lunettes dans « la cage à singes ». (Il s’agit d’une cage située dans le hall d’entrée du poste de police, au vu de tous.) Je lui ai dit que je suis très myope et que je ne peux pas me passer de lunettes. Il a dit : « Mais on va vous libérer rapidement ». Promesse tenue au bout de deux heures ! Un procès-verbal d’infraction a été rédigé également contre Masha. Le policier lui a pris son sac avec l’argent sans procéder à un inventaire du contenu. Cela l’a rendue nerveuse. Ensuite, il a fait un inventaire devant témoins.
Le 5 octobre, nous étions censés nous présenter au palais de justice pour nous voir remettre une convocation à un procès futur, et non pour assister à notre procès. Je me suis présentée ce jour-là au tribunal du quartier de Tverskoy à 11 heures, comme demandé. Comme je m’y attendais, mon nom n’était pas indiqué sur la liste des personnes désignées devant être jugées ce jour-là. Mon défenseur n’avait pas été en mesure de venir, mais mon témoin, Pavel Kolesnikov, était présent. Un huissier s’est présenté. Je lui ai dit que Pavel était mon témoin. J’ai demandé : « Me remettra-t-on une convocation ? ». L’huissier m’a répondu : « Attendez ! » Quelques minutes plus tard, on m’a appelée, et j’ai été surprise de voir devant moi moi assise une femme en tenue de juge.
C’était la première fois que je passe au tribunal. On m’a dit que le procès a déjà commencé. J’ai répondu que mon avocat était absent, mais personne n’a prêté attention à cela. Le juge m’a demandé de présenter mes pièces d’identité. Je me suis exécutée. Ensuite, j’attendu que l’on appelle le témoin Pavel Kolesnikov, que j’avais présenté à l’huissier. Mais personne ne l’a fait entrer pour témoigner. La juge, nommée Orékhova, m’a lu le Protocole d’accusation. Celui-ci indiquait que j’avais pris part à des événements de masse auxquels ont participé deux personnes. J’ai répondu que je n’étais pas d’accord. Le piquet était individuel et unique et nous faisions la queue pour poser l’un après l’autre. J’ai dit « qu’avant moi, il y avait une femme » qui se tenait avec une affiche, mais elle est partie après avoir rangé son affiche. Seulement après je suis intervenue.
Le tribunal a traduit ainsi mes dires dans ses minutes. « Il’y avait une femme avant moi » a été retranscrit ainsi : « Il y avait une femme devant moi ». (Si une femme était devant moi, cela signifie que nous étions deux).
La juge était énervée et pressée. Ne voulant pas l’ennuyer encore plus, je n’ai pas dit que le texte de l’affiche était différent. De plus, il me semblait que vraiment ce n’était pas important. Ce fut une erreur de ma part! Maintenant, je comprends que cela aurait été utile pour faire appel du jugement qui m’a condamné à une amende de dix mille roubles.
Publié le 25 octobre 2016 par « OVD-Info »
https://ovdinfo.org/stories/2016/10/25/ne-peredo-mnoy-vperedi-menya
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