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Billet de blog 13 février 2023

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Comment financer les déficits futurs du système de retraite ?

Pour financer les déficits futurs du système de retraite, le gouvernement souhaite allonger la durée d’activité de deux années et réduire d’autant la durée de la retraite. Cet impôt sur la vie pénalise tous les actifs et retraités, tout particulièrement les catégories populaires. D’autres financements sont possibles pour réduire les déficits des comptes sociaux que l’État, pompier pyromane, a lui-même favorisé depuis 2018.

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À partir d’un certain nombre d’hypothèses relatives à la productivité du travail, au chômage, à la mortalité, au solde migratoire, etc., le Conseil d’Orientation des Retraites a considéré que « sur les 25 prochaines années, le système de retraite serait en moyenne déficitaire, quels que soient la convention et le scénario retenus » (COR, 2022, p.15).

Les hypothèses du COR sont des objets de controverses. Le démographe Hervé le Bras considère, par exemple, que « les scénarios du conseil d’orientation des retraites sont irréalistes en matière de mortalité » (Le Monde, 6 février 2023). Certaines projections indiquent une faible augmentation de l’espérance de vie. Par ailleurs, le solde migratoire moyen envisagé par le COR (70 000 par an) est inférieur au solde migratoire évalué à 173 000 en 2020. Celui-ci constitue un apport de main-d’œuvre immédiat et un surcroît de cotisations sociales favorables à l’équilibre des comptes sociaux. Autrement dit, le COR surestimerait les dépenses futures et sous-estimerait les recettes. Malgré les incertitudes inévitables de la prévision, admettons l’existence de déficits futurs.

Reste la question essentielle : comment les financer ? Deux grandes orientations sont possibles.

Le financement des déficits par les actifs et les retraités

Le financement des déficits par les actifs et les retraités a été retenu par l’actuel gouvernement. Contrairement aux affirmations répétées ad nauseam par le gouvernement et repris dans son document « Pour nos retraites : justice, équilibre, progrès », cette réforme n’est pas juste, spécifiquement en raison de sa modalité de financement.

Une réforme et une modalité de financement défavorables aux catégories populaires

Lorsque la durée minimum de cotisations pour bénéficier d’une retraite à taux plein passe de 41 à 43 années, les actifs subissent l’équivalent d’un impôt supplémentaire qui résulte d’une augmentation de leur durée d’activité et du montant de leurs cotisations sociales de près de 5 % (43/41). À cet impôt supplémentaire s’ajoute un impôt en nature de deux années sur la durée de la retraite.

Cet impôt pénalise davantage les actifs pauvres en raison d’une durée de travail égal pour tous (43 ans à terme), sans prendre en compte les différences d’espérance de vie. Pour les actifs les moins qualifiés qui débutent leur carrière plut tôt et dont l’espérance de vie est de 6,4 années inférieure à celle des cadres, le ratio temps de retraite sur temps d’activité, déjà le plus faible, baissera encore davantage. Perdre deux années de retraite lorsque celle-ci est réduite est forcément plus pénalisant.

Cet impôt de deux années sur la durée de la retraite est d’autant plus pénalisant que celui-ci concerne les années moins nombreuses de retraite en bonne santé. Quand l’espérance de vie sans incapacité (EVSI) est, pour les hommes, estimée à 13,6 années à 62 ans (DREES, Études et résultats, 1213, 2021), le report de l’âge de la retraite à 64 ans constitue une perte de 15 % de cette EVSI ! Pour les catégories les plus pauvres dont l’EVSI est plus faible, cet impôt retraite est plus élevé.

La concession d’E. Borne d’un départ à 63 et non 64 ans pour ceux qui ont commencé à travailler entre 20 et 21 ans ne concerne qu’environ 30 000 actifs, soit une petite minorité de ceux qui ont travaillé avant 21 ans. À juste titre, certains ont considéré que cette concession était une entourloupe. Elle ne prend pas en compte les apprentis qui ont été en apprentissage avant le 1er janvier 2014 (année à partir de laquelle l’État a pris en charge leurs cotisations sociales) et qui vont travailler plus de 43 ans et sans surcote en raison de cotisations sociales insuffisantes. Une décision moins injuste serait de faire prévaloir la règle des 43 années d’activité à un âge de départ à 64 ans minimum.

Une pénalisation spécifique des femmes non diplômées

Le projet de réforme des retraites accentue aussi les inégalités hommes-femmes. Subissant plus souvent un temps partiel imposé, occupant des métiers pénibles insuffisamment reconnus, caractérisées par des carrières plus fréquemment incomplètes en raison des maternités, de l’éducation des enfants et/ou des choix professionnels de leur époux, moins rémunérées que les hommes à statut équivalent, formant l’essentiel des foyers monoparentaux, les femmes cumulent au cours de leur vie des inégalités accentuées par le statut de retraitées (DARES, Les retraites et les retraités, 2022). Les trimestres « éducation » et « maternité » ne prennent pas suffisamment en compte la contribution des femmes à la création de la richesse en dehors de leur activité rémunérée.

Si la grande majorité les actifs et les futurs retraités sont pénalisés par le projet de réforme, les catégories les plus pauvres, spécifiquement les apprentis et les femmes, le sont davantage. Affirmer que la réforme proposée est juste est une fake news. Il est tout aussi contestable d’affirmer que le report de l’âge de la retraite de 62 à 64 ans est la seule façon de sauvegarder le système par répartition.

D’autres financements sont envisageables

Si l’État renonce à sa double imposition sur la durée du travail et celle de la retraite, deux autres modalités de financement du système de retraite sont possibles. La première est de dépenser mieux et moins. La seconde est d’augmenter les recettes des comptes sociaux.

Dépenser sans creuser les déficits des comptes sociaux

En octobre 2022, L’Institut de Recherche Économiques et Sociales (IRES, 2022) a montré que les aides publiques aux entreprises sont passées de 3 % du PIB en 2000 à 6,4% du PIB en 2019, soit un total de 157 milliards d’euros, constituées notamment d’exonérations de charges sociales qui réduisent d’autant les recettes des comptes sociaux. Il en est ainsi, par exemple, à partir de 2018, de la défiscalisation des heures supplémentaires. En 2007, lors de la première mise en œuvre de cette politique, la perte de recettes pour les comptes sociaux avait été estimée à 3 milliards par an (OFCE, 2010).

Dans la fonction publique, la politique déjà ancienne du gel du point d’indice réduit le pouvoir d’achat des fonctionnaires, diminue mécaniquement leurs cotisations sociales, et contribue à creuser les déficits des comptes sociaux. Le COR précise d’ailleurs que « La dégradation de la situation financière de début de période (2022-2027) est principalement à relier à la (…) baisse de la part des traitements indiciaires des fonctionnaires territoriaux et hospitaliers » (COR, cité, p. 15).

Finalement, le gouvernement est un pompier pyromane. Il affirme vouloir sauver le système de retraite par répartition qu’il a lui-même contribué à déséquilibrer. De surcroît, le choix de diminuer le montant total des pensions de retraite, mécaniquement réalisé par la réduction de leur durée, aboutit à réduire la protection offerte par le système de répartition, tout spécifiquement pour les catégories populaires qui en bénéficient déjà moins. Cette façon de « sauver le système » par répartition est ainsi une forme de démantèlement. Une autre politique est de revoir à la baisse certaines dépenses publiques.

Selon le COR, de 2022 à 2032, la situation financière du système de retraite se détériorerait avec un déficit allant de 0,5 point à 0,8 point de PIB (COR, p. 15), soit entre 13 et 19 milliards d’euros rapportés à un produit intérieur brut de 2354 Mds en 2022 (Insee, 2023). Une baisse des dépenses publiques aux entreprises des proportions équivalentes semble d’autant plus réalisable que cette politique d’aide est peu ciblée et que son efficacité en termes d’emploi et de croissance controversée (IRES, 2022). Il n’existe également pas de raison pour que les déficits accumulés, notamment en raison de la politique du « quoi qu’il en coûte », soient financés par les seuls salariés et retraités dont le pouvoir d’achat baisse en raison d’une indexation partielle sur le niveau de l’inflation ((DARES, Les retraites et les retraités, 2022).

Revenir sur des allégements fiscaux dont les effets sont controversés

Parallèlement à une réduction modérée des aides aux entreprises, le gouvernement peut également augmenter ses recettes et celles des comptes sociaux, notamment en revenant sur les réformes fiscales de 2018, spécifiquement la suppression de l’ISF et l’instauration d’un Prélèvement Forfaitaire Unique (PFU). Avec celui-ci, la taxation forfaitaire des dividendes a été plafonnée à 30 % (12,8 % au titre de l’impôt sur le revenu et 17,2 % au titre des prélèvements sociaux), c’est-à-dire un taux d’imposition des revenus du capital inférieur aux revenus du travail (à l’exception des salariés payés au SMIC ou proches de celui-ci). 

L’INSEE (2022) a montré que ces mesures, dont le coût pour les finances publiques est de 3,4 milliards d’euros par an, ont « accentué encore la hausse de niveau de vie des plus aisés ». Ces mesures fiscales ont en effet favorisé une croissance exceptionnelle des dividendes (FranceTransactions, 2023). Ceux-ci ont enrichi les actionnaires, accélérer la financiarisation de l’économie, sans pour autant favoriser le financement des entreprises.

Le relèvement de la taxation forfaitaire des dividendes au titre des prélèvements sociaux de 5 points (de 17,2% à 22,2%) aurait des effets marginaux sur le niveau de vie des plus aisés et sur l’activité économique. Il en serait d’ailleurs de même du rétablissement de l’ISF. Sa suppression n’a pas exercé d’effets démontrés sur l’emploi et la croissance (Sénat, 2019 ; IPP, 2021 ; France Stratégie, 2022). L’actuel gouvernement a fait le choix d’un impôt sur la vie, aux conséquences considérables pour les actifs et les retraités, de préférence à une imposition sur le capital, pourtant sensiblement réduite depuis 2018.

Un projet de réforme aveugle aux questions les plus cruciales

Outre l’absence de débats sur les diverses modalités de financement des déficits du système de retraite, le projet de réforme n’aborde pas frontalement les questions les plus cruciales. Lorsque le taux d’emploi des 60-64 ans n’est que de 35 % (DARES, les seniors sur le marché du travail en 2021, 2023), le report à 64 ans de l’âge de la retraite ne permettra guère, pour une majorité des seniors, de « travailler plus ». L’index senior ne sera pas plus efficace que l’index « égalité professionnelle » créé en 2019 et censé corriger les inégalités salariales entre les hommes et les femmes. Avec la réforme, les actifs âgés non diplômés, dont l’employabilité est d’autant plus faible qu’ils avancent en âge, risquent une paupérisation progressive avec un recours plus fréquent à l’assurance-chômage, dont la durée vient d’être réduite. Le recours au RSA risque aussi d’être plus fréquent.

Par ailleurs, faute de prendre en compte suffisamment la pénibilité du travail et les difficultés croissantes de recrutement dans des secteurs clés tels que le bâtiment, l’industrie et les services, le projet de réforme va accentuer l’actuelle crise du travail, le quiet quitting, les ruptures conventionnelles et favoriser le désengagement des jeunes générations ; autant de freins à l’emploi, à la croissance économique, aux recettes de l’Etat et à l’équilibre des comptes sociaux. La réforme proposée est une comptabilité aveugle à l’importance du capital humain.

Enfin, une réforme aussi injuste ne peut que favoriser le délitement d’une cohésion sociale déjà particulièrement fracturée. Cette réforme exacerbera les ressentiments individuels et collectifs, la giletjaunisation du pays, favorisera la montée du populisme et, en 2027, la victoire du Rassemblement National. Alors que le gouvernement prétend assumer ses « responsabilités », sa réforme des retraites serait surtout une erreur économique, sociale et politique.

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